La consultation des délégués du personnel lors du reclassement du salarié inapte physiquement
4 juillet 2017
Depuis le 1er janvier 2017, l’employeur a l’obligation de consulter les délégués du personnel sur les perspectives de reclassement d’un salarié déclaré inapte physiquement par le médecin du travail, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle (accident du travail ou maladie professionnelle) ou non (maladie ou accident de trajet).
Dans un arrêt du 23 mai 2017 (n°15-24713), la Cour de cassation vient de juger d’une part que l’employeur est en droit de convoquer les délégués du personnel par la voie d’un courrier électronique, et d’autre part que le Code du travail n’impose aucun formalisme s’agissant de la manière dont il entend recueillir l’avis des délégués du personnel.
C’est ici l’occasion de rappeler les principes essentiels entourant la consultation des délégués du personnel par l’employeur en présence d’une inaptitude physique d’un salarié, dûment constatée par le médecin du travail.
1. L’obligation de consulter les délégués du personnel
Avant la loi Travail du 8 août 2016, le législateur avait prévu, s’agissant exclusivement des salariés dont l’inaptitude physique était consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, l’obligation de recueillir l’avis des délégués du personnel sur les propositions de reclassement susceptibles d’être envisagées lorsqu’ils n’étaient plus, à l’issue de leur arrêt de travail et selon l’appréciation du médecin du travail, en situation de reprendre l’emploi qu’ils occupaient précédemment (cf ancien article L 1226-10 du Code du travail).
La loi Travail a eu pour effet d’harmoniser le régime de l’inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle avec celui de l’inaptitude résultant d’une maladie (ou d’un accident de trajet) (cf articles L 1226-2 et L 1226-10 nouveaux du Code du travail).
De telle sorte que, depuis le 1er janvier 2017, l’employeur doit dans tous les cas d’inaptitude physique du salarié, dûment constatée par le médecin du travail, solliciter l’avis préalable des délégués du personnel sur les propositions de reclassement qu’il envisage de présenter au salarié concerné.
Cette consultation doit intervenir en tout état de cause, y compris en présence d’une impossibilité de reclasser le salarié concerné.
2. Les conséquences de l’absence de consultation des délégués du personnel
En l’absence de consultation des délégués du personnel, l’employeur s’expose :
- d’une part à des conséquences pénales (caractérisation possible d’un délit d’entrave) ;
- d’autre part à des conséquences financières extrêmement importantes en cas de licenciement du salarié. Il ressort en effet de l’article L 1226-15 du Code du travail que si le licenciement du salarié déclaré inapte par le médecin du travail est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié, telles que visées aux articles L 1226-10 à L 1226-12 du Code du travail (l’absence de consultation des délégués du personnel entre dans ce cadre), le conseil de prud’hommes peut proposer aux parties la réintégration du salarié. A défaut d’accord des parties quant à cette réintégration, le conseil de prud’hommes devra octroyer au salarié une indemnité équivalente au minimum à 12 mois de salaire. A noter que si la loi Travail a uniformisé l’obligation de consulter les délégués du personnel quelle que soit l’origine (professionnelle ou non) de l’inaptitude, elle ne semble pas avoir harmonisé la sanction de l’indemnité minimale de 12 mois, qui existait précédemment pour la seule inaptitude physique d’origine professionnelle. Cette sanction ne paraît pas, à la lecture de l’article L 1226-15 (nouveau) du Code du travail, viser la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié, telles que visées aux articles L 1226-2 et suivants du Code du travail concernant l’inaptitude d’origine non professionnelle.
- s’agissant du licenciement d’un représentant du personnel, à ce que l’administration du travail refuse d’autoriser ledit licenciement, le Conseil d’Etat ayant considéré cette consultation comme une formalité substantielle.
Dans l’hypothèse où il serait constaté une absence de consultation des délégués du personnel doublée d’une autre irrégularité ou d’un autre manquement de l’employeur, telle que l’absence de mention dans la lettre de licenciement de l’impossibilité de reclasser le salarié (Cass. soc. 23 mai 2017, n°16-10580) ou une absence de recherche de solutions de reclassement (Cass. soc. 16 décembre 2010, n°09-67446), la Cour de cassation a jugé que le salarié était éligible non pas à une double indemnité, mais à une seule et même indemnité, au minimum égale à 12 mois de salaire.
Notons enfin que la consultation d’autres institutions représentatives du personnel, telles que le CHSCT ou le comité d’entreprise, aux lieu et place des délégués du personnel, n’a pas pour effet de rendre régulière la procédure consultative, telle que visée aux articles L 1226-2 et L 1226-10 du Code du travail, lesquels visent exclusivement les délégués du personnel.
De la même manière, l’employeur qui n’est pas doté de délégué du personnel alors qu’il remplit les conditions pour justifier de la présence obligatoire de tels représentants du personnel, ne peut s’exonérer d’une absence de consultation de ces derniers que par la production d’un procès-verbal de carence démontrant qu’il a effectivement organisé des élections professionnelles, mais qu’aucun candidat ne s’est présenté et/ou n’a été élu.
En l’absence d’un tel procès-verbal de carence, lequel justifie l’absence de délégués du personnel dans l’entreprise, l’employeur ne respecte pas l’obligation de consultation des délégués du personnel et implique, par application de l’article L 1226-15 susvisé du Code du travail, l’octroi au salarié de l’indemnité minimale de 12 mois de salaire rappelée ci-avant (en ce sens Cass. soc. 11 mai 2016, n°14-12169).
3. A quel moment les délégués du personnel doivent-ils être consultés ?
L’avis des délégués du personnel doit être recueilli :
- après les deux visites (ou une visite unique dans certains cas) du médecin du travail, étant précisé que la consultation desdits délégués entre les deux est irrégulière (Cass. soc. 15 octobre 2002, n°99-44623). En présence d’une telle situation, il appartiendra à l’employeur de consulter à nouveau les délégués du personnel postérieurement au second avis du médecin du travail ;
- après que l’inaptitude physique ait été constatée dans les conditions légales par le médecin du travail et avant la proposition à l’intéressé d’un poste de reclassement approprié à ses capacités (Cass. soc. 28 octobre 2009). Selon l’alinéa 2 de l’article L 1226-10 du Code du travail, l’avis des délégués du personnel doit précéder les propositions de reclassement présentées aux salariés (« cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail (…) »).
4. Le formalisme entourant la consultation des délégués du personnel
Le Code du travail ne prévoit aucun formalisme particulier s’agissant de la consultation des délégués du personnel.
La Cour de cassation estime également (en ce sens Cass. soc. 23 mai 2017, n°15-24713) qu’aucune forme particulière n’est requise pour recueillir l’avis des délégués du personnel.
Il a été tranché par le passé, à titre d’illustration :
- que rien n’impose à l’employeur de devoir recueillir l’avis des délégués du personnel de façon collective, au cours d’une réunion (Cass. soc. 29 avril 2003, n°00-46477), de telle sorte que les délégués du personnel peuvent être consultés individuellement ;
- que les délégués du personnel peuvent être consultés par téléphone (Cass. soc. 15 décembre 2015, n°14-14688).
Le 23 mai 2017 (n°15-24713) la Haute Cour a estimé, contrairement aux juges du fond saisis dans cette affaire, que la convocation des délégués du personnel « par voie électronique » était parfaitement régulière.
Ce faisant, la Cour de cassation a aligné sa jurisprudence sur celle qu’elle a rendue à propos de la convocation des membres du CHSCT (Cass. soc. 25 novembre 2015, n°14-16067), admettant ainsi que les membres de cette institution puissent être convoqués par courriel, à partir du moment où tous en ont bien été destinataires, ou de la possibilité pour un syndicat de notifier aux syndicats signataires d’un accord collectif, par la voie électronique, son opposition à l’entrée à vigueur de cet accord (Cass. soc. 23 mars 2017, n°16-13159).
Dans tous les cas, il appartiendra à l’employeur de se ménager un mode de preuve efficace et pertinent lui permettant, en temps utile, de s’appuyer sur des éléments concrets (mails et accusés de réception, courriers, attestations, comptes rendus, procès-verbaux, etc.) démontrant la réalité de la consultation intervenue. Il devra veiller, s’il entend communiquer par la voie électronique avec les délégués du personnel, à solliciter de ces derniers qu’ils accusent bonne réception de ses messages.
Les risques encourus imposent en effet à l’employeur qu’il soit, en la matière, particulièrement rigoureux.
Pour éviter, ou à tout le moins limiter les contestations éventuelles par le salarié, la voie de la consultation collective des délégués du personnel, dûment convoqués en bonne et due forme, doit être privilégiée. La présence en un même lieu et en un même temps de l’ensemble des délégués du personnel pourra à cet égard créer une émulation des idées, réflexions et suggestions, laquelle pourra profiter, au final, au salarié concerné dont l’objectif est de se voir proposer des solutions de reclassement concrètes.
Ce n’est que dans le cas d’hypothèses plus marginales (exemples : éloignement géographique des délégués, urgence à solliciter un avis) que la voie de la consultation individuelle, via la messagerie électronique, pourra être envisagée.
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social
La consultation des délégués du personnel lors du reclassement du salarié inapte physiquement – Article paru dans Les Echos Business le 3 juillet 2017
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