Intégration fiscale : un nouvel exemple de la liberté des groupes
Pour la CAA de Versailles, la conclusion des conventions d’intégration n’est subordonnée à aucun formalisme spécifique. Une étape supplémentaire a par ailleurs été franchie s’agissant des modalités de répartition de la charge d’impôt entre les sociétés du groupe.
Par un arrêt du 30 décembre 2014 (n°13VE02872, SA Safran), la Cour Administrative d’Appel de Versailles a franchi une étape nouvelle dans la reconnaissance de la liberté des entreprises en matière de conventions d’intégration fiscale et de répartition de l’impôt dans l’intégration fiscale. La Cour a en effet reconnu que l’on pouvait déroger, même de façon ponctuelle, à la convention d’intégration fiscale «type» conclue au sein du groupe et que la société mère et une filiale intégrée pouvaient s’accorder pour mettre à la charge de la société mère un impôt normalement dû par la filiale, dans des conditions spécifiques. La Cour a également jugé que la conclusion d’une convention d’intégration ou de ses avenants n’est subordonnée à aucun formalisme particulier.
L’affaire portait sur le cas d’une société mère intégrante qui avait apporté, sous le régime fiscal de faveur, à une filiale intégrée des titres de participations dont certains étaient provisionnés, les provisions pour dépréciation de titres apportés ayant été déduites des résultats de la mère dans le secteur du long terme. Pour faire face au coût fiscal lié à une potentielle reprise des provisions sur titres, les parties étaient convenues – dans le cadre de l’intégration fiscale – que la filiale bénéficiaire de l’apport partiel d’actif n’ait pas à supporter l’impôt correspondant à la reprise de provisions pour dépréciation de titres issues de cet apport, en le mettant à la charge de la société mère apporteuse. Conformément à cet accord, la filiale n’avait pas acquitté à sa mère l’impôt sur les sociétés au taux réduit correspondant aux reprises de provisions pour dépréciation des titres de participations en provenance de l’apport dont elle avait bénéficié.
L’administration fiscale a considéré que cet avantage constituait une subvention intra-groupe.
1. La conclusion des conventions d’intégration n’est soumise à aucun formalisme spécifique
Cette affaire soulevait en premier la question du formalisme des conventions d’intégration. En effet, le groupe avait mis en place une convention «type» qui plaçait les sociétés du groupe dans la situation dans laquelle elles auraient été si elles n’étaient pas intégrées, et la dérogation dont la filiale avait bénéficié avait été inscrite dans une «note intérieure groupe» adressée aux responsables exécutifs des deux sociétés. Cette note n’était pas signée par les représentants des deux sociétés et le Tribunal administratif de Montreuil (jugement du 4 juillet 2013, n°1107078) en avait tiré argument pour juger que cette note ne constituait pas un avenant à la convention d’intégration. A cet égard, devant la Cour, le rapporteur public avait souligné la nécessité d’un formalisme particulier pour permettre l’exercice du contrôle des modalités de répartition de la charge fiscale entre les sociétés membres du groupe.
La Cour n’a pas suivi la position du Tribunal et les conclusions du rapporteur public et a jugé que la conclusion d’une convention d’intégration ou de ses avenants n’est subordonnée à aucun formalisme particulier.
La Cour reconnaît ainsi que les accords relatifs à la répartition de la charge d’impôt au sein d’un groupe intégré sont des contrats consensuels, qui se concluent par le seul accord des volontés, sans qu’aucune condition de forme ne soit requise. Le Conseil d’Etat avait déjà admis dans des arrêts Electrolux du 23 octobre 1991 (n°71 791 ; 71 792 ; 72 822) la validité d’accords de gestion conclus entre deux sociétés d’un groupe, alors même qu’ils n’avaient pas été formalisés par écrit.
Au cas particulier, l’existence de cet accord de volontés dérogeant à la convention d’intégration générale par ailleurs conclue au niveau du groupe a été reconnue par la Cour eu égard au fait que (i) la note avait été adressée aux responsables des sociétés en présence, et que (ii) la règle qu’elle instituait avait été effectivement mise en œuvre.
2. Le principe de liberté en matière de répartition d’impôt dans l’intégration fiscale réaffirmé dans des conditions inédites
Depuis l’arrêt Wolseley du 12 mars 2010, il est désormais acquis que «les sociétés membres d’un groupe intégré sont libres de prévoir par une convention d’intégration les modalités de répartition entre ces sociétés de la charge de l’impôt ou le cas échéant de l’économie d’impôt résultant du régime d’intégration (…) dans des conditions telles que cette répartition ne porte atteinte ni à l’intérêt social propre de chaque société ni aux droits des associés ou des actionnaires minoritaires (…)», et les différents types de convention d’intégration fiscale ont vu leur validité reconnue par le juge, qu’il s’agisse de conventions par lesquelles la mère mutualisait l’économie d’impôt créée par les filiales déficitaires avec les filiales bénéficiaires (affaire Wolseley), réallouait aux filiales déficitaires cette économie d’impôt (affaire Océ NV, CE 24 novembre 2010), ou acceptait de prendre seule à sa charge l’impôt du groupe (affaire Kingfisher, CE 5 juillet 2013).
Deux bornes ont néanmoins été fixées par le Conseil d’Etat : la répartition ne doit pas porter atteinte à l’intérêt social propre de chaque société ni aux droits des associés ou actionnaires minoritaires.
En pratique, les sociétés filiales, membres d’un groupe d’intégration, ne doivent en effet pas être conduites à supporter une imposition supérieure à celle qu’elles auraient supportée en l’absence d’intégration fiscale, sachant que la prise en charge par la société mère d’un surplus d’impôt constitue également un acte normal dès lors qu’elle trouve sa contrepartie dans la valorisation de ses participations dans les filiales intégrées.
Dans l’affaire Safran, l’administration fiscale estimait que la réduction de la contribution au paiement de l’impôt du groupe propre à cette filiale était représentative d’une subvention indirecte dans la mesure où la société bénéficiaire de l’apport était normalement redevable de l’impôt dû sur les bénéfices futurs attachés aux actifs reçus.
La Cour n’a pas fait droit à la position de l’administration fiscale dès lors que la dérogation mise en place n’avait pas pour objet de régler les conséquences en matière d’impôt sur les sociétés d’un apport partiel d’actif, mais portait sur les modalités de répartition de la charge d’impôt entre deux sociétés intégrées.
La Cour a validé les modalités de répartition de la charge fiscale dans l’intégration fiscale dans ce contexte inédit.
La prise en charge partielle par la société mère de l’impôt sur les sociétés normalement dû par la filiale ne constituait en effet pas un acte anormal de gestion pour la filiale dans la mesure où elle n’avait pas supporté une imposition supérieure à celle qu’elle aurait subie en l’absence d’intégration. Il en était de même pour la société mère dans la mesure où cette prise en charge avait eu pour effet de valoriser sa participation dans cette filiale.
Ainsi, la répartition ne portait ni atteinte à l’intérêt social propre de chaque société, ni aux droits des associés ou actionnaires minoritaires.
3. Aucune règle n’impose de conclure des conventions d’intégration identiques pour l’ensemble des filiales
Il est donc possible pour un groupe intégré d’adapter, au cas par cas, et dans la limite de l’acte anormal de gestion fixé par la jurisprudence, les conventions d’intégration fiscales aux situations spécifiques des filiales.
En première instance, le Tribunal Administratif de Montreuil avait d’ailleurs validé la mise en place d’une convention spécifique qui dérogeait à la convention type applicable dans le groupe.
La société mère avait absorbé la société mère d’un autre groupe et avait élargi le périmètre de son groupe aux filiales du groupe dissous (en application de l’article 223 L, 6-c du CGI). Dans ce cadre, elle avait repris l’obligation de l’ancienne mère d’indemniser les filiales déficitaires sortantes. Cette obligation avait été mise en œuvre par la conclusion d’une convention d’intégration dérogatoire qui prévoyait la possibilité pour les filiales de calculer leur contribution à l’impôt du groupe en tenant compte des déficits non apurés qu’elles avaient réalisés pendant la période d’appartenance au groupe dissous.
Auteurs
Jean Guilmoto, avocat associé en droit fiscal.
Jean-Hugues de la Berge, avocat en droit fiscal.
Article paru dans le magazine Option Finance le 26 janvier 2015