La convention fiscale franco-luxembourgeoise mise aux dernières normes de sécurité budgétaire
La signature d’une nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg le 20 mars 2018 fait rentrer les relations franco-luxembourgeoises dans l’ère post-BEPS
Depuis plusieurs années, les autorités fiscales françaises et luxembourgeoises avaient entrepris de rectifier certains défauts de la convention fiscale entre les deux Etats, notamment en matière de plus-values et revenus immobiliers. Dernier en date, l’avenant signé le 5 septembre 2014 avait notamment mis fin au particularisme de l’article relatif aux gains en capital pour taxer dans l’Etat du lieu de situation des immeubles les cessions de parts tirant plus de 50% de leur valeur d’actifs immobiliers, rapprochant ainsi sur ce point la convention du modèle de convention OCDE. Ces avenants successifs s’apparentaient toutefois encore à l’application de pansements isolés à un corps ancien qui, par sa structure et son caractère incomplet, portait sérieusement la marque de son âge : soixante ans (âge épanoui pour les humains, âge décrépit pour les textes). Il fallait donc revoir l’édifice et, quitte à le restructurer, s’assurer qu’il respecte bien les normes de sécurité les plus récentes, lesquelles s’entendent, pour les Etats, de normes ayant pour objectif de protéger les finances publiques.
L’impact pratique de cette révision (qui pourrait se faire sentir dès 2019 si les procédures de ratification et de notification réciproque ont lieu en 2018) est potentiellement considérable et concerne tant les personnes physiques que les personnes morales. On tentera d’en présenter les principaux enjeux sans prétendre à l’exhaustivité.
1- De nouvelles règles de répartition du droit d’imposer
La nouvelle convention révise de façon substantielle l’équilibre fiscal franco-luxembourgeois à plusieurs égards, non seulement en matière immobilière (ce point surtout ayant retenu l’attention de la plupart des commentateurs) mais également dans d’autres secteurs.
En matière d’imposition des bénéfices, la nouvelle convention prévoit le standard de l’OCDE :un principe d’imposition exclusif dans l’Etat de résidence de l’entreprise, à moins qu’elle n’exerce son activité dans l’autre Etat par l’intermédiaire d’un établissement stable (art. 7). Ce dernier est lui-même défini en empruntant aux travaux BEPS une définition très large (notamment s’agissant de la caractérisation d’un agent dépendant). On signale également que l’article 22 relatif à l’élimination de la double imposition prévoit, s’agissant de la France, que « nonobstant toute autre disposition de la présente Convention, le revenu reçu (…) par un résident de France qui est imposable au Luxembourg (…) est également imposable en France ». L’impôt français est alors calculé sous déduction d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt payé au Luxembourg sur ce revenu, sans pouvoir excéder le montant de l’impôt français correspondant. C’est dire que la convention ne prévoit pas d’exonération en France des profits alloués à un établissement stable luxembourgeois, ce qui diverge de la rédaction habituelle des conventions selon laquelle les revenus d’un résident français imposables dans l’autre Etat sont pris en compte pour le calcul de l’impôt français « lorsqu’ils ne sont pas exemptés de l’impôt sur les sociétés en application de la législation interne française ».
L’imposition des revenus d’emploi (art. 14) suit la structure du modèle OCDE en prévoyant une imposition dans l’Etat d’exercice de l’activité, sauf pour des missions temporaires n’excédant pas 183 jours et dont la rémunération est supportée par un employeur résident dans l’autre Etat contractant. Le point 3 du protocole précise qu’un résident d’un Etat contractant qui exerce un emploi dans l’autre Etat contractant et qui, au cours d’une période imposable, est physiquement présent dans le premier Etat et/ou dans un Etat tiers pour y exercer un emploi durant une ou des périodes n’excédant pas au total 29 jours, est considéré comme exerçant effectivement son emploi dans l’autre Etat durant toute la période imposable.
Les revenus immobiliers d’un résident d’un Etat contractant sont imposables dans l’Etat de situation de l’immeuble (art. 6), mais sans que celui-ci puisse toujours prétendre à un droit d’imposition exclusif, compte tenu de la généralisation par la France de la méthode du crédit d’impôt plutôt que de l’exemption. La même règle s’applique pour les plus-values portant sur des immeubles détenus en direct ou sur des parts de société tirant plus de 50% de leur valeur (à tout moment au cours des 365 jours qui précèdent l’aliénation) d’immeubles situés dans l’autre Etat.
Les plus-values mobilières ne sont imposables en principe que dans l’Etat de résidence du cédant mais il est fait exception à ce principe en cas de cession d’actions ou de parts faisant partie d’une participation substantielle dans le capital d’une société résidente de l’autre Etat. La règle ne s’applique que si la participation dépasse 25% des droits aux bénéfices et surtout -ce qui est plus inhabituel- si le cédant a été résident de l’autre Etat contractant à un moment quelconque au cours des cinq années précédant l’aliénation. Il conviendra donc de s’interroger sur l’articulation entre cette nouvelle règle et « l’exit tax » française qui s’applique aux personnes physiques qui transfèrent leur domicile fiscal à l’étranger (CGI, art. 167 bis).
L’imposition des dividendes est substantiellement revue (art. 10). Oubliées les dispositions anciennes qui faisaient encore référence à l’avoir fiscal… Le nouveau texte introduit une exonération d’impôt dans l’Etat de source lorsque la distribution est faite au profit d’une société qui détient au moins 5% du capital de la société distributrice pendant une période de 365 jours (cette période n’étant pas interrompue par des restructurations affectant la société bénéficiaire). Dans les autres cas, il est admis que l’Etat de source prélève un impôt qui ne pourra excéder 15% du montant brut des dividendes (mais ce taux ne devrait pas être atteint en France où, depuis l’introduction du prélèvement forfaitaire unique, le dividende est en principe soumis à l’impôt sur le revenu au taux de 12,8%). Reste le cas des dividendes payés à partir de revenus ou gains tirés de biens immobiliers au sens de l’article 6 par un véhicule d’investissement établi dans un Etat contractant qui distribue la plus grande partie de ces revenus annuellement et dont les revenus ou les gains tirés de ces biens immobiliers sont exonérés d’impôt : ils sont en principe imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire, mais alors qu’en l’état de la convention antérieure à la révision, une retenue de 5% était pratiquée aux dividendes distribués notamment par une SIIC ou un OPCI résident de France (si le bénéficiaire en détenait plus de 25%), la nouvelle convention met en place un niveau de retenue à la source qui dépend du pourcentage de détention de l’investisseur. Ainsi, si le bénéficiaire effectif détient moins de 10% du véhicule d’investissement immobilier français, une retenue à la source de 15% sera applicable ; si le bénéficiaire effectif détient plus de 10% d’un tel véhicule, le taux de retenue à la source applicable sera le taux de droit interne ; soit 30% si le destinataire est une société luxembourgeoise imposable ; ou 15% si le destinataire est un véhicule d’investissement immobilier luxembourgeois assimilable à un véhicule français. L’impact pourrait être majeur pour le secteur immobilier.
Ajoutons à cela l’introduction d’une retenue à la source de 5% pour les redevances (art. 12) et d’une imposition exclusive dans l’Etat de résidence du bénéficiaire d’intérêts (art. 11), et l’on aura un bref aperçu du caractère structurant de la révision de la convention.
2- De multiples mécanismes anti-abus
BEPS oblige, la multiplicité des règles anti-abus qui émaillent désormais le texte est le signe de notre temps.
Sans prétendre à l’exhaustivité, ici encore, on peut tout d’abord noter que la prévention de l’abus se loge dans des articles plus généraux. En témoigne le soin apporté à la définition des personnes visées par la convention en vue de prendre en compte la problématique des entités hybrides (art. 1er) ou à celle de la notion de résidence (avec une mention particulière pour l’exclusion par l’article 2 des personnes agissant en qualité de trustee ou de fiduciaire qui ne sont que les bénéficiaires « apparents » des revenus). Les avantages conventionnels ne profitent, par ailleurs, qu’aux « bénéficiaires effectifs ». Enfin, l’application des mécanismes anti-abus français spécifiques est préservée explicitement par le protocole (c’est le cas des articles 155 A, 209 B, 212, 238 A et 238-0 A du CGI).
A ces différents mécanismes s’ajoute une nouvelle clause de « refus d’octroi des avantages conventionnels » (art. 29) « si l’on peut raisonnablement conclure » que l’octroi de tels avantages était un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de les obtenir, et ce, à moins qu’il soit établi que l’octroi de cet avantage est conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de la convention. Cette clause doit être interprétée à la lumière du préambule de la convention qui énonce que celle-ci n’entend pas créer de possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite par l’évasion ou la fraude fiscale (y compris par des mécanismes de « chalandage fiscal » ou « treaty shopping » destinés à obtenir les allègements prévus dans la convention au bénéfice indirect de résidents d’Etats tiers).
On l’aura compris, la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise nécessite un examen attentif et constitue un nouvel environnement juridique à l’aune duquel les structures existantes doivent être réévaluées.
Auteur
Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’École de droit de la Sorbonne, expert du Club des juriste.