La nécessaire transparence financière des syndicats
24 avril 2017
La transparence financière des syndicats est une condition impérieuse pour qu’ils puissent exercer leurs attributions dans l’entreprise.
Dans trois arrêts instructifs rendus 22 février 2017 (n°16-60123) et le 8 mars 2017 (n°16-13033 et 16-13034), la Cour de cassation vient de poser clairement, s’agissant de la transparence financière des syndicats née de la loi n°2008-789 du 20 août 2008, les deux principes suivants :
- en premier lieu s’ils veulent exercer leurs attributions au sein de l’entreprise, et en particulier s’ils envisagent de procéder à la désignation de salariés en qualité de délégués syndicaux, de représentants syndicaux au comité d’entreprise, de représentants de section syndicale, etc., les syndicats, qu’ils soient ou non représentatifs, doivent respecter le critère de la transparence financière ;
- en second lieu, en cas de litige portant sur la légitimité des désignations syndicales, c’est à la date desdites désignations qu’il y a lieu de se placer pour apprécier si le critère de la transparence financière est établi.
Le principe de la transparence financière
La loi précitée du 20 août 2008 a soumis les organisations syndicales à des obligations d’établissement, d’approbation, de certification et de publication de leurs comptes.
Le législateur a par ailleurs posé, à l’article L 2121-1 du Code travail, le principe selon lequel la transparence financière constitue dorénavant l’un des critères permettant de conclure, ou non, à la représentativité d’un syndicat.
La loi n°2014-288 du 5 mars 2014 ainsi que les décrets n°2009-1164 et 2008-1665 du 28 décembre 2009 et 2015-87 du 28 janvier 2015, notamment, sont venus compléter et préciser les obligations s’imposant, en ce domaine, aux syndicats (articles L 2135.1 et suivants et D 2135-1 et suivants du Code du travail).
S’agissant de l’établissement et de la certification des comptes, il existe trois strates d’exigences, en fonction du niveau des ressources du syndicat à la clôture de l’exercice.
Si ses ressources sont inférieures à 2 000 euros, les comptes annuels peuvent être établis sous la forme d’un livre mentionnant chronologiquement le montant et l’origine des ressources qu’ils perçoivent et les dépenses qu’ils effectuent, ainsi que les références aux pièces justificatives. Une fois par an, un total des ressources et des dépenses doit être établi (article D 2135-4 du Code du travail).
Si ses ressources sont comprises entre 2 000 et 230 000 euros à la clôture de l’exercice, les comptes annuels peuvent être établis sous la forme d’un bilan, d’un compte de résultat et d’une annexe simplifiée, selon les modalités fixées par règlement de l’Autorité des normes comptables. Ils peuvent n’enregistrer leurs créances et leurs dettes qu’à la clôture de l’exercice (article D 2135-3 du Code du travail).
Si enfin ses ressources sont supérieures à 230 000 euros à la clôture d’un exercice donné, les comptes annuels doivent comprendre un bilan, un compte de résultat et une annexe selon les modalités définies par règlement de l’Autorité des normes comptables (article D 2135-2 du Code du travail).
Dans les trois hypothèses, les comptes doivent être arrêtés par l’organe chargé de la direction et approuvés par l’assemblée générale des adhérents, ou par un organe collégial de contrôle désigné par les statuts (article L 2135-4 du Code du travail).
S’agissant de la publicité des comptes, il y a lieu de distinguer selon que les ressources du syndicat à la clôture de l’exercice sont inférieures ou supérieures à 230 000 euros.
Dans l’hypothèse où ces ressources sont inférieures à 230 000 euros, l’article D 2135-8 du Code du travail précise que la publicité des comptes doit être assurée dans un délai de trois mois à compter de leur approbation, soit sur le site Internet de la Direction des Journaux Officiels, soit par publication sur leur site Internet ou, à défaut, auprès de la DIRECCTE.
Si en revanche ces ressources sont supérieures à 230 000 euros, l’article D 2135-7 du Code du travail prévoit que la publicité des comptes et du rapport du commissaire aux comptes doit être assurée dans un délai de trois mois sur le site Internet de la Direction des Journaux Officiels.
Ces règles sont obligatoires et généralisées à tous les niveaux régionaux et professionnels des syndicats depuis l’exercice 2012.
La nécessité pour tous les syndicats, représentatifs ou non, de respecter ce critère s’ils souhaitent exercer des prérogatives syndicales dans l’entreprise : l’arrêt du 22 février 2017
Dans une affaire tranchée par la Cour de cassation le 22 février 2017 (n°16.60123), une entreprise a saisi le tribunal d’instance aux fins de solliciter l’annulation de la désignation d’un salarié en qualité de représentant de section syndicale, motif pris selon elle que ledit syndicat, qui s’est trouvé à l’origine de cette désignation, ne remplissait pas le critère de transparence financière.
Le tribunal d’instance a débouté l’entreprise de sa demande en jugeant que le critère de la transparence financière était visé à l’article L 2121-1 du Code du travail et concernait la représentativité des syndicats, et que cette condition ne s’imposait aucunement à lui en cas de désignation d’un représentant de section syndicale (cf article L 2142-1-1 du Code du travail), qui précisément suppose que l’organisation syndicale ne soit pas représentative, ou à l’occasion de la création d’une section syndicale (cf article L 2142-1 du Code du travail).
En d’autres termes, le syndicat soutenait que la transparence financière ne s’impose qu’aux organisations syndicales souhaitant démontrer leur représentativité (dans la perspective notamment de la désignation de délégués syndicaux, de la participation à la négociation collective et de la conclusion d’accords collectifs ….).
La Cour de cassation a cassé et annulé le jugement rendu par ce tribunal d’instance et a jugé que tout syndicat (qu’il soit ou non représentatif) doit, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l’entreprise, satisfaire au critère de transparence financière.
La question est susceptible de se poser en pratique à de nombreuses reprises. Ainsi, classiquement, les syndicats doivent démontrer qu’ils satisfont au critère de la transparence financière au moment de l’organisation des élections professionnelles (signature du protocole d’accord préélectoral, présentation de candidats, etc.) ou de la désignation par eux de représentants syndicaux (délégués syndicaux, représentants syndicaux au comité d’entreprise, représentant de section syndicale ….).
Au regard de la formule particulièrement générale utilisée par la Cour de cassation (« exercer des prérogatives dans l’entreprise »), on peut également imaginer que la question puisse se poser postérieurement aux désignations syndicales, quand bien même elles n’auraient pas été contestées judiciairement en temps utile, au moment par exemple de la négociation d’accords collectifs à l’occasion de laquelle l’employeur et/ou des syndicats concurrents pourraient dénier à une organisation syndicale, tant qu’elle ne s’est pas mise en conformité avec les dispositions précitées du Code du travail en matière d’établissement, de certification et de publicité des comptes, le droit de s’asseoir à la table des négociations.
De la même manière, on peut imaginer que la question de la transparence financière puisse se poser à tout moment, quand bien même l’employeur ou les autres organisations syndicales n’ont pas entrepris d’actions judiciaires précédemment. Ainsi, il paraît possible pour un employeur de contester la légitimité d’une désignation syndicale intervenue à la suite de la tenue des élections professionnelles, sans avoir au préalable sollicité l’annulation desdites élections, alors que celles-ci ont pu conduire le syndicat en cause à négocier le protocole d’accord préélectoral, à présenter des candidats, et peut-être même à enregistrer des élus.
C’est à la date de la désignation syndicale qu’il y a lieu de se placer pour apprécier la transparence financière : les deux arrêts du 8 mars 2017
Dans les deux affaires tranchées par la Cour de cassation le 8 mars 2017, l’employeur a contesté les désignations d’un salarié en qualité d’une part de délégué syndical et d’autre part de représentant syndical au comité d’entreprise, intervenues à l’initiative du syndicat CGT.
L’employeur soutenait que ce syndicat n’établissait pas le critère de la transparence financière et ne pouvait en conséquence procéder à ces désignations.
Le syndicat justifiait quant à lui avoir respecté les dispositions légales concernant sa transparence financière au cours des deux années précédant les désignations, mais pas au-delà.
L’employeur arguait alors qu’il appartenait au syndicat de démontrer cette transparence financière sur plusieurs années (en tout état de cause au plus tôt depuis 2012, comme précisé ci-avant).
Le tribunal d’instance a estimé que la justification de la transparence financière par le syndicat pour les deux dernières années suffisait à caractériser ladite transparence, de telle sorte que les désignations syndicales contestées étaient selon lui parfaitement licites et légitimes.
La Cour de cassation, saisie par l’employeur, aux termes de ses arrêts du 8 mars 2017 (n°16-13033 et 16-13034), a conforté le tribunal d’instance dans son analyse en estimant qu’au moment des désignations litigieuses, le syndicat CGT avait satisfait au critère de transparence financière exigé par l’article 2121-1 du Code du travail, pour l’exercice des prérogatives syndicales dans l’entreprise.
En d’autres termes, peu importe selon la Haute Cour que pendant plusieurs années le syndicat ne se soit pas conformé à ses obligations légales. L’essentiel est qu’il soit « en règle » au moment des désignations, même si ce terme est pour le moins imprécis lorsque l’on considère qu’une désignation syndicale n’intervient pas concomitamment à la clôture de l’exercice ou la certification et la publicité des comptes, mais tout au long de l’année.
Il ne fait guère de doute que les trois décisions rendues par la Cour de cassation risquent de faire apparaître un contentieux abondant, lequel va naître, très vraisemblablement, à l’occasion de l’organisation des élections professionnelles ou des désignations syndicales, l’employeur et/ou les organisations syndicales concurrentes pouvant avoir intérêt, en s’appuyant sur la seule absence de transparence financière, quand bien même les autres conditions seraient réunies, à ne pas faciliter l’arrivée et le développement de tel ou tel syndicat.
De leur côté, les syndicats qui veulent s’implanter puis se développer dans l’entreprise, ont tout à fait intérêt, pour y parvenir, à veiller à ce que les formalités précitées soient réunies. Après tout, il ne s’agit là que de se mettre en conformité avec des dispositions dont on sait, qu’elles résultent pour l’essentiel de la loi du 20 août 2008, et qui sont applicables à titre obligatoire, pour tous les syndicats … depuis l’exercice 2012 !
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social
La nécessaire transparence financière des syndicats – Article paru dans Les Echos Business le 18 avril 2017
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