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La compétence de la commission arbitrale des journalistes pour fixer l’indemnité de licenciement des journalistes

La compétence de la commission arbitrale des journalistes pour fixer l’indemnité de licenciement des journalistes

La cour d’appel de Paris (Pole 6 – Chambre 9), aux termes d’une décision en date du 31 août 2016 (RG n°S15/01648), vient d’affirmer clairement que la commission arbitrale des journalistes est seule compétente, en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, et ce quelle que soit la cause du licenciement, pour fixer le montant de l’indemnité de licenciement due au journaliste professionnel comptant plus de 15 années d’ancienneté.

Ce principe doit valoir également en cas de licenciement pour faute grave ou fautes répétées du journaliste.

La solution ainsi dégagée vise plus spécifiquement la situation d’un salarié licencié en raison de son inaptitude physique consécutive à une maladie professionnelle, engendrant au profit du journaliste, en application de l’article L 1226-14 du Code du travail, un droit à perception d’une «indemnité spéciale de licenciement» égale au double de l’indemnité de licenciement visée à l’article L 1234-9 du même code.

La compétence de la commission arbitrale des journalistes

  • Situations dans lesquelles la commission arbitrale des journalistes est compétente

Il ressort des articles L 7112-4 et D 7112-2 du Code du travail que la commission arbitrale des journalistes est seule compétente pour déterminer l’indemnité de licenciement revenant à un journaliste professionnel dès lors :

  • qu’il compte plus de 15 ans d’ancienneté (la Cour de cassation a également rappelé ce principe – en ce sens notamment Cass. soc. 19 juillet 1988, n°86-41641 ; Cass. soc. 24 septembre 2008, n°07-40264) ;
  • et/ou qu’il est licencié pour faute grave ou pour fautes répétées (cette solution a été rappelée par la Haute Cour dans plusieurs décisions (en ce sens notamment Cass. soc. 13 avril 1999, n°97-40090 ; Cass. soc. 29 mars 1995, n°91-45876).

Les deux articles précités précisent par ailleurs que l’indemnité de licenciement peut être réduite dans une proportion arbitrée par la commission arbitrale, ou même supprimée, en cas de faute grave ou de fautes répétées.

De la même manière, la commission arbitrale est compétente lorsque la rupture du contrat de travail intervient à l’initiative du journaliste professionnel, si cette rupture est motivée par l’une des circonstances suivantes (article L 7112-5 du Code du travail) :

  • cession du journal ou du périodique ;
  • cessation de la publication du journal ou du périodique pour quelque cause que ce soit ;
  • changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou du périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux.

Ces dernières hypothèses doivent trouver application pour autant que le journaliste professionnel compte, là encore, plus de 15 ans d’ancienneté.

  • Situations dans lesquelles la commission arbitrale des journalistes n’est pas compétente

Le conseil de prud’hommes, puis la Cour d’appel, sont en revanche seuls compétents pour connaître, à titre d’illustrations :

  • de la qualité ou non de journaliste de l’intéressé ;
  • de la détermination de l’ancienneté du journaliste (Cass. soc. 18 juillet 1961, n°60-40.478) ;
  • de la légitimité de la rupture du contrat de travail et octroyer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 8 juillet 1992, n°89-41343 ; Cass. soc. 22 mai 1995, n°91-43448) ;
  • de l’octroi ou non d’une indemnité de préavis (Cass. soc. 17 mars 1993, n°90-42467 ; Cass. soc. 8 juillet 1992, n°89-41343) ;
  • de la remise des documents sociaux au journaliste.

Ils sont également compétents pour se prononcer sur une demande d’indemnité de licenciement revenant à un salarié comptant moins de 15 ans d’ancienneté, pour autant qu’il ne se soit pas vu notifier un licenciement pour faute grave ou pour fautes répétées, auquel cas la commission arbitrale des journalistes retrouverait sa pleine et unique compétence.

La Cour de cassation a jugé également, dans une série d’arrêts qu’elle a rendus le 9 avril 2015 (pourvois n°13-23.588 13-23.589 13-23.590 13-23.591 13-23.630 13-23.631 13-23.632 13-23.633 13-23.883 13-23.884 13-23.885 13-23.886) concernant France TELEVISIONS que le départ d’un journaliste dans le cadre d’un plan de départ volontaire ne s’analyse pas en une rupture à l’initiative de l’employeur, de telle sorte que la commission arbitrale des journalistes n’est pas compétente pour déterminer le quantum de l’indemnité de licenciement revenant aux journalistes dont le contrat de travail a été rompu dans ces conditions.

L’apport de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 août 2016 (concernant également France TELEVISIONS)

Dans l’affaire tranchée par la cour d’appel de Paris le 31 août 2016, un journaliste s’est vu reconnaître par la CPAM le bénéfice de la législation professionnelle concernant une maladie qu’il a déclarée.

Par la suite, en l’absence de solutions de reclassement, ce journaliste s’est vu notifier son licenciement en considération, d’une part, de son inaptitude physique constatée par le médecin du travail, et d’autre part, de l’absence de reclassement possible.

Le journaliste va d’abord saisir la juridiction prud’homale, puis la Cour d’appel et enfin la Cour de cassation de diverses demandes concernant la légitimité de son licenciement et d’autres sujets concernant l’exécution de son contrat de travail.

Comptant plus de 15 ans d’ancienneté, il va par la suite saisir la commission arbitrale des journalistes aux fins de voir fixer par cette dernière l’indemnité de licenciement lui revenant. Il sollicitait à ce titre la somme de 440 000 euros.

Aux termes d’une sentence en date du 4 janvier 2012, la commission arbitrale des journalistes à octroyer à ce journaliste, au titre de son indemnité de licenciement, la somme de 220 000 euros.

Ce salarié va saisir à nouveau le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel de Paris aux fins que ces juridictions sociales condamnent son employeur (France TELEVISIONS) à un complément d’indemnité de licenciement d’un montant, également, de 220 000 euros.

Le raisonnement de ce journaliste était le suivant :

  • l’article L 1226-14 du Code du travail prévoit que le salarié licencié en raison d’une inaptitude physique consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle est éligible à «une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L 1234-9» ;
  • dès lors que l’article L 7112-3 du Code du travail prévoit que l’indemnité de licenciement revenant à un journaliste ne peut être inférieure à la somme représentant un mois par année ou fraction d’année de collaboration des derniers appointements, l’indemnité spéciale de licenciement visée à l’article L 1226-14 du Code du travail doit s’entendre, en l’occurrence, non pas du double de l’indemnité visée à l’article L 1234-9 du travail (1/5e de mois par année d’ancienneté auquel s’ajoutent 2/15e de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté) mais du double de celle visée à l’article L 7112-3 du Code du travail (un mois par année ou fraction d’année d’ancienneté) ;
  • la somme de 220 000 euros octroyée par la commission arbitrale des journalistes aux termes de sa sentence du 4 janvier 2012, s’entendant de la première partie de l’indemnité de licenciement lui revenant, les juridictions sociales de première puis de seconde instances sont compétentes pour lui octroyer la seconde partie, du même montant, à titre de solde d’indemnité de licenciement.

De son côté, France TELEVISIONS a développé plusieurs moyens de procédure et de fond, pour faire échec à cette demande.

Elle a soutenu, devant le conseil de prud’hommes puis devant la cour d’appel de Paris :

  • tout d’abord :
    o que seule la commission arbitrale des journalistes est habilitée à statuer sur le principe et le quantum de l’indemnité de licenciement revenant au journaliste dès lors qu’il justifie de plus de 15 ans d’ancienneté ;
    o qu’ils se déclarent incompétents pour statuer sur ce litige.
  • dans un second temps qu’ils déclarent les demandes du journaliste irrecevables :
    o en tant tout d’abord que la décision de la commission arbitrale des journalistes en date du 4 janvier 2012 a autorité de la chose jugée (article 122 du Code de Procédure civile) ;
    o en vertu ensuite du principe de l’unicité de l’instance visé à l’article R 1452-6 du Code du travail, le salarié ayant eu la possibilité, lors de la première instance qu’il a introduite et qui s’est soldée par un arrêt de la Cour de cassation, de présenter cette demande.
  • dans un troisième temps, qu’il déboute en tout état de cause le journaliste de sa demande, celle-ci n’étant aucunement fondée sur le fond.

Dans son jugement en date du 26 janvier 2015, le conseil de prud’hommes de Paris s’est reconnu compétent, mais a déclaré irrecevable la demande de complément d’indemnité de licenciement qui lui était présentée.

Par son arrêt en date du 31 août 2016, la Cour d’appel a infirmé ce jugement en ce qu’il a retenu sa compétence et déclaré irrecevable la demande du journaliste, et s’est déclarée incompétente pour statuer sur cette dernière. Elle a, pour ce faire, retenu la motivation suivante :

«Il résulte de ces dispositions (celles de l’article L 7112-4 du Code du travail) que la commission arbitrale des journalistes est seule compétente, en cas de rupture à l’initiative de l’employeur et ce quelle que soit la cause du licenciement pour fixer le montant de l’indemnité de rupture due au journaliste professionnel ayant plus de quinze années d’ancienneté.
Dès lors, le juge prud’homal n’a pas compétence pour statuer sur l’octroi au bénéfice du journaliste d’une indemnité de licenciement, y compris sur le fondement de l’article L 1226-14 du Code du travail prévoyant que le licenciement d’un salarié devenu inapte consécutivement à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ouvre droit au bénéfice de celui-ci d’une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité telle que prévue par l’article L 1234-9 du même Code (…).
(…) la Cour se déclare incompétente pour statuer sur ce chef de demande dont connaît de manière exclusive la commission arbitrale des journalistes, laquelle a statué en l’espèce par décision du 4 janvier 2012».

La Cour d’appel rappelle donc ainsi avec force et clarté que la commission arbitrale des journalistes a une compétence exclusive pour déterminer le quantum de l’indemnité de licenciement revenant à un journaliste professionnel licencié pour faute grave ou fautes répétées et/ou lorsqu’il compte plus de 15 années d’ancienneté, quelle que soit la cause du licenciement.

On peut être frustré par le fait qu’en statuant de la sorte, la Cour d’appel ne se soit pas prononcée sur la question de fond qui lui était posée et qui n’a semble-t-il pas encore été tranchée à ce jour. Le journaliste licencié pour une inaptitude physique consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle peut-il revendiquer une indemnité de licenciement égale au double non pas de celle déterminée en application de l’article L 1234-9 du Code du travail, applicable d’une manière générale pour les salariés de droit commun (soit 2 fois la règle 1/5e majorée de 2/15e au-delà de 10 ans), mais de celle calculée en application de l’article L 7112-3 du même Code (soit 2 fois un mois par année ou fraction d’année d’ancienneté)?

Le débat sur ce point reste donc entier, même si de nombreux arguments militent assez clairement pour que l’indemnité spéciale de licenciement soit égale au double de l’indemnité visée à l’article L 1234-9 du Code du travail (où à celle définie dans la convention collective – mais non doublée – si elle est plus favorable au journaliste).

Auteur

Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social

La compétence de la commission arbitrale des journalistes pour fixer l’indemnité de licenciement des journalistes – Article paru dans Les Echos Business le 7 septembre 2016