L’intermédiaire commercial doit tirer les conséquences des mises en relation précédemment effectuées
Une personne physique, Monsieur X, se présentant comme courtier, avait mis en vente un véhicule sur le site Internet « leboncoin.fr ». Un visiteur du site qui souhaitait en faire l’acquisition avait signé un bon de commande à l’en-tête de la société Dreyfus Trading, la société venderesse, et versé les fonds afférents sur un compte ouvert au nom de cette société en Espagne. Par la suite, en l’absence de livraison du véhicule, l’acheteur s’était retourné contre Monsieur X.
Dans cette affaire, la qualification de l’intermédiaire posait question. En effet, Monsieur X était immatriculé au registre du commerce et des sociétés en qualité d’agent commercial. Indépendamment du fait de savoir s’il avait bien accompli toutes les formalités nécessaires pour pouvoir exercer légalement cette profession, il apparaissait qu’il n’avait jamais agi en qualité de mandataire du vendeur dans le cadre de la transaction litigieuse. Il n’avait, notamment, signé aucun document au nom et pour le compte de celui-ci.
Il semble donc plus probable que Monsieur X soit effectivement intervenu en qualité de courtier pour la vente de véhicules. Si la qualité de courtier est reconnue par l’article L.131-1 du Code de commerce, elle n’est pas définie. Cela étant, la doctrine a formulé les missions relevant du courtage : elles consistent « à rapprocher des personnes qui désirent contracter [et à faire] connaître à chaque partie les conditions de l’autre, [s’efforcer] d’arriver à une conciliation des intérêts, [conseiller] la conclusion du contrat » (P. Delebecque, M. Germain, Traité de droit commercial: tome II, LGDJ 2004, 17e éd., n° 2679). L’action d’intermédiation de Monsieur X pourrait donc très certainement, au vu de ses caractéristiques, recevoir cette qualification.
Mais ni la Cour d’appel ni la Cour de cassation ne se prononcent sur cette qualification. Seule la qualification de mandataire, dont l’exclusion est évidente, est réfutée par les juges du fond. Cela n’empêchera pas la Cour de cassation de casser l’arrêt d’appel, la cour de Bordeaux n’ayant pas recherché, comme elle y était invitée, « si M. X… n’avait pas commis une faute en s’abstenant d’informer M. Y… des difficultés de livraison rencontrées avec la société lors de ventes précédentes » (Cass Com, 22 octobre 2015, n° 15-10.380). En effet, l’acheteur malheureux avait produit des pièces attestant de plaintes de particuliers ayant subi la même mésaventure que lui, lorsqu’ils avaient commandé un véhicule à la société Dreyfus Trading, à la suite d’une annonce publiée par Monsieur X sur le site Internet « leboncoin.fr ». Une lettre du responsable du site attestait par ailleurs du caractère douteux de l’annonce, qui avait justifié son retrait de la liste des offres en ligne.
En matière de courtage, cette solution se situe dans la continuité de la jurisprudence antérieure, selon laquelle si le courtier n’est en principe pas tenu responsable de l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat, sa mission de mise en relation le contraint à vérifier la capacité et la fiabilité du vendeur et de l’acheteur. Ainsi, la responsabilité d’un courtier a déjà été retenue en cas de mise en relation d’un particulier avec une société juridiquement inexistante (Cass. com., 8 janvier 1991, n° 88-16.808) ou notoirement insolvable (Cass. 1re civ., 19 janvier 1988, n° 86-11.829). Par ailleurs, cette responsabilité peut être également recherchée si l’inexécution du contrat découle d’une faute qui lui est imputable (voir par exemple Cass. com., 11 mars 1965, n° 58-12.308). La décision de la Cour de cassation du 22 octobre 2015 s’inscrirait dans le fil de ces décisions : au cas d’espèce, Monsieur X avait une connaissance indiscutable de manquements antérieurs ; il aurait donc dû s’abstenir de mettre en relation des particuliers avec la société Dreyfus Trading.
La solution dégagée serait en revanche très novatrice si elle devait être retenue dans le cadre d’une relation d’agence commerciale, ce que la Cour de cassation ne semble pas exclure a priori. En effet, dans ce type de contrat, l’agent commercial n’est traditionnellement responsable qu’à l’égard de son mandant. En revanche, il a la qualité de tiers au contrat conclu par la suite, et ne saurait être tenu responsable de sa bonne exécution, conformément au principe de l’effet relatif des contrats (article 1165 du Code civil). Il ne peut ainsi voir sa responsabilité engagée du fait de l’inexécution des commandes transmises à son mandant, sauf à ce que son comportement réunisse les conditions de la complicité (pour un exemple, voir : Cass. crim., 30 octobre 1995, n° 94-85.542).
Si la Cour d’appel de renvoi appliquait l’analyse de la Cour de cassation et reconnaissait la responsabilité de Monsieur X en qualité d’agent commercial, cela constituerait donc une révolution. Mais la probabilité d’une telle issue est bien faible.
Auteur
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.