La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation : une plus grande sécurité juridique
16 septembre 2015
Plusieurs arrêts récents témoignent d’une nouvelle tendance de la jurisprudence sociale de rendre des décisions à la fois pragmatiques et respectueuses des dispositions légales.
Profitons de cette rentrée RH pour faire le point sur les derniers arrêts rendus en faveur des entreprises dans le cadre des contentieux de la rupture du contrat de travail.
Un pas de plus vers la sécurisation de la rupture conventionnelle
Après avoir considéré comme valide la rupture conventionnelle conclue au cours des périodes de suspension consécutives à un accident du travail ou au cours d’un congé maternité, la Cour de cassation s’est prononcée le 8 juillet 2015 sur la validité d’une rupture conventionnelle lorsque le montant de l’indemnité de rupture est inférieur au minimum prescrit par la loi.
Elle précise que cette irrégularité doit être corrigée mais que ni la stipulation d’une indemnité dont le montant est inférieur au minimum légal, ni l’erreur commune dans la date d’effet de la rupture, ne suffisent à rendre la convention de rupture nulle. Elle confirme ainsi que le salarié doit rapporter la preuve d’un vice du consentement, pour qu’une irrégularité entraîne la nullité de la convention de rupture.
La prise d’acte et la résiliation judiciaire fortement encadrées
On se souvient des deux arrêts rendus par la Chambre sociale en mars 2014 dans lesquels la Cour de cassation précisait que la prise d’acte ou la résiliation judiciaire ne pouvait être prononcée qu’en cas de manquement suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat. En 2015, la Haute Cour réaffirme sa volonté d’encadrer d’éventuelles dérives.
C’est ainsi que la Cour de cassation refuse de considérer que le non-paiement d’heures supplémentaires à la suite d’une application d’un forfait-jours à un salarié non éligible, faute de remplir la condition d’autonomie requise par la loi et la convention collective, justifie une prise d’acte (Cass.soc.21 janvier 2015).
Par ailleurs, dans un arrêt du 12 février 2015, la Cour de cassation valide la position des juges du fond qui ont considéré comme injustifiée la prise d’acte de la rupture d’un salarié qui reproche à son employeur de ne pas lui avoir fait passer la visite médicale d’embauche. Les juges relèvent que «le manquement de l’employeur ne résultait pas d’un refus mais d’une simple négligence [qui] n’avait pas empêché la poursuite du contrat de travail».
L’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur ne suffit donc pas à justifier automatiquement la prise d’acte. La Cour de cassation avait d’ailleurs déjà considéré que la carence de l’employeur dans l’accomplissement de la visite médicale datant de plus de deux ans avant la prise d’acte, ne constituait pas un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Cette décision ne doit toutefois pas minimiser les risques auxquels s’exposent les employeurs dans ce type d’hypothèse : outre l’aspect pénal, l’absence de visite médicale d’embauche pourrait en effet être retenue, si un accident du travail survient, pour rapporter la preuve de l’existence d’une faute inexcusable (Cass. 2 civ. 14 mars 2013).
Un assouplissement de la Cour de cassation à l’égard des salariés protégés
D’une part, s’agissant du plafonnement des dommages et intérêts accordés au salarié protégé licencié sans autorisation de l’inspecteur du travail : si la Cour de cassation avait déjà limité l’indemnité accordée à certains salariés protégés (par exemple aux délégués syndicaux et aux conseillers prud’homaux), elle ne s’était pas encore prononcée sur le montant des indemnités pour violation du statut protecteur allouées aux délégués du personnel licenciés sans autorisation préalable.
Pour rappel le salarié protégé, licencié sans autorisation préalable de l’inspecteur du travail, qui ne demande pas sa réintégration peut prétendre aux indemnités de rupture (indemnités légale ou conventionnelle de licenciement et de préavis), à une indemnité pour licenciement illicite et à une indemnité au titre de la méconnaissance du statut protecteur (correspondant en principe à la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre la date de la rupture et l’expiration de la période de protection).
Dans deux arrêts du 15 avril 2015, la Chambre sociale apporte une précision rassurante pour les employeurs en énonçant que le délégué du personnel, licencié sans autorisation et qui ne demande pas sa réintégration, ne pourra prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur supérieure à la rémunération qu’il aurait perçue depuis son éviction jusqu’à l’expiration de la période de protection dans la limite de deux ans, augmentée de six mois.
La sanction reste certes lourde, mais les employeurs n’ont plus à craindre des condamnations à des sommes exorbitantes qui pouvaient aller jusqu’à 54 mois de salaires (protection pendant la totalité du mandat, soit quatre ans et six mois de protection post mandat).
D’autre part, la Cour de cassation confirme que l’employeur n’est pas présumé connaître l’existence d’un mandat extérieur occupé par le salarié.
Il est acquis désormais qu’il appartient au salarié de justifier que son employeur avait connaissance d’un tel mandat s’il entend pouvoir bénéficier de la protection particulière attachée aux salariés titulaires d’un mandat extérieur à l’entreprise dont le contrat est rompu. Et dans un arrêt du 15 avril 2015, la Cour de cassation précise que dans le cas d’un transfert d’entreprise entraînant la poursuite des contrats de travail, le salarié ayant un mandat extérieur devra en informer son nouvel employeur qui n’est pas présumé avoir connaissance de cette situation.
Dans le même esprit, la Haute Juridiction a considéré que la discrimination syndicale ne peut être retenue si l’engagement syndical d’un simple adhérent à un syndicat était ignoré de l’employeur (Cass. Soc. 01/07/2015).
Le non-paiement d’heures supplémentaires n’entraîne pas nécessairement la reconnaissance d’un travail dissimulé
Le contentieux de la rupture du contrat de travail s’accompagne souvent de réclamations annexes, comme le paiement de rappels d’heures supplémentaires en raison d’une contestation de la validité d’une convention de forfait en jours. Ce chef de contestation est fréquemment assorti d’une demande de dommages et intérêts forfaitaire pour travail dissimulé.
Si la jurisprudence sur les conventions de forfait est toujours aussi exigeante, on notera un arrêt récent du 16 juin 2015 qui vient rappeler que la condamnation pour travail dissimulé n’est pas automatique : le caractère intentionnel, nécessaire pour caractériser une infraction de travail dissimulé, ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite.
Ces décisions, plutôt favorables aux employeurs, ne sont toutefois pas le reflet d’une évolution généralisée de la Cour de cassation : celle-ci se montre en effet toujours aussi rigoureuse par exemple sur les dossiers de CDD, de harcèlement ou d’inaptitude.
Auteur
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social.
Coline Ferran, avocat en droit social
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