La mise à l’épreuve des délégations de pouvoir «horizontales» dans les groupes
8 juillet 2022
L’organisation des groupes conduit très souvent à ce que les liens hiérarchiques et opérationnels ne soient pas cantonnés au périmètre des entités juridiques qui les composent.
Organisation matricielle, double reporting, prestations de services intra-groupes, etc. sont aujourd’hui quelques-unes des manifestations de cette situation quasi-généralisée, en particulier dans les groupes internationaux.
Elle conduit à la mise en place de délégations de pouvoir visant à permettre à des salariés d’une société d’exercer le lien hiérarchique sur des collaborateurs d’autres entités (signature d’une promesse d’embauche, notification d’une sanction, etc).
Il est à cet égard fréquent dans un groupe d’entreprises qu’un collaborateur de la société mère intervienne pour le compte de l’une de ses filiales dans le cadre d’une procédure intéressant un salarié de cette dernière, sans qu’il soit au demeurant nécessaire que la délégation de pouvoir soit donnée par écrit (1).
La validité des délégations de pouvoir dites « horizontales » est en revanche plus sujette à débats
La Cour de cassation a apporté un éclairage important à ce sujet dans un arrêt rendu le 20 octobre 2021 (2), dans une affaire où était en cause le bien-fondé d’un licenciement notifié à un salarié par le directeur des ressources humaines d’une société sœur de son employeur et mandaté à cet effet par ce dernier.
Était donc en cause une délégation de pouvoir « horizontale » car effectuée entre sociétés sœurs et non « verticale » entre la société mère et ses filiales.
La Cour de cassation a dans cette affaire approuvé la Cour d’appel d’avoir invalidé le licenciement après avoir relevé que :
«La finalité même de l’entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l’employeur de donner mandat à une personne étrangère à l’entreprise pour procéder à cet entretien et notifier le licenciement.
Ayant relevé qu’il n’était pas démontré que la gestion des ressources humaines de la société Bodin Joyeux relevait des fonctions de la directrice des ressources humaines de la société Manufactures de mode, ni que cette dernière exerçait un pouvoir sur la direction de la société Bodin Joyeux, la cour d’appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la lettre de licenciement avait été signée par une personne étrangère à l’entreprise qui ne pouvait recevoir délégation de pouvoir pour procéder au licenciement».
Une lecture a contrario de cette solution jurisprudentielle conduirait à considérer qu’une délégation de pouvoir horizontale pourrait être valide s’il est démontré cumulativement :
-
- que les fonctions de personne concernée intègrent bien la gestion des ressources humaines des sociétés sœurs en cause ;
-
- et qu’elle exerce un pouvoir de direction sur ces sociétés.
Cette solution jurisprudentielle invite donc à s’assurer du respect de ces conditions lorsqu’un salarié d’une filiale est appelé à exercer les pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction à l’égard d’un collaborateur employé par une autre filiale du même groupe.
(1) Il a ainsi été jugé que le directeur des ressources humaines de la société mère, qui n’est pas une personne étrangère aux filiales, peut recevoir mandat pour procéder à l’entretien préalable et au licenciement d’un salarié employé de ces filiales, sans qu’il soit nécessaire que la délégation de pouvoirs soit donnée par écrit (Cass. soc. 23 septembre 2009, n° 07-44.200 ; Cass. soc. 25 octobre 2011, n° 10-24.054).
(2) Cass. soc., 20 octobre 2021, n° 20-11.485.
Article publié dans La lettre des FUSIONS-ACQUISITIONS ET DU PRIVATE EQUITY Supplément du numéro 1661 du 27 juin 2022
A lire également
L’impossible reclassement d’un salarié déclaré inapte, mentionné par le ... 1 avril 2021 | Pascaline Neymond
Le risque pénal dans les opérations de fusion-acquisition (3) – Responsa... 20 octobre 2021 | Pascaline Neymond
Suicide de salariés : quels risques juridiques pour les employeurs ?... 6 mai 2013 | CMS FL
Lettre d’intention et obligation consultative du comité d’entreprise... 19 juin 2015 | CMS FL
La durée des engagements sociaux dans les opérations de cession : une rédacti... 5 mai 2023 | Pascaline Neymond
Méthodologie pour la note d’information du CE en vue de sa consultation... 11 février 2014 | CMS FL
La nouvelle procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travai... 19 décembre 2019 | Pascaline Neymond
La délicate identification et prévisibilité des risques sociaux dans les opé... 29 mars 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Présomption de démission : attention à la rédaction du courrier de mise en demeure !
- Obligation de loyauté de la négociation collective : bonnes pratiques et points de vigilance
- Hamon : stop ou encore ?
- Apprentissage : le Gouvernement va reconduire l’aide pour les employeurs embauchant des apprentis
- La clause dite de conscience : outil de sécurisation des dirigeants d’entreprises familiales
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?