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La délicate gestion de la période précédant le closing des opérations de cession

La délicate gestion de la période précédant le closing des opérations de cession

La nécessité de gérer le temps parfois long de réalisation des opérations de cession peut impliquer la mise en œuvre de mesures visant à encadrer la liberté du management de la cible jusqu’au closing.

 

En effet, ce dernier doit se limiter à une gestion dans le cours normal des affaires pour que l’acquéreur n’hérite pas d’une cible dans une situation matériellement distincte de celle qu’il a pu constater lors de ses diligences. Ces mesures doivent cependant être menées avec précaution, tant pour éviter une prise de contrôle anticipée en violation du contrôle des concentrations (gun jumping) que pour tenir compte du risque de non-réalisation de l’opération.

 

Les opérations de cession suivent la plupart du temps les grandes étapes suivantes : (i) négociation jusqu’à l’échange de lettres d’offre liantes, (ii) information consultation des représentants du personnel, (iii) signing du contrat de cession, (iv) réalisation des conditions suspensives puis (v) closing effectif de l’opération.

 

Si le transfert de propriété des titres de la cible intervient à la date du closing, plusieurs engagements peuvent être souscrits par les parties en amont, au moment du signing, voire dès les lettres d’intention.

 

Parmi ces engagements préalables, il est assez usuel que l’acquéreur souhaite s’assurer d’une gestion de la cible dans le cours normal des affaires, afin que cette dernière ne se trouve pas dans une situation trop différente de celle ressortant de ses audits, sur laquelle il a fondé sa décision d’acquérir et effectué sa proposition de valorisation.

 

Ceci prend généralement la forme d’un engagement du vendeur d’assurer que le management de la cible gère cette dernière dans le cours normal des affaires. Cet engagement emporte l’interdiction de réaliser sans autorisation préalable de l’acquéreur un certain nombre d’opérations considérées par les parties comme sortant de la gestion courante, ce qui a nécessairement des conséquences particulières (i) en droit social et (ii) en droit des concentrations.

 

Enjeux de droit social

Sur le plan social tout particulièrement, plusieurs actions peuvent devoir être entreprises entre la date du signing et celle du closing et, notamment, dans les domaines suivants :

 

    • sécurisation des fonctions clefs, via la négociation de packages visant à intéresser les principaux dirigeants à l’opération et limiter ainsi les risques de départs de fonctions clefs jusqu’à la cession voire pendant plus longtemps ensuite afin d’accompagner la bonne mise en œuvre de l’opération ;
    • maîtrise des coûts sociaux, via une absence d’augmentation significative des salaires et plus généralement des avantages servis au personnel, ou alors sous la condition d’un accord de l’acquéreur ;
    • ou encore, en cas d’opération impliquant un carve-out, préparation des opérations de détourage (échanges avec les salariés, établissement des projets d’accords et de courrier d’information, etc.).

 

Il est parfois également possible que ces sujets soient traités en amont de la signature du contrat de cession, à l’occasion des échanges de lettres d’intention. Dans ce cas et pour limiter les risques de délit d’entrave, il convient alors de s’assurer que ces mesures ne préjugent en rien de la décision de cession à intervenir qui ne pourra être actée qu’à l’issue de la procédure consultative des instances représentatives du personnel compétentes.

 

Enjeux de droit des concentrations

Sur le plan du droit des concentrations ensuite, que ce soit au regard du droit de l’Union européenne ou du droit français, une opération de concentration soumise au contrôle des concentrations ne peut être réalisée avant d’avoir été autorisée par l’autorité de concurrence concernée.

 

Cette règle dite de l’effet suspensif est autonome de l’obligation de notification. En effet, sauf éventuelle dérogation encadrée à l’effet suspensif, la notification n’emporte aucunement la possibilité d’une mise en œuvre de l’opération tant que l’Autorité ne l’a pas approuvée.

 

L’objectif est d’assurer qu’une mise en œuvre anticipée ne vienne pas altérer de manière irréversible le fonctionnement de la concurrence mais aussi d’éviter les difficultés majeures que pourrait faire naître une telle anticipation si la concentration ne se réalisait pas in fine.

 

Méconnaître cette règle expose les entre¬prises notamment à des sanctions autonomes et élevées, pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires réalisé en France en droit français, et même 10% du chiffre d’affaires global des parties en droit européen (1), voire à des mesures d’injonction sous peine d’astreinte, comme dans l’emblématique affaire Illumina/Grail.

 

Dans cette affaire, non seulement, l’opération de concentration verticale en cause a été interdite par la Commission européenne le 6 septembre 2022 (2) , mais elle a aussi été la première concentration à tomber dans le champ de la nouvelle lecture de l’article 22 du règlement européen sur les concentrations voulue par la Commission, qui lui permet, dans certaines conditions, d’examiner les demandes de renvoi émanant d’autorités européennes de l’Union même pour des concentrations qui n’excèdent pas les seuils nationaux de notification.

 

En outre, en sus de mesures d’injonction, la Commission a également adopté à l’encontre des parties une communication des griefs le 19 juillet 2022 (3) pour avoir mis en œuvre l’opération avant l’autorisation.

 

L’application de sanctions a révélé plusieurs pratiques d’entreprises pouvant être appréhendées sous l’appellation désormais commune de gun jumping. Pour autant, protéger la valeur des actifs cédés à l’acquéreur reste un impératif inhérent à de telles opérations qu’il convient de concilier avec l’interdiction de prendre un contrôle anticipé de droit ou de fait de la cible.

 

Cet environnement, rendu un peu plus incertain encore en matière d’appréciation du caractère notifiable d’une concentration en raison de la nouvelle approche de l’article 22 précitée, emporte ainsi des contraintes organisationnelles pour les entreprises au cours de la période précédant le closing mais aussi temporelles au regard du processus d’acquisition.

 

Ces contraintes ont vocation à être reflétées dans les accords, dans leur application et hors de ces derniers. Ainsi, à titre d’illustrations, dans le protocole d’acquisition, la mise en place d’une condition suspensive assortie d’un calendrier compatible, bien connue en pratique pour les concentrations franchissant les seuils, devrait être étendue aux opérations susceptibles de renvois.

 

Les clauses sauvegardant les droits de l’acquéreur ou celles relatives au processus d’intégration relatives notamment aux échanges d’informations et à la nomination de dirigeants doivent bien entendu tenir compte des exigences du droit des concentrations.

 

Pour les échanges d’informations, le recours aux clean teams sera souvent indispensable, a fortiori pour les concentrations entre concurrents.

 

En tout état de cause, l’Autorité française de la concurrence a tendance à analyser les pratiques ou clauses non pas de manière individuelle mais au regard de leur impact général pour vérifier si elles conduisent ou non à l’exercice d’une influence déterminante sur la cible, en dépassant alors les mesures strictement nécessaires à la préservation des intérêts financiers de l’acquéreur.

 

(1) En outre, les entreprises peuvent se voir sanctionnées sur le terrain du droit des ententes ou de l’abus de position dominante en cas de mise en œuvre anticipée.
(2) Communiqué de presse IP/22/5364, 6 septembre 2022.
(3) Communiqué de presse IP/22/4604, 19 juillet 2022.

 

Pierre BONNEAU, Avocat associé, Denis REDON, Avocat associé et Benoît GOMEL, Avocat counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

Article publié dans La lettre des FUSIONS-ACQUISITIONS ET DU PRIVATE EQUITY Supplément du numéro 1682-1683 du 12 décembre 2022

 

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