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Insuffisance professionnelle ou licenciement disciplinaire : éclairages jurisprudentiels récents

La frontière peut parfois être mince entre l’insuffisance professionnelle et la faute disciplinaire. Face à cette difficulté de qualification, la Cour de cassation par deux décisions récentes précise que le critère de différenciation peut résider dans le comportement volontaire ou non du salarié.

L’incapacité d’un salarié à remplir les tâches et missions qui lui sont assignées peut conduire l’employeur à envisager la rupture du contrat de travail. La difficulté réside alors dans la qualification choisie pour fonder le licenciement, la mauvaise exécution par un salarié de ses tâches et missions pouvant avoir plusieurs causes.

Dans deux décisions récentes du 27 novembre 2013 (n°11-22.449 et n°12-19.898), la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel l’insuffisance professionnelle ne peut, en elle-même, être fautive, tout en éclairant le débat.

Des faits reprochés a priori similaires…

Dans ces deux décisions, la Cour de cassation nous rappelle qu’en présence de faits a priori similaires, le critère différenciant peut être lié au comportement volontaire du salarié.

Dans la première décision, un directeur d’usine se voit reprocher notamment sa mauvaise gestion, sa méconnaissance des produits et ressources, son manque de communication avec les salariés ainsi qu’avec les actionnaires et les clients, son manque de transparence, …

Dans la seconde décision, une secrétaire de direction est licenciée en raison de sa négligence dans la gestion des dossiers (fautes d’orthographe, absence de classement des dossiers) et des erreurs réitérées dans l’exécution de ses tâches (absence de relance des clients concernant le paiement des factures, oubli dans la facturation de certains éléments, etc.). Il convient de noter qu’en l’espèce, la salariée avait reçu un précédent avertissement de son employeur.

Dans les deux espèces, l’employeur s’était placé sur le terrain disciplinaire pour prononcer le licenciement du salarié concerné pour faute grave. A tort dans la première espèce, avec raison dans la seconde.

Un critère de différenciation : la mauvaise volonté délibérée ou non du salarié

Dans la première espèce, la Cour de cassation remet en cause le caractère disciplinaire des griefs reprochés au salarié en précisant que ceux-ci « relevaient, à défaut de mauvaise volonté délibérée, d’une insuffisance professionnelle ».

Dans la seconde espèce, la Cour de cassation valide la faute grave en soulignant que « après avoir constaté, […], que la salariée avait été négligente dans le suivi de ses dossiers, avait réitéré des erreurs dans l’exécution des tâches lui étant dévolues et avait persisté dans son attitude malgré l’avertissement de son employeur, la cour d’appel a fait ressortir la mauvaise volonté délibérée de la salariée […] ».

Par ces deux décisions, la Cour de cassation réaffirme le principe selon lequel l’insuffisance professionnelle ne peut être fautive, sauf à ce que soit caractérisée la mauvaise volonté du salarié, permettant alors de se placer sur le terrain disciplinaire.

Une difficulté : l’appréciation potentiellement subjective de la « mauvaise volonté délibérée » du salarié

La Cour de cassation énonce ainsi un critère pour le moins subjectif, et ce, sans donner à l’employeur d’éléments susceptibles de clairement qualifier « la mauvaise volonté délibérée » du salarié, laquelle sera, le plus souvent, difficile à rapporter.

En tout état de cause, il ressort de ces deux arrêts qu’on ne saurait prendre en compte les seules conséquences pour l’entreprise du comportement reproché, lesquelles étaient dans la première espèce importantes puisque la société s’était trouvée en difficultés financières, ce qui l’amenait à considérer que l’attitude du salarié rendait impossible son maintien dans l’entreprise.

Insuffisance professionnelle : préparer et définir le motif de licenciement

En tout état de cause, le licenciement fondé sur l’insuffisance professionnelle du salarié devra être fondé sur des éléments objectifs, matériellement vérifiables, constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement.

L’employeur devra donc s’attacher à rassembler les éléments lui permettant de justifier des insuffisances du salarié en se fondant notamment sur les résultats des entretiens d’évaluation, en effectuant des comparaisons avec d’autres salariés remplissant les mêmes fonctions, …

Il devra ensuite analyser les différents éléments afin de déterminer si ceux-ci peuvent résulter d’une mauvaise volonté délibérée du salarié ou non en prenant également en compte l’adéquation du salarié à son poste.

L’enseignement de ces décisions peut être de considérer que, face à des faits difficiles à qualifier, l’absence de mauvaise volonté délibérée du salarié conduit à s’en tenir au licenciement pour insuffisance professionnelle, écartant ainsi le licenciement disciplinaire.

Adopter une attitude cohérente par rapport aux antécédents et au contexte

Dans la seconde espèce, l’employeur avait déjà adressé un avertissement à la salariée concernée pour des faits semblables.

Dans ce cadre, la mise en place d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle pouvait s’avérer plus difficile, même si la jurisprudence n’exclut pas qu’un licenciement pour insuffisance professionnelle puisse se fonder sur des faits nouveaux de même nature que ceux précédemment sanctionnés par des avertissements.

De même, le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié ayant une ancienneté importante et justifiant de nombreuses promotions, s’il n’est pas impossible, sera plus facilement contestable.

Une attention particulière à la rédaction de la lettre de licenciement

Il convient de porter une attention particulière aux termes utilisés dans la lettre de licenciement.

Un employeur qui reprocherait au salarié de ne pas faire assez d’efforts ou d’être négligent dans son travail se place, par les termes utilisés, sur le terrain disciplinaire.

A l’inverse, dans la première espèce, la lettre de licenciement mettait principalement en avant le manque de compétence et d’expérience du salarié, sa méconnaissance de l’activité, son incapacité à soutenir ses équipes, etc. et donc l’insuffisance professionnelle exclusive de la commission d’une faute.

La sanction : un licenciement considéré sans cause réelle et sérieuse

Une erreur sur le fondement du licenciement est susceptible d’entraîner l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé avec les conséquences suivantes :

  • versement de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis si le salarié avait été licencié pour faute grave ;
  • versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fixé en fonction du préjudice subi et dont le montant ne peut être inférieur à six mois de salaire pour un salarié ayant deux ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de 11 salariés ;
  • condamnation au remboursement des allocations chômage à Pôle Emploi dans la limite de six mois d’allocation lorsque le salarié a plus de deux ans d’ancienneté et que l’entreprise compte plus de 11 salariés.

Les conséquences financières faisant suite à un fondement inadéquat peuvent donc s’avérer importantes, conduisant à devoir analyser, au-delà des seuls faits, les possibles motivations du salarié dans la commission des griefs reprochés.

 

A propos des auteurs

Vincent Delage, avocat associé. Spécialisé en droit social, Vincent intervient notamment en matière de gestion des relations individuelles et collectives de travail tout comme en matière d’épargne salariale. Il conseille également ses clients sur le statut des dirigeants (mandataires sociaux et cadres dirigeants) et assure la mise en œuvre et le suivi des aspects sociaux des restructurations et réorganisations d’entreprises.

Laure Soyer, avocat, spécialisée dans l’assistance rapprochée d’entreprises dans la gestion quotidienne des problématiques sociales.

 

Article paru dans Les Echos Business du 29 janvier 2014