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La fiducie dans les financements structurés : des commentaires administratifs sur la bonne voie

La fiducie dans les financements structurés : des commentaires administratifs sur la bonne voie

L’administration fiscale a soumis à consultation publique ses commentaires des dispositions législatives introduites dans la Loi de finances rectificative pour 20141 destinées à faciliter le transfert dans un patrimoine fiduciaire de titres de sociétés. Etat des éléments de satisfaction et des ajustements qui pourraient être envisagés.

La fiducie est «l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires»2. Dans le domaine du financement, elle a vocation à s’imposer comme la «reine des sûretés» (et est déjà incontournable en matière de restructuration de dette), puisqu’elle a pour effet de transférer la propriété du bien donné en garantie par le constituant à un patrimoine fiduciaire supposé à l’abri de la défaillance du constituant.

1. La fiducie : quelques ratés au démarrage

Paradoxalement, c’est précisément ce transfert de propriété qui a longtemps fait obstacle à l’utilisation de la fiducie comme garantie dans des opérations de financement de sociétés en difficulté, ou encore de leveraged buy-out (LBO). En effet, la mise en fiducie de titres de sociétés avait jusqu’à récemment pour effet de priver le constituant du régime mère-fille sur les dividendes perçus à raison desdits titres, de l’exonération (sous réserve de la quote-part de frais et charges de 12%) des plus-values à long terme sur titres de participation, tout comme de la possibilité de constituer un groupe fiscalement intégré avec la société émettrice. Par conséquent, le recours à la fiducie se limitait souvent à la constitution de garantie sur des actifs autres que des titres de sociétés.

Cette situation a été corrigée dans le cadre du Budget 2015, qui modifie les régimes mère-fille et d’intégration fiscale afin de permettre à la société-mère ou tête de groupe ayant la qualité de constituant dans le cadre d’une fiducie de continuer de bénéficier de ces deux régimes. Ainsi, dans le cas tant du régime mère-fille que de celui de l’intégration fiscale, les titres transférés dans un patrimoine fiduciaire continuent d’être pris en compte pour le décompte des seuils de respectivement 5% et 95% du capital de la société émettrice nécessaires pour accéder auxdits régimes. En outre, s’agissant du régime mère-fille, ce dernier reste désormais applicable pour l’avenir comme pour le passé (absence d’interruption du délai de détention de deux ans), nonobstant la remise en fiducie des titres de la filiale concernée. Ces mesures favorables s’appliquent cependant sous réserve que, notamment, le constituant conserve les droits de vote attachés aux titres transférés, ou que le fiduciaire exerce ces droits dans le sens donné par le constituant (à l’exception des éventuelles limitations convenues par les parties au contrat établissant la fiducie pour protéger les intérêts financiers du ou des créanciers bénéficiaires de la fiducie).

C’est cette évolution législative qui a fait l’objet de commentaires administratifs soumis à consultation publique.

2. Des commentaires administratifs bienvenus… mais perfectibles

Parmi les éléments favorables, on pourra tout d’abord louer la publication rapide de ces commentaires, laquelle témoigne de l’intention de l’administration de doter les acteurs économiques de l’ensemble des instruments et normes nécessaires à l’utilisation de la fiducie-sûreté.

En outre, on notera avec intérêt l’extension du principe de neutralité de la fiducie au décompte du délai de conservation de deux ans dans le cadre du régime des plus-values à long terme sur titres de participation, lequel n’était pas visé par le législateur. Ainsi, l’administration indique que le transfert d’une participation dans un patrimoine fiduciaire n’interrompt pas le délai de conservation de deux ans, à condition que leur cession ait été réalisée sous le régime fiscal permettant de ne pas comprendre dans le résultat imposable du constituant les plus ou moins-values résultant du transfert des biens en fiducie, et que ces titres constituent des titres de participation au sens comptable ou ouvrent droit au régime mère-fille (dans les mêmes conditions que celles rappelées ci-dessus). Cette souplesse devrait donc permettre aux constituants de bénéficier du régime d’exonération des plus-values alors même que leurs participations auraient été sorties du patrimoine fiduciaire pour leur être restituées un instant de raison avant (cas par exemple des cessions de participations mises en fiducie, et servant de garantie à des dettes qui ne seraient pas encore totalement remboursées au moment du désinvestissement, ce qui nécessitera également de négocier au préalable les conditions de cette cession avec les créanciers bénéficiaires de la fiducie).

Cependant, certains ajustements paraissent souhaitables afin de donner son plein effet à la fiducie-sureté sur titres de sociétés.

Tout d’abord, s’agissant du champ d’application du texte, on pourra regretter que les opérations envisagées dans les commentaires administratifs s’inscrivent apparemment dans un contexte uniquement interne, à l’exclusion des opérations internationales. Ainsi, le transfert dans un patrimoine fiduciaire des titres d’une société française par un constituant étranger, ou d’une société étrangère par un constituant français, ne sont pas traités, alors qu’ils soulèvent des questions délicates, notamment en termes de retenue à la source. L’administration pourrait utilement se saisir du sujet pour confirmer, en ligne avec le principe de neutralité fiscale de la mise en fiducie admis par le législateur et réitéré dans le cadre de l’ordonnance de 2009, qu’une exonération de retenue à la source (ou un taux réduit de retenue à la source) s’applique dès lors que les conditions d’éligibilité, et notamment de résidence, sont remplies par le constituant.

Ensuite, et comme nous l’avions déjà indiqué3, il nous apparaît souhaitable que l’administration précise en quoi peuvent consister «les limitations convenues par les parties au contrat établissant la fiducie pour protéger les intérêts financiers du ou des créanciers bénéficiaires de la fiducie» visées par les articles 145 et 223 A du Code général des impôts. Pour l’heure, et comme anticipé, l’administration se contente d’indiquer que cette souplesse législative s’apprécierait de manière stricte, sur la base des clauses du contrat de fiducie. Mais où tracer la ligne ? A partir de quand peut-on considérer que les intérêts financiers du bénéficiaire sont en jeu ? Si un droit de veto au bénéfice du fiduciaire permettant de s’opposer à des opérations de restructuration concernant la société émettrice et/ou ses filiales contrôlées semble envisageable (faute de quoi la garantie pourrait potentiellement perdre une part significative de sa valeur en cas d’opérations hasardeuses), que faut-il penser de la possibilité de s’opposer à la désignation de tel ou tel dirigeant ou de s’opposer à une modification importante d’un business plan préalablement agréé, clauses au demeurant déjà assez usuelles ? A cet égard, l’inclusion d’une liste (indicative et non limitative) de clauses considérées comme admissibles ou non par l’administration assurerait une plus grande sécurité juridique pour les acteurs économiques.

Enfin, l’administration rappelle utilement le principe posé par l’article 223 T du CGI selon lequel le transfert dans un patrimoine fiduciaire des titres d’une société contrôlée à plus de 95% ne s’oppose pas à la réalisation des retraitements nécessaires à la détermination du résultat et de la plus/moins-value d’ensemble (notamment neutralisation de la quote-part de frais et charges sur les distributions consenties par la société émettrice, ou abandons de créances et subventions consenties par le constituant à la société émettrice). Cependant, ni la loi ni la doctrine administrative ne confirment que les distributions consenties par la société émettrice seront exonérées de la contribution de 3% sur les revenus distribués. Or, si cette exonération parait logique dès lors que l’article 235 ter ZCA du CGI la prévoit dans le cas de distributions entre sociétés intégrées, le transfert de propriété induit par la mise en patrimoine fiduciaire pourrait donner à quelque hésitation qu’une confirmation administrative permettrait aisément de lever.

Encore un effort, et la généralisation tant attendue de la fiducie-sûreté en tant qu’outil de garantie de crédits bancaires structurés pourrait bientôt être une réalité !

Notes

Article 71 de la Loi de finances rectificative pour 2014.
Article 2011 du Code civil.
Voir «De nouveaux horizons pour la fiducie après le Budget 2015», par Grégory Benteux, Alexandre Bordenave, et Jean-Charles Benois, La Lettre du Private-Equity, 30 mars 2015.

 

Auteurs

Jean-Charles Benois, avocat en fiscalité directe

Alexandre Bordenave, avocat en matière de financements structurés.

 

*La fiducie dans les financements structurés : des commentaires administratifs sur la bonne voie* – Article paru dans le magazine Option Finance le 26 mai 2015