La nouvelle législation « anti-cadeaux » : quelques réflexions sur son entrée en vigueur
L’article 180 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a habilité le Gouvernement à adopter, par voie d’ordonnance telle que prévue à l’article 38 de la Constitution, diverses modifications au régime juridique de la législation dite « anti-cadeaux ». L’ordonnance ainsi prévue, qui devait intervenir avant le 26 janvier 2017, a été adoptée le 19 janvier 2017. Son article 5 prévoit que les mesures qu’elle énonce « entrent en vigueur à des dates fixées par décret et au plus tard le 1er juillet 2018 ».
Quel est le régime applicable si, comme il est probable maintenant, les mesures d’application de cette ordonnance n’ont pas été adoptées pour le 1er juillet 2018 ?
Pour répondre à cette question, il faut distinguer, conformément à l’article 1er du code civil, entre les mesures de l’ordonnance qui se suffisent à elles-mêmes et ne nécessitent donc pas de mesures d’application et celles dont la lecture montre qu’elles ne peuvent entrer en vigueur si elles ne sont pas suivies de décrets ou d’arrêtés d’application.
- Les mesures qui se suffisent à elles-mêmes entrent en vigueur le 1er juillet. Cependant, comme par ailleurs le projet de loi de ratification de l’ordonnance a seulement été déposé sur le bureau du Sénat sans avoir été adopté par le Parlement, contrairement à ce qu’exige l’article 38 de la Constitution, les mesures en cause ne sont pas encore de rang législatif et conservent donc leur statut réglementaire (impossible par exemple de poser une QPC). Ce point est capital pour notre sujet, puisque la définition des infractions qui, pour l’essentiel, se suffisent à elles-mêmes, relève très largement du domaine de la loi.
Relèvent de cette première catégorie, dans le code de la santé publique : les articles L 1453-3, L 1453-4, L 1453-6 nouveaux (à l’exception du 4° de l’article L 1453-6), L 1453-14 nouveau, les articles L 1454-1 et L 1454-4 modifiés, ainsi que les articles L 1454-6 à L 1454-10 nouveaux, les articles L 1312-3, L 1312-4, L 1414-4, L 1419-1, L 1451-2, L 5122-10 et L 4343-1 modifiés.
Par exemple, l’élargissement du champ d’application du dispositif « anti-cadeaux » devrait entrer en vigueur dès le 1er juillet 2018. À ce titre, rappelons que l’ordonnance a considérablement élargi la liste des professionnels de santé et associations concernés par l’interdiction (L. 1453–4) et aussi la liste des entreprises soumises au dispositif (L. 1453–5).
Prennent également effet au 1er juillet les mesures d’abrogation et de suppression de l’article 4 de l’ordonnance.
- Les mesures pour lesquelles des décrets ou arrêtés d’application sont nécessaires n’entreront en vigueur qu’à la date d’entrée en vigueur de ces décrets ou de ces arrêtés. Il s’agit de l’article L 1453-5 (qui entrera en vigueur à la date d’entrée en vigueur du décret prévu au 1° de l’article L 1453-13), des articles L 1453-7 et suivants dont l’entrée en vigueur est subordonnée à l’adoption du décret prévu à l’article L 1453-13 et de l’arrêté ministériel prévu à l’article L 1453-11.
Ainsi, le nouveau régime d’autorisation préalable des conventions conclues avec les professionnels de santé (qui remplace le système actuel reposant sur des déclarations) ne pourra a priori pas entrer en vigueur au 1er juillet 2018 : en effet, le nouvel article L. 1453–11 prévoit qu’une autorisation préalable est requise pour les avantages dont la valeur est supérieure à un seuil qui doit être déterminé par un arrêté ministériel. Cet arrêté n’ayant pas encore été pris, ces dispositions ne pourront donc pas entrer en vigueur.
Entre le 1er juillet et la date d’entrée en vigueur des mesures réglementaires d’application des mesures nouvelles, les anciennes mesures réglementaires continuent à s’appliquer, sauf si elles sont devenues incompatibles avec la loi nouvelle, ce qui est en partie le cas.
En pratique, le nouveau régime des sanctions prévu par l’ordonnance (articles L1454-1, L 1454-4 à L 1454-9) étant applicable directement, on peut soutenir que le nouveau régime des sanctions s’applique s’il correspond à une infraction prévue par l’ancienne législation et reprise en termes équivalents dans la nouvelle (entrée en vigueur), ce qui devrait logiquement être souvent le cas, la loi nouvelle ayant élargi le champ d’application de la loi.
Cependant, l’application de cette règle est fortement tempérée ici par le fait que, pour l’essentiel, les infractions en cause ne peuvent être définies dans un texte réglementaire et relèvent nécessairement du domaine de la loi, ce qui interdit d’infliger des sanctions en cas de méconnaissance des dispositions en cause.
Auteurs
Bernard Geneste, avocat associé, droit de la santé, droit de l’Union européenne et droit public, contentieux administratif et communautaire.
Jean-Baptise Thiénot, avocat counsel, droit de la Propriété intellectuelle, réglementation des produits de santé