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Introduction des règles fiscales anti-hybrides

Introduction des règles fiscales anti-hybrides

Une complexité certaine et une application probablement limitée en pratique.

Le code général des impôts va intégrer à compter du 1er janvier 2020 un corpus de règles complexes visant à lutter contre les dispositifs hybrides. Les entreprises françaises devront analyser leurs flux internationaux au regard de concepts dont la lecture est malaisée. Du fait du caractère anti-abus de ces nouvelles règles, peu de contribuables devraient cependant avoir à les appliquer en pratique.

Le renforcement attendu de la lutte contre les dispositifs hybrides

Jusqu’à présent, les entreprises françaises effectuant des paiements d’intérêts au profit d’entités liées à l’étranger devaient s’assurer, pour les déduire, que ces intérêts avaient été assujettis à un impôt au moins égal à 25 % de l’impôt français (article 212, I-b du CGI) ; et ce afin d’éviter une situation de déduction en France et de non-imposition à l’étranger.

Ce mécanisme somme toute rustique de lutte contre une asymétrie fiscale liée à une différence de taux d’imposition devrait être abrogé par la loi de finances pour 2020, et remplacé par un dispositif anti-hybrides bien plus complet, mais également bien plus complexe.

La France est en effet tenue de transposer avant le 1er janvier 2020 en droit interne la directive ATAD 2 (Directive (UE) 2017/952 du Conseil du 29 mai 2017), qui vient mettre en œuvre au niveau communautaire l’action 2 du plan d’action de l’OCDE défini dans le cadre de la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

L’article 13 du projet de loi de finances pour 2020 (PLF) introduit ainsi les mesures préconisées pour neutraliser les effets des dispositifs hybrides, selon la méthodologie préconisée par l’OCDE et décrite dans la directive ATAD 2.

Les futurs articles 205 B, 205 C et 205 D du CGI définissent ainsi certains dispositifs hybrides et fixent de nouvelles règles afin d’empêcher les dissymétries fiscales liées à une différence de traitement d’un même flux ou d’une même entité dans un contexte international. Il s’agit de supprimer un certain nombre de phénomènes de double déduction ou de déduction d’une charge sans imposition du produit correspondant.

L’identification des dispositifs visés reste peu accessible au néophyte et implique une analyse approfondie.

Selon la terminologie de l’OCDE et de la directive, un dispositif hybride est un dispositif qui se traduit par une déduction sans inclusion (i.e., sans prise en compte d’un paiement dans le revenu imposable) ou par une double déduction, en raison d’une différence de qualification d’un instrument ou d’attribution d’un paiement.

Il s’agit donc d’identifier un effet, l’asymétrie fiscale liée à une déduction sans inclusion ou à une double déduction, et un objet : un dispositif hybride, tel que défini par la loi.

Outre certaines situations spécifiques, la loi liste quatre types de dispositifs hybrides « ordinaires », dont la définition ardue requerra toute l’attention du lecteur :

  • Les paiements effectués dans le cadre d’un instrument financier, donnant lieu à une déduction sans inclusion.

On pensera naturellement aux instruments financiers qualifiés de dette, et donnant lieu au paiement d’un intérêt déductible dans l’Etat de la partie versante, et qualifiés d’instrument de capital, donnant lieu à une rémunération exonérée (dividende) chez le bénéficiaire, même si le dispositif est d’application potentiellement plus large.

  • Les dispositifs qui sont la conséquence de différences dans l’attribution des paiements effectués à une entité hybride ou un établissement, et qui donnent lieu à une déduction sans inclusion.

Trois hypothèses sont appréhendées sous cette qualification, qui vise un paiement déductible qui n’est pas effectivement imposé du fait du caractère hybride de l’entité qui bénéficie du paiement (entité transparente dans son Etat d’établissement, et opaque du point de vue de l’Etat de l’associé), du fait des différences d’attribution des paiements entre un siège et son établissement, ou encore du fait de différences de qualification d’un établissement stable.

A chaque fois, deux Etats sont en jeu du point de vue du bénéficiaire, et ces derniers appliquent des différences de traitement conduisant à une absence d’imposition. Dans le premier cas, le paiement reçu par l’entité hybride sera considéré comme imposable dans l’Etat de l’associé du point de vue de l’Etat du siège de l’entité hybride, et inversement. Dans le second cas, le paiement reçu par l’établissement ou le siège sera considéré du point de vue de chaque Etat comme imposable dans l’autre Etat. Enfin, dans le dernier cas, le paiement reçu sera attribué à un établissement dont l’existence n’est pas reconnue dans l’Etat où il est réputé être situé.

  • Les dispositifs qui résultent de paiements effectués par une entité hybride à son propriétaire, ou de paiements réputés effectués entre le siège et son établissement, ou entre deux établissements ou plus, et qui donnent lieu à une déduction sans inclusion.

Les deux cas visés concernent tout d’abord le paiement déduit par une entité considérée comme transparente du point de vue de l’Etat du payeur, et opaque du point de vue de l’Etat de l’associé ; et les paiements réputés entre établissements, tels que des intérêts notionnels reconnus par un établissement, qui seraient déductibles dans son Etat et non imposés, car non reconnus, dans un autre Etat (du siège ou d’un autre établissement).

  •  La production d’une double déduction sera le quatrième type de dispositif hybride « ordinaire » défini par l’article 205 B du CGI, étant observé que la double déduction liée à une double résidence fiscale serait traitée spécifiquement à l’article 205 D du CGI.

Les dispositifs hybrides identifiés subissent un traitement fiscal qui dépend potentiellement du traitement fiscal d’un autre Etat.

S’agissant de dispositifs qui sont hybrides du fait de divergences d’appréciation d’une même situation par deux ou plusieurs Etats, l’OCDE (qui donne de nombreux exemples d’hybrides auquel on peut utilement se référer) a fixé des règles qui s’appliquent automatiquement, selon un ordre préétabli avec une règle principale et une règle dite secondaire ou défensive. Cela évite que plusieurs pays n’appliquent la même règle à un même dispositif, tout en écartant le risque de double imposition.

Ces principes sont repris dans la directive ATAD 2, et par suite dans le PLF pour 2020.

Selon la règle principale préconisée et mise en œuvre par la France s’agissant des hybrides « ordinaires », la déduction d’une charge ne sera pas autorisée à un contribuable français au titre d’un paiement lorsque celui-ci n’est pas inclus dans le revenu imposable du bénéficiaire dans l’Etat de la contrepartie (dispositif de déduction sans inclusion), ou lorsque cette charge est également déductible dans l’Etat de la contrepartie qui est le véritable débiteur du paiement (dispositif de double déduction).
Si cette règle principale n’a pas été appliquée dans autre Etat qui aurait indûment admis la déduction d’une charge, la France, en tant qu’Etat de la contrepartie qui aura perçu le paiement correspondant, appliquera par ailleurs une règle défensive, en prévoyant l’inclusion du paiement déductible dans le revenu (déduction sans inclusion), ou en refusant la double déduction, selon l’asymétrie constatée.

Et en pratique ?

Dès lors que les règles anti-hybrides sont des règles anti-abus, elles n’entraînent pas une révolution pour la plupart des entreprises, mais ajoutent une strate complémentaire de complexité et d’analyse.

Cette complexité est notamment due à l’intégration en droit interne d’un corpus de règles dont certaines n’ont pas vocation à être appliquées. Le cas d’hybride inversé (le paiement par une entité hybride, transparente du point de vue du payeur, et opaque du point de vue du bénéficiaire) trouvera ainsi peu d’écho compte tenu de la quasi-inexistence d’entités fiscalement transparentes en France. Pour autant, certaines dispositions (par ex. le nouvel article 205 C du CGI) sont consacrées à cette hypothèse.

En pratique, la généralité des entreprises françaises appartenant à un groupe international devra s’interroger sur le traitement fiscal de l’ensemble des paiements reçus ou versés à des entreprises associées (ou leurs établissements), afin de s’assurer de la symétrie appliquée au traitement fiscal de ces flux. La principale difficulté sera alors probablement liée à la détection des phénomènes d’hybrides importés, situations rencontrées lorsqu’un paiement déductible en France compenserait un dispositif hybride existant dans deux Etats tiers.

En revanche, l’identification des dispositifs structurés (c’est-à-dire des dispositifs utilisant un dispositif hybride et valorisant l’effet d’asymétrie fiscale, ou qui a été conçu pour générer un dispositif hybride) sera un enjeu majeur pour les acteurs du secteur financier, dès lors que la lutte contre les hybrides n’est alors pas limitée aux transactions intragroupes.

Auteur

Jean-Hugues de la Berge, avocat counsel en droit fiscal

Article paru dans le magazine Option Finance le 16 décembre 2019

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