La négociation sur la qualité de vie au travail (QVT) : un outil de sortie de crise
6 juillet 2021
Confrontées au télétravail massif du fait des confinements successifs, à la nécessité d’organiser le travail sur site pendant la crise sanitaire, d’adapter les conditions de travail et de prévenir les risques liés au travail à distance, les entreprises ont dû repenser leur organisation et leur fonctionnement dans l’urgence et de manière temporaire.
Avec la perspective de la sortie de crise, les directions sont amenées à tirer les enseignements des expérimentations menées dans le cadre de la gestion de l’épidémie, ce qui devrait les conduire à proposer des conditions de travail adaptées aux besoins des organisations de l’entreprise et des salariés.
A cette fin, la négociation sur la qualité de vie au travail (QVT) qui est, pour les entreprises dotées d’organisations syndicales représentatives, un thème de négociation annuelle obligatoire (1), peut s’avérer un levier particulièrement efficace.
En effet, les modalités et le développement du travail à distance, la prévention des risques psychosociaux, les mobilités professionnelles et géographiques des salariés, le bien-être au travail ou encore la reconnaissance et la valorisation des salariés dans l’entreprise sont des enjeux majeurs de politique sociale pour les entreprises et constituent autant de thèmes qui peuvent être appréhendés dans le cadre de cette négociation collective.
L’ouverture d’une négociation sur le thème de la QVT pourrait utilement permettre d’accompagner la reprise par l’adoption de dispositifs conciliant les attentes des salariés, notamment en matière d’articulation des temps de vie et les exigences organisationnelles des entreprises. Cette démarche pourrait également permettre de reconstruire le collectif de travail et à renforcer le sentiment d’appartenance des salariés à l’entreprise.
Le diagnostic partagé, un préalable utile pour définir les enjeux de la QVT dans l’entreprise
La négociation sur la QVT au sein de l’entreprise constitue un outil juridique pertinent et efficace, permettant d’impliquer les partenaires sociaux dans la définition des conditions de travail. La période actuelle devrait inciter les entreprises à engager ces réflexions avec pour objectif de définir les moyens d’une reprise effective et efficace des activités, organisée autour d’une vision du travail innovante et adaptée aux nécessités de l’entreprise.
En effet, selon l’article L.2242-17 du Code du travail, la négociation QVT porte notamment sur (2):
-
- l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés ;
-
- l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation professionnelle ;
-
- les mesures relatives à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ;
-
- le droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale ;
-
- dans les entreprises dont cinquante salariés au moins sont employés sur un même site, des mesures visant à améliorer la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail, notamment en réduisant le coût de la mobilité, en incitant à l’usage des modes de transport vertueux ainsi que par la prise en charge des frais de transports personnels ;
Une des clés de réussite d’une telle négociation est de pouvoir se fonder sur un bilan partagé avec les organisations syndicales de la situation de l’entreprise et des -besoins exprimés par les salariés.
Pour ce faire, l’entreprise pourrait se fonder sur des enquêtes réalisées auprès des salariés. A cet égard, la conclusion d’un accord de méthode cadre et sécurise cette phase préalable en définissant le rôle, les thématiques à traiter et les modalités de restitution de cette démarche participative .
La réalisation du diagnostic permettra d’orienter utilement la négociation pour qu’elle porte avant tout sur les éléments expérimentés avec succès par les collaborateurs et l’entreprise au cours de la période de crise sanitaire, afin d’envisager la faisabilité et les conditions de leur pérennisation pour l’avenir dans le cadre de l’accord sur la QVT. Cet état des lieux pourra également conduire les parties à définir les futures orientations des négociations à moyen terme.
L’engagement d’une telle démarche participative atteste de l’importance que la direction reconnait aux questions de QVT et permet aux salariés de s’exprimer sur ces thématiques concrètes. Cet état des lieux permettra aux partenaires de sociaux d’assurer l’adéquation des dispositifs négociés avec les besoins exprimés par les salariés, tout en prenant en compte les impératifs liés à l’activité de de l’entreprise et à sa performance économique.
L’accord sur la QVT apporte des réponses négociées pour la sortie de crise sanitaire
La négociation sur la QVT peut également porter sur la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels tels qu’ils sont listés par le Code du travail et contribuer ainsi à la diminution de la pénibilité au travail.
En outre, les mesures adoptées en matière d’articulation des temps de vie parce qu’elles contribuent notamment à l’amélioration du climat social de l’entreprise, de la gestion du temps de travail des salariés et favorisent leur engagement au service de l’entreprise, sont de nature à favoriser la protection de la santé physique et mentale des salariés.
A cet égard, l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020 pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail propose de faire évoluer l’approche traditionnelle de la QVT afin qu’elle intègre son corollaire, les conditions de travail pour devenir ainsi la négociation sur la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Le législateur devrait prochainement entériner l’élargissement de champ de la négociation sur la QVT aux conditions de travail (3).
L’accord interprofessionnel souligne en effet l’importance de la QVT tant comme facteur de santé et de réalisation personnelle pour les salariés que comme facteur de performance pour l’entreprise. Compte tenu de la période actuelle, la négociation sur la QVT permet d’aborder avec les partenaires sociaux ces thématiques concrètes en vue d’impliquer les salariés dans la reprise des activités.
Pour aider les entreprises dans la mise en œuvre de QVT, l’ANI propose une méthode aux entreprises qui se décompose en quatre étapes successives (4) et s’appuie sur le dialogue social, le dialogue professionnel et la participation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise.
L’examen des accords conclus sur la QVT (5) montre qu’il existe autant de démarches de QVT que d’entreprises. Selon des degrés différents, ces accords visent à développer dans l’entreprise une démarche d’efficacité et de performance tout en protégeant la santé des salariés et leur équilibre et en favorisant la motivation dans le travail.
Aux vues de l’étendue du périmètre de la négociation ouverte par le législateur, il apparait nécessaire de cibler l’objet de la négociation sur le contexte spécifique de la sortie de crise. Ainsi, il pourrait être envisager de construire la négociation de ces accords autours d’une des thématiques globales suivantes :
-
- l’amélioration de l’articulation de la vie professionnelle et personnelle (aide à la mobilité, droit à la déconnexion, soutien à la petite enfance, développement des pratiques sportives, etc.) ;
-
- le développement des conditions d’exercice du travail (accompagnement du management, des évolutions professionnelles, moyens et communauté de travail, etc.) ;
-
- l’évaluation de la qualité du travail en définissant le sens du travail, définition des rôles, le contrôle de la charge de travail, la valorisation des expériences et des compétences internes, etc.
Pour accompagner la sortie de crise, la négociation collective sur la QVT constitue un levier opportun d’organisation du travail et permet de reconstruire les collectifs de travail.
A l’heure de la reprise économique, la négociation sur la QVT constitue une occasion unique pour les entreprises de tirer les enseignements des expérimentations réalisées pendant cette période pour améliorer leurs organisations et, par voie de conséquence, leur performance, accompagner leur transformation, tout en proposant une démarche de développement des conditions de travail de travail valorisant l’utilité et le sens du travail.
(1) Sauf accord fixant une autre périodicité de négociation
(2) – ainsi que les dispositifs de prévoyance, décès, et frais de soins de santé ; droit d’expression des salariés et la prévention des effets de l’exposition aux risque professionnels
(3) Une proposition de loi a été déposée le 17 février 2021 et est en cours de discussion devant le parlement visant à transposer les dispositions de cet accord dans le Code du travail
(4) Conception de la démarche, diagnostic partagé, expérimentation des mesures dans un secteur limité, pérennisation des actions retenues sur la base d’un bilan
(5) L’article L.2242-1 du Code du travail prévoit que dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur engage au moins une fois tous les quatre ans une négociation portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur qualité de vie au travail. Toutefois, une réflexion sur la QVT peut également être menée avec le CSE notamment.
Article publié dans Les Echos le 06/07/2021
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