La politique européenne de concurrence encadrée et renforcée via la directive ECN+
Publiée le 14 janvier 2019, la directive 2019/1 du 11 décembre 2018, usuellement nommée directive ECN + (en référence à European Competition Network), est officiellement intitulée comme « visant à doter les autorités de concurrence des Etats membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur ».
L’objectif de la directive est clair : parvenir à une mise en œuvre effective des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (interdiction des ententes et abus de position dominante), même en cas d’application parallèle des dispositions nationales, en dotant les Autorités nationales de concurrence (ANC) des « garanties d’indépendance, des ressources et des pouvoirs de coercition et de fixation d’amendes nécessaires ».
Elle résulte du constat que certaines ANC n’ont pas les outils ou moyens humains, financiers, techniques ou juridiques suffisants et qu’il existe des divergences dans les règles de sanctions (possibilité dans certains Etats membres de procéder à une restructuration pour échapper au paiement d’une amende) ou encore entre les programmes de clémence des Etats membres.
La transposition de la directive fixée au plus tard au 4 février 2021 devrait donc conduire à un alignement par le haut des critères de fonctionnement des ANC, de leurs moyens d’action et donc aussi de leurs pouvoirs.
Même si elles doivent être plus limitées en France, les adaptations textuelles ne seront pas pour autant négligeables, l’Autorité de la concurrence (ADLC) indiquant dans un communiqué que « la directive implique un renforcement de ses pouvoirs d’action et, pour les entreprises, des sanctions encore plus dissuasives » et qu’elle offre « des avancées significatives ».
En effet, le texte européen prévoit que les ANC pourront fixer leurs priorités, ce qui leur permettra de rejeter certaines saisines, créant ainsi au profit de l’ADLC le bénéfice d’une variante de « l’opportunité des poursuites ».
Au titre du renforcement des pouvoirs :
- les ANC pourront imposer une mesure non seulement comportementale mais aussi structurelle, la seule limite étant qu’en cas de choix la moins contraignante soit retenue ;
- en cas d’urgence et si cela est justifié par le risque d’un préjudice grave et irréparable causé à la concurrence, toute ANC doit pouvoir se saisir d’office et ordonner des mesures provisoires. L’ADLC voit dans ce nouveau pouvoir « un atout pour répondre, notamment, aux défis de l’économie numérique ».
Structurelles ou conservatoires, il s’agit assurément là de deux nouvelles mesures de portée générale et de forte contrainte pour les opérateurs économiques impliqués dans une pratique anticoncurrentielle.
Le plafond des amendes ne devant pas être inférieur à 10% du chiffre d’affaires mondial consolidé de l’entreprise ou de l’association d’entreprises, le plafond de 3 millions d’euros applicable en France aux autres entités que les entreprises devrait être revu. En outre, reprenant la directive 2014/104 sur les dommages-intérêts, la directive ECN+ prévoit que la réparation versée à la suite d’un règlement transactionnel entre entreprises puisse être prise en compte dans le calcul de l’amende. L’article L464-2 du Code de commerce autorise cette atténuation d’amende lorsque la transaction intervient au cours de la procédure.
Les Etats membres devront protéger les demandeurs de clémence personnes physiques (directeurs, gérants et autres membres du personnel) contre les sanctions qui pourraient leur être infligées dans le cadre de procédures pénales. Se pose donc la question d’un aménagement de l’article L420-6 du Code de commerce qui prévoit de telles sanctions pénales contre toute personne physique ayant pris frauduleusement une part personnelle et prépondérante dans une pratique anticoncurrentielle.
Enfin, et sans pouvoir être ici exhaustif, on notera que la directive semble autoriser comme moyens de preuve valides les « enregistrements dissimulés », s’il ne s’agit pas d’un unique moyen de preuve (cons. 73). Il en serait de même des messages électroniques non lus ou supprimés. L’article 32 sans reprendre strictement ces termes précise que les types de preuve admis sont les documents, les déclarations orales, les messages électroniques, les enregistrements et tout autre élément contenant des informations, quels qu’en soient la forme et le support.
D’ores et déjà, le projet de loi PACTE, en cours d’examen, habilite le Gouvernement, via un amendement supprimé puis rétabli, à transposer la directive ECN + par voie d’ordonnance. Soulignons que ce texte autorise par ailleurs l’ADLC à se faire communiquer les fadettes dans certaines conditions, ce qui sans être une demande spécifique de la directive entre dans la problématique des preuves recevables.
Auteur
Denis Redon, avocat associé, droit douanier et droit de la concurrence