Les jeux vidéo : le sport du 21ème siècle?
16 janvier 2019
Avec plus de cinq millions de spectateurs et près d’un million de pratiquants réguliers en France1, l’importance économique prise par le « e-sport » a conduit le législateur à encadrer ce secteur par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Cette loi a notamment créé le statut juridique du joueur professionnel de jeux vidéo (« e-sportif »).
Qu’est-ce que le e-sport et quel statut du joueur ?
Le e-sport ou sport électronique désigne les confrontations entre joueurs, seul ou en équipe, sur des jeux vidéo dans le cadre d’une compétition. Le développement professionnel de cette pratique par l’organisation de compétitions -la France accueillera en 2019 la finale des Worlds, mondiaux du jeu League of Legends- et le versement de prize-money de plusieurs millions de dollars soulèvent de substantielles questions notamment au regard du statut des joueurs.
Nombres d’équipes plus ou moins structurées ont vu le jour, engageant des joueurs le plus souvent dans le cadre de contrat de prestations de services. Or, les conditions d’exercice de cette activité (entrainement imposé et encadré, rémunération forfaitaire mensuelle, obligation de streaming, exclusivité du joueur, etc.) exposent à un risque significatif de requalification en contrat de travail.
On observe ainsi que l’e-sport présente d’incontestables points communs avec le sport traditionnel : entraînement, spectacle, fans, sponsors, clubs, performance.
Le législateur organise un statut salarié du e-sportif imparfaitement abouti
Malgré les préconisations du député Salles et du Sénateur Durain, auteurs d’un rapport « concernant la pratique compétitive du jeu vidéo » paru en juin 2016, le législateur n’a pas choisi d’appliquer les dispositions du Code du sport aux joueurs de jeux vidéo, considérant que l’e-sport ne peut être assimilé au sport eu égard à l’absence « l’effort physique »2 , ce qui est d’ailleurs discutable.
La loi pour une République numérique a créé un contrat à durée déterminée (CDD) spécifique aux e-sportifs applicable à  « toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique ». La durée de ce contrat d’un type particulier ne pourra en principe être inférieure à 12 mois, supposé correspondre à la durée d’une saison de jeux vidéo compétitifs, ni supérieure à cinq ans ; sont en outre exclues certaines dispositions du Code du travail telles que les cas de recours aux CDD de droit commun, les périodes de carences entre chaque CDD ainsi que l’indemnité de fin de contrat.
Le régime ainsi mis en place peut s’avérer inadapté et contraignant. Il impose une contrainte administrative lourde : la société doit faire une demande d’agrément à renouveler tous les trois ans.
La période minimale de 12 mois du CDD n’est pas en phase avec la durée réelle des saisons de tournois qui diffère d’un jeu vidéo à l’autre3.
Enfin, le régime institué ne prend pas en compte le caractère international de l’activité du e-sportif, la majorité des tournois se déroulant à l’étranger.
Quel régime social et fiscal pour les rémunérations ?
Les rémunérations versées aux e-sportifs prennent des formes variées : revenu mensuel versé par leur club (« team « ), cash prize, revenus du merchandising d’image et de streaming des entraînements, en relation avec les conditions d’exercice de leurs activités.
Autant de circonstances qui apparentent encore plus l’e-sportif aux sportifs professionnels, tels que les footballeurs, cyclistes, basketteurs, dont la situation est bien connue de la jurisprudence sociale et fiscale.
Dans le cadre d’un contrat de travail, conclu comme tel ou assimilable, la totalité des revenus et gains relève des régimes du travailleur salarié. Mais reste-t-il un espace pour un statut indépendant d’e-sportif ? Et qu’en est-il des cotisations sociales lorsqu’aucune activité n’est exercée en France ?
Aucune position officielle n’a été prise à ce jour. Seul le rapport Salles et Durain de 2016 aborde la question et conclue, à tout le moins, au caractère cotisable/imposable : les « gains de compétition, de même que tous les autres revenus des joueurs, sont imposables selon les règles de droit commun, en fonction des montants concernés et du statut adopté ».
Une confirmation des conditions d’imposition des e-sportifs, en ligne avec les jurisprudences déjà rendues s’agissant des sportifs professionnels, serait néanmoins la bienvenue, permettant notamment de clarifier les modalités d’application de « l’année blanche » aux revenus 2018 des e-sportifs.
Notes
1 Baromètre France ESPORTS 2018 – France ESPORTS
2 Travaux parlementaires de la loi pour une République numérique ; réponse ministérielle à question écrite n°3526 (JOAN Q 19 juin 2018, p.5389).
3 Arrêté du 17 avril 2018 fixant la liste des dates de début et de fin de saison de compétitions de jeux vidéo
Auteurs
Justine Vasse, avocat en droit social
Morgan Toanen, avocat, en droit fiscal
Les jeux vidéo : le sport du 21ème siècle ? – Article paru dans les Echos Exécutives le 16 janvier 2019
A lire également
L’extension du passeport talent aux joueurs professionnels de jeux vidéo et Ã... 5 octobre 2023 | Pascaline Neymond
Dessins et modèles communautaires : de la portée territoriale d’une décisi... 15 mars 2018 | CMS FL
La loi pour une République numérique renforce les pouvoirs de l’ARCEP... 12 décembre 2016 | CMS FL
Dans quel cadre désigner un délégué syndical ?... 30 juin 2016 | CMS FL
Publication d’une ordonnance pour faciliter l’identification électronique... 20 février 2018 | CMS FL
Le motif de licenciement des « précisions » attendues mais incomplètes... 1 octobre 2020 | CMS FL Social
Crédit d’impôt jeux vidéo : un nouveau coup de pouce fiscal... 15 novembre 2017 | CMS FL
Transaction rédigée en termes généraux : quelle est sa portée sur le sort d... 7 avril 2021 | CMS FL Social
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?