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Investissement dans des titres de PME de moins de 10 ans puis apport : l’abattement renforcé en péril ?

Investissement dans des titres de PME de moins de 10 ans puis apport : l’abattement renforcé en péril ?

L’impôt sur le revenu applicable aux plus-values réalisées depuis 2013 est calculé sur une base réduite d’un abattement pour durée de détention, dont le taux peut atteindre 85% lorsque les titres cédés ont été acquis dans une PME de moins de 10 ans.

Cet abattement «renforcé» risque toutefois d’être perdu en cas d’apport des titres de la PME à une autre société, qu’elle soit holding animatrice ou société opérationnelle.

Le régime spécial de l’abattement «renforcé» permet de bénéficier d’une réfaction sur le montant de la plus-value taxable, dont le taux dépend de la durée de détention : 50% entre un et quatre ans, 65% entre quatre et huit ans et 85% au-delà de huit ans. Soit un avantage significatif par rapport à l’abattement dit «de droit commun», qui atteint au mieux 65% au bout de huit ans de détention.

1. Rappel de quelques conditions d’application du régime des titres de PME de moins de 10 ans

Pour que ce régime préférentiel s’applique, il faut notamment :

  • que la société dont les titres sont cédés soit une PME au sens du droit de l’Union européenne
  • que la société ait son siège dans l’Union européenne ou dans un autre Etat de l’Espace économique européen et ait une activité opérationnelle ou soit une holding animatrice de groupe (ne détenant que des filiales elles-mêmes éligibles au régime de l’abattement renforcé), ces conditions devant être respectées jusqu’à la date de la cession des titres,
  • que les titres aient été souscrits ou acquis avant le 10ème anniversaire de la création de la PME, et
  • que la PME ne soit pas issue d’une concentration, restructuration, extension ou reprise d’activités préexistantes.

Cette dernière condition soulève la question de savoir si l’apport des titres de la PME à une autre société, holding animatrice ou société opérationnelle, constitue un cas de déchéance du bénéfice de l’abattement renforcé.

2. Les commentaires laconiques du BOFIP

La doctrine administrative (BOI-RPPM-PVBMI-20-30-10-20150603 n°210 et s.) est pour le moins expéditive sur le sujet : le BOFiP évoque l’existence de «conditions d’application de l’abattement pour durée de détention lorsque les titres ou droits cédés ont été reçus lors d’une opération d’échange ou d’apport», mais se contente d’indiquer que ces conditions doivent s’apprécier au niveau de la société dont les titres ont été reçus en échange des titres de la PME d’«origine».

Dans le cas d’un apport placé sous le régime du sursis d’imposition de l’article 150-0 B du CGI, la plus-value d’apport et la plus-value de cession ultérieure sont traitées «en bloc». Ainsi, l’application de l’abattement renforcé dépendra globalement et uniquement du respect des conditions au regard de la société bénéficiaire de l’apport.

Dans le cas d’un apport relevant du régime du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI, deux plus-values doivent être isolées : (i) la plus-value d’apport calculée immédiatement avec l’abattement renforcé si les conditions sont remplies chez la société dont les titres sont apportés et (ii) la plus-value de cession ultérieure qui en bénéficiera également si les conditions sont remplies au niveau de la société bénéficiaire de l’apport.

Quel que soit le régime fiscal appliqué à l’apport, la conformité de la société bénéficiaire aux conditions de l’abattement renforcé revêt donc une importance primordiale. Le BOFiP ne précise cependant nulle part quel est à cet égard l’impact de l’opération d’apport.

3. Dans quel cas y a-t-il concentration, restructuration, extension ou reprise d’activités préexistantes ?

La notion de restructuration (au sens large) ainsi visée par le texte sur l’abattement renforcé est identique à l’une des conditions du bénéfice du régime de faveur d’imposition du résultat des entreprises nouvelles prévu par l’article 44 sexies du CGI, dont sont exclues «les entreprises créées dans le cadre d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension d’activités préexistantes ou qui reprennent de telles activités» (CGI, art. 44 sexies, III).

Le BOFiP sur l’abattement renforcé renvoie dès lors spécifiquement aux commentaires publiés pour l’application de ce régime :

Concentration et restructuration d’activités préexistantes

Les opérations de concentration et de restructuration sont celles qui permettent d’exercer des activités préexistantes dans le cadre de structures juridiques différentes à la suite d’opérations de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actif.

L’Administration a retenu trois critères cumulatifs pour déterminer si une activité a fait l’objet d’une restructuration (BOI-BIC-CHAMP-80-10-10-20-20130917 n°20) :

  • il doit exister une identité, au moins partielle, d’activité entre l’entreprise préexistante et l’entreprise nouvellement créée,
  • il doit exister des liens privilégiés entre l’entreprise créée et l’entreprise préexistante, résultant par exemple de liens en capital – cf. CE, 17 mai 1995, n°157212,
  • les moyens d’exploitation de l’entreprise préexistante doivent être transférés à l’entreprise nouvelle.
  • Reprise d’une activité préexistante

Pour déterminer s’il y a reprise, l’Administration se fonde sur deux critères dégagés par la jurisprudence :

  • l’identité d’activité entre l’entreprise nouvelle et l’entreprise préexistante,
  • l’existence d’une communauté d’intérêts entre les deux entreprises.

Cette identité, révélée au moyen d’un faisceau d’indices tels que la reprise des moyens de l’entreprise préexistante (matériel, personnel, locaux, stock), la reprise de contrats, les relations économiques et financières entre les deux entreprises (octroi d’avantages anormaux, identité de fournisseurs,…), la reprise de la clientèle ou la réalisation d’une partie significative du chiffre d’affaires avec l’entreprise préexistante.

Extension d’activités préexistantes

Il y a en principe extension d’activité lorsque deux conditions sont réunies :

  • il existe une communauté d’intérêts entre l’entreprise créée et une entreprise préexistante ; cette communauté d’intérêts peut résulter de liens personnels (identité de dirigeants en droit ou en fait), ou de liens financiers ou commerciaux caractérisant une dépendance,
  • l’activité de l’entreprise créée prolonge celle de l’entreprise préexistante.

4. Comment interpréter la condition d’absence de concentration, restructuration, extension ou reprise d’activités préexistantes dans le cas d’un apport ?

Il ressort des commentaires administratifs sur le régime des entreprises nouvelles que l’apport à une nouvelle société ne constitue pas une cause systématique d’exclusion ; en conséquence, seule une analyse des faits au cas par cas permet de statuer sur l’application de l’abattement renforcé.

De manière synthétique, on peut retenir de la jurisprudence et de la doctrine administrative qu’une situation de «restructuration» (au sens générique du terme) est caractérisée lorsque cumulativement :

  • il existe des liens de dépendance capitalistiques, économiques, juridiques, etc. entre les entreprises ;
  • les activités des entreprises sont soit similaires, soit connexes et complémentaires.
    Lorsque tel n’est pas le cas, il est possible de soutenir que la plus-value de cession des titres de la société bénéficiaire de l’apport est éligible à l’abattement renforcé.

Cependant, il existe à notre avis une situation dans laquelle l’Administration devrait vraisemblablement exclure en toute occurrence l’application de l’abattement renforcé : celle où les titres apportés avaient été acquis alors que la société avait été créée il y a plus de 10 ans ; on peut en effet douter que l’apport à une société de moins de 10 ans permette de «rafraichir» le contexte d’origine.

Conclusion

Les personnes physiques propriétaires de titres de PME de moins de 10 ans doivent donc envisager avec beaucoup de prudence la réalisation d’opérations d’apport : elles pourraient s’en trouver privées du bénéfice de l’abattement renforcé.

D’autant plus que lors d’une conférence organisée par l’Institut des avocats conseils fiscaux le 13 octobre 2015, le représentant de la Direction de la législation fiscale a précisé que l’apport de plusieurs sociétés opérationnelles éligibles à l’abattement renforcé à une nouvelle société qui deviendrait la holding animatrice de son groupe constituerait une reprise d’activités préexistantes.

Afin d’améliorer la sécurité juridique des contribuables, il serait souhaitable que l’Administration établisse des lignes directrices pour déterminer quand une opération d’apport est susceptible de constituer par elle-même une « restructuration » (au sens générique du terme) remettant en cause la qualification de PME de moins de 10 ans pour le bénéfice du régime de l’abattement renforcé.

 

Auteur

Luc Jaillais, avocat associé, spécialisé en fiscalité directe : Impôt sur les sociétés et fiscalité patrimoniale.

Florian Burnat, avocat en droit fiscal

 

Investissement dans des titres de PME de moins de 10 ans puis apport : l’abattement renforcé en péril ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 16 novembre 2015