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Indemnités de licenciement : remise en cause de la jurisprudence du Conseil d’Etat

Une décision du Conseil constitutionnel étend l’exonération d’impôt sur le revenu à certaines indemnités transactionnelles

I – Présentation de la question

Avant l’article 3 de la loi de finances pour 2000, qui a créé l’article 80 duodecies du CGI, le régime de taxation à l’impôt sur le revenu des indemnités de rupture d’un contrat de travail ou d’un mandat social n’était pas défini par la loi, et reposait sur une règle prétorienne fondée sur l’article 12 du CGI. Etaient exonérées les sommes ayant pour objet de réparer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de rémunération, et imposables les sommes compensant la perte de salaire.

Depuis, par souci de plus grande sécurité juridique, les règles ont été changées : l’article 80 duodecies du CGI pose le principe selon lequel constitue une rémunération imposable toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, sous réserve des exonérations qui, à ce jour, sont les suivantes :

Exonération, pour leur montant total, des indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi au sens des articles L 1233-61 et suivants du Code du travail (licenciements portant sur dix salariés au moins dans une même période de trente jours).

  • Exonération intégrale de l’indemnité accordée par le juge au moins égale à six mois de salaire, prévue par l’article L 1235-3 du Code du travail en cas de licenciement irrégulier ou abusif d’un salarié ayant deux ans au moins d’ancienneté (dans une entreprise de plus de dix salariés).
  • Exonération des autres indemnités, à savoir notamment :
    – indemnité, au plus égale à un mois de salaire, prévue lorsque le licenciement intervient sans observation de la procédure requise (art. L 1235-2 du Code du travail) ;
    – indemnité, fixée par le juge en fonction du préjudice subi, accordée au salarié inclus dans un licenciement collectif pour motif économique réalisé sans respecter la procédure requise (art. L 1235-12 du Code du travail) ;
    – indemnité, fixée par le juge sans pouvoir être inférieure à deux mois de salaire, accordée en cas de non-respect de la priorité de « réembauchage » (art. L 1235-13 du Code du travail) ;
    – indemnité spéciale, au moins égale aux douze derniers mois de salaires, accordée, lorsque la procédure de licenciement est viciée par la nullité d’un plan de sauvegarde de l’emploi, au salarié qui s’abstient de demander la poursuite de son contrat de travail (art. L 1235-11 du Code du travail).
  • Exonération intégrale de l’indemnité spéciale de licenciement mentionnée à l’article L 1226-14 du Code du travail accordée aux salariés victimes d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle.
  • Et, en toute occurrence, exonération dans la limite de l’indemnité légale de licenciement ou, lorsqu’elle est supérieure, de l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective de branche ou par l’accord professionnel ou interprofessionnel (cette limite ne comportant donc aucun plafond en valeur absolue). Pour leurs indemnités que l’exonération ci-dessus n’affranchit que partiellement de l’impôt (voire pas du tout), les salariés bénéficient d’une « clause de sauvegarde », prévue au 3 du 1° de l’article 80 duodecies, leur garantissant, dans la limite de six fois le plafond annuel de la sécurité sociale, soit 222 192 € (6 x 37 032 €), l’exonération effective de leur indemnité :
    – à concurrence d’au moins 50 % du montant total des indemnités perçues (autres que celles imposables par nature en tant que rémunérations),
    – ou, si cela conduit à une exonération supérieure, à concurrence d’au moins deux fois la rémunération brute annuelle perçue au cours de l’année civile ayant précédé celle de la rupture du contrat de travail.

Par une décision du 24 juin 2013, n°365253, Gohier, le Conseil d’Etat a rappelé sa jurisprudence relative à l’imposition de principe de l’indemnité de licenciement visée par l’article 80 duodecies, qu’elle « compense une perte de salaires ou qu’elle répare un préjudice d’une autre nature », et estimé « qu’il en va notamment ainsi des indemnités perçues par un salarié en exécution d’une transaction conclue avec son employeur à la suite d’une « prise d’acte » de la rupture de son contrat de travail, qui ne peuvent bénéficier, en aucune circonstance et quelle que soit la nature du préjudice qu’elles visent à réparer, d’une exonération d’impôt sur le revenu ».

Le Conseil d’Etat a toutefois renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dont il était saisi au Conseil constitutionnel, considérant que les dispositions législatives visées soulevaient une difficulté sérieuse quant à leur conformité au principe d’égalité.

Le contribuable se plaignait de ce que l’indemnité de licenciement abusif qu’il avait reçue puisse ne pas bénéficier de l’exonération intégrale du seul fait qu’elle avait été accordée dans le cadre d’une transaction et non par une décision de justice ou une sentence arbitrale.

II – La décision QPC précise les conditions d’un réexamen d’une disposition légale et recourt à la technique de la réserve d’interprétation

Le juge constitutionnel a rendu sa décision le 20 septembre 2013 (n°2013-340 QPC).

Le Conseil constitutionnel s’était déjà prononcé sur les dispositions de l’article 80 duodecies du CGI à l’occasion de la contestation de la loi de finances pour 2000. Il les avait déclarées conformes à la Constitution dans la décision n°99-424 DC du 29 septembre 1999.

L’examen par le Conseil constitutionnel d’une disposition législative qu’il a déjà examinée fait normalement obstacle à la recevabilité d’une QPC sur la même disposition, mais le Conseil constitutionnel a estimé qu’il y avait lieu de procéder à un réexamen de la conformité à la Constitution en raison du caractère restrictif de l’interprétation donnée de ces dispositions par la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, laquelle conduisait à priver les contribuables du bénéfice de l’exonération totale dès lors que l’indemnité présentait un caractère transactionnel. Ce point constituait en soi un changement des circonstances justifiant un réexamen de la question posée.

Le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de ces dispositions, mais en procédant à une réserve d’interprétation qui en modifie très sensiblement la portée.

En matière fiscale, cette technique n’avait jusqu’à maintenant été utilisée que pour adopter une interprétation neutralisante du texte même de la loi. Cette fois-ci, c’est l’interprétation restrictive donnée par le juge de l’impôt de la loi qui fait l’objet de la réserve d’interprétation.

Au considérant 6 de sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article 80 duodecies du CGI « ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l’objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de ces exonérations varie selon que l’indemnité a été allouée en vertu d’un jugement, d’une sentence arbitrale ou d’une transaction ».

Le juge est lié par les réserves d’interprétation énoncées par le Conseil constitutionnel dans une décision statuant sur la conformité d’une loi à la Constitution, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, pour l’application et l’interprétation d’une loi. Il convient donc de considérer, pour l’avenir comme pour le passé, que l’exonération sera accordée selon la nouvelle interprétation.

III – Le champ de l’exonération est redéfini

Le Conseil constitutionnel a étendu le champ de l’exonération d’impôt sur le revenu à l’égard des indemnités versées à l’occasion d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour lui, l’exonération d’impôt sur le revenu résultant de l’article 80 duodecies du CGI s’applique en prenant uniquement en considération la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, indépendamment des conditions formelles dans laquelle l’indemnité de licenciement a été allouée. Une indemnité ne cesse donc pas d’être « de licenciement » ou « pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » parce que les parties se sont accordées sur son montant au lieu de laisser le juge ou l’arbitre statuer sur la demande.

Le Conseil constitutionnel n’invite pas le juge de l’impôt à revenir, comme le suggérait la décision de renvoi du Conseil d’Etat, à l’analyse en fonction de la nature des indemnités versées à laquelle la jurisprudence procédait avant l’intervention de l’article 80 duodecies. Le choix du législateur de traiter d’un bloc les indemnités servies à l’occasion de la rupture d’un contrat de travail sans distinguer selon qu’elles couvrent une perte de rémunération ou un préjudice distinct, qui avait déjà été validé en 1999, n’est en effet pas remis en cause.

C’est ainsi moins la nature précise des sommes que les conditions dans lesquelles la rupture du contrat de travail a été consommée sur laquelle il conviendra de se pencher : il faudra en effet déterminer, au vu des circonstances particulières de chaque espèce, si le départ du salarié doit être regardé comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, auquel cas les sommes versées doivent bénéficier de l’exonération d’impôt sur le revenu.

 

A propos de l’auteur

Stéphane Austry, avocat associé au sein du Département Doctrine Fiscale, en charge du développement de l’activité contentieuse du cabinet. En parallèle à ses activités, il est en charge de la pratique fiscale pour tous les cabinets membres du réseau CMS.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 18 novembre 2013

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