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La grève de protestation contre le licenciement d’un collègue est illicite faute de revendication professionnelle

La grève de protestation contre le licenciement d’un collègue est illicite faute de revendication professionnelle

La cessation collective concertée du travail qui a pour seul objet la contestation d’une décision de licenciement prononcée pour des faits strictement personnels, contestation se limitant à critiquer les fautes imputées au salarié licencié et la décision de licenciement jugée abusive et déloyale, n’est pas fondée sur une revendication professionnelle et l’arrêt de travail en résultant ne relève donc pas de l’exercice du droit de grève (Cass. soc., 6 avril 2022, n° 20-21.586).

 

Si la jurisprudence admet les «grèves de solidarité», ce n’est qu’à la condition que les salariés grévistes expriment une véritable revendication professionnelle. L’arrêt du 6 avril 2022 offre un rappel bienvenu de ce principe.

 

Pas d’exercice du droit de grève en l’absence de revendications professionnelles

En l’espèce, à la suite du licenciement pour faute grave d’un salarié, plusieurs de ses collègues ont contesté le licenciement prononcé et indiqué qu’ils cessaient le travail en sollicitant la réintégration du salarié licencié par lettre du 27 octobre 2014.

 

Les salariés ont ainsi cessé le travail entre le 27 octobre 2014 jusqu’au 31 octobre 2014, malgré des mises en demeure de reprendre le travail qui leur ont été adressées par l’employeur entre le 28 et le 30 octobre 2014.

 

Trois des salariés ayant cessé le travail ont saisi la juridiction prud’homale après avoir été licenciés pour faute grave, notamment en raison des faits d’absence injustifiée à compter du 27 octobre 2014.

 

Ces trois demandeurs ont toutefois vu l’ensemble de leurs demandes d’annulation de leur licenciement, de réintégration et de rappel de salaires rejetées par les juges du fond, tout comme leur demande subsidiaire d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Cette solution est confirmée par la Cour de cassation : rejetant les pourvois formés par les salariés, elle juge en effet que c’est hors de toute dénaturation que la Cour d’appel de Paris a retenu l’absence de caractère professionnel des revendications portées à la connaissance de l’employeur et le fait que le licenciement était prononcé pour des faits strictement personnels.

 

En effet, selon la Cour de Cassation, le courrier en date du 27 octobre 2014 adressé par les salariés à l’employeur avait «pour seul objet la contestation de la décision de licenciement d’un salarié que les salariés estimaient abusive et déloyale».

 

Quand bien même, par ce courrier, les salariés se plaignaient de ce que «les adjoints ayant contrôlé le salarié le 18 septembre ont accompli un rôle « d’espionnage » et que leurs méthodes sont qualifiées de « répressives»», la Cour a jugé qu’«ils se content[ai]ent de contester point par point les fautes imputées à ce salarié et la décision de l’employeur de le licencier».

 

En conséquence, elle approuve les juges du fond d’avoir jugé que « la cessation du travail n’était pas fondée sur une revendication professionnelle et que, dès lors, l’arrêt de travail ne constituait pas l’exercice du droit de grève ».

 

Cet arrêt constitue un nouvel exemple des limites à la reconnaissance jurisprudentielle de «grèves de solidarité» et rappelle l’importance de la formulation des revendications exprimées par les salariés à cette occasion.

 

La prise en compte des seules revendications présentées préalablement à l’employeur

 

L’exercice du droit de grève, tel que défini par la jurisprudence, doit répondre à quatre conditions cumulatives.

Il s’agit :

 

    • d’une cessation du travail,
    • collective et concertée,
    • pour porter des revendications d’ordre professionnel,
    • portées à la connaissance de l’employeur.

 

Si le mode d’information de l’employeur sur les revendications est libre, cette information ne peut en revanche intervenir postérieurement à la cessation du travail.

 

Les revendications professionnelles à l’origine de la grève doivent être a minima portées à la connaissance de l’employeur de façon concomitante à l’arrêt de travail – sauf dans le secteur public où le respect d’un préavis de grève est exigé (en ce sens, Cass. soc., 24 mars 1988, n° 85-43.604).

 

Au soutien des pourvois qui ont conduit à l’arrêt du 6 avril 2022, les salariés avançaient notamment, qu’au-delà de la contestation du licenciement de leur collègue, leur arrêt de travail était justifié par une inquiétude collective des salariés de l’entreprise face au comportement de l’employeur et faisaient valoir différents écrits et tracts, dont certains étaient postérieurs au mouvement.

 

A cet égard, la Cour de cassation prend soin de rappeler que seule la lettre du 27 octobre 2014, c’est-à-dire celle adressée à l’employeur de façon concomitante à l’arrêt de travail, devait être prise en considération pour apprécier la nature des revendications préalablement portées à la connaissance de l’employeur.

 

Rappel des limites à l’exercice des grèves de solidarité internes

En principe, les grèves de solidarité qui ont pour seul objet de soutenir des salariés de l’entreprise ou d’une autre entreprise ne sont pas licites.

 

Toutefois, la jurisprudence a déjà admis la licéité des grèves dites «de solidarité interne», en soutien à un ou plusieurs salariés faisant face à une sanction disciplinaire ou une décision de licenciement, pour autant que ce soutien s’accompagne d’une ou plusieurs revendications d’ordre professionnel intéressant la collectivité.

 

Il a par exemple été jugé que l’arrêt de travail motivé par le souci de défendre des salariés licenciés mais visant également à soutenir des demandes tendant à l’organisation d’élections professionnelles et à la préservation de l’emploi constituait bien une grève (Cass. soc., 15 janvier 2003, n° 00-44.693).

 

De même, caractérise une grève, le mouvement engagé en raison du licenciement de six salariés et de la menace de licenciement pesant sur un délégué syndical en raison d’une prolongation de leur congé au-delà de la date fixée par l’employeur conformément à la pratique du fractionnement, dont la suppression avait été réclamée par les salariés. L’action entreprise par les grévistes n’était donc «pas étrangère à des revendications professionnelles intéressant l’ensemble du personnel» (Cass. soc., 27 novembre 1985, n° 82-43.649).

 

Inversement, les juges ont par exemple refusé la qualification de grève au mouvement en contestation du licenciement disciplinaire d’un salarié ayant refusé «d’exécuter un travail, au prétexte que le local, que son employeur lui demandait de nettoyer, n’était pas son lieu de travail» (Cass. soc., 16 nov. 1993, n° 91-41.024).

 

Dans l’arrêt du 6 avril 2022, les salariés licenciés avaient pourtant tenté de soutenir que leur arrêt de travail était «au moins partiellement, justifié par des revendications professionnelles» : ils considéraient avoir dénoncé les méthodes répressives de l’employeur contraires aux préconisations du rapport d’une expertise réalisée sur les conditions de travail dans l’entreprise.

 

Selon eux, le licenciement du salarié n’avait en réalité été que le catalyseur d’un mouvement justifié par des revendications de portée plus générale.

 

L’enjeu était particulièrement important pour les salariés concernés, puisque la qualification de grève aurait tout à la fois rendu leur absence licite et accordé à ces dernier le bénéfice des dispositions protectrices pour les salariés grévistes et notamment l’interdiction de licenciement (C. trav. art. L. 2511-1).

 

Toutefois, en l’espèce, la Cour de cassation a jugé que si, dans la lettre adressée à l’employeur, les salariés faisaient effectivement référence à un rôle d’espionnage par les adjoints qui ont procédé au contrôle du salarié et que les méthodes employées sont bien qualifiées de répressives, il n’en restait pas moins que le courrier se contentait de contester point par point les fautes imputées à ce salarié et la décision de l’employeur de le licencier.

 

Enfin, si les salariés licenciés laissaient également entendre que le mouvement avait été engagé en lien avec des revendications portant sur les conditions de travail dans l’entreprise, les juges ont toutefois retenu que le courrier d’information de l’employeur ne comportait, lui, aucune référence à de telles revendications.

 

C’est la raison pour laquelle ils ont écarté la qualification de grève, approuvés en cela par la chambre sociale de la Cour de cassation.

 

Cet arrêt est ainsi l’occasion de rappeler l’importance de la formulation de l’information adressée à l’employeur sur les revendications associées à un mouvement de grève : en l’absence de caractère suffisamment général portant sur des intérêts professionnels, l’arrêt de travail des salariés pourra être considéré comme fautif et justifier, le cas échéant, leur licenciement.