La publicité du registre des trusts : une atteinte manifeste au droit au respect de la vie privée ?
La loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a instauré un registre public des trusts dont l’accès a été très rapidement suspendu suite à un référé-suspension en date du 22 juillet 2016.
Afin de permettre à l’administration fiscale d’être informée de l’existence de trusts étrangers ayant un lien territorial avec la France1, l’article 1649 AB du CGI impose depuis 2011 aux administrateurs de ces trusts la double obligation déclarative suivante :
- une déclaration relative à la constitution, la modification ou l’extinction, ainsi qu’au contenu des termes du trust (alinéa 1) ;
- tous les ans, une déclaration de la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits ou produits capitalisés au sein du trust (alinéa 6).
Le non-respect de l’une de ces obligations est passible d’une sanction édictée à l’article 1736 IV bis du CGI lequel prévoit que «les infractions à l’article 1649 AB sont passibles d’une amende de 20 000 € ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 12,5% des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés».
La loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (ci-après «la Loi») a instauré en son article 11 un registre public des trusts. Ce registre recense les trusts ayant un lien territorial avec la France, dont un au moins des constituants, bénéficiaires ou administrateurs a son domicile fiscal en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé au sens de l’article 750 ter du CGI.
I. Contenu du registre public des trusts
Le décret d’application du 10 mai 2016 est venu déterminer les modalités de mise en oeuvre du registre2. Ainsi, il ressort de l’article 368 du CGI issu de ce décret que les informations suivantes devront figurer dans le registre public :
- la dénomination et l’adresse du trust ;
- la date de constitution et la date d’extinction du trust ;
- la date et la nature de la déclaration prévue à l’article 1649AB du CGI ;
- l’identification du constituant, du bénéficiaire et de l’administrateur. Si le constituant, le bénéficiaire et l’administrateur sont des particuliers, leurs prénoms, noms, date et lieu de naissance doivent aussi figurer dans le registre. Si, à l’inverse, le constituant, le bénéficiaire et l’administrateur sont des personnes morales, la raison sociale et le numéro SIREN sont exigés.
L’utilisateur ne pourra pas avoir connaissance de la nature et de la valeur des actifs du trust. Ces informations seront mises à jour régulièrement et seront disponibles pendant une période maximum de 10 ans après l’extinction du trust.
Le décret nous informe que «toute personne peut obtenir, par voie électronique, la délivrance des informations de l’article 368». Ainsi, toute personne physique ou morale ayant un «identifiant fiscal» en France peut consulter le registre public des trusts.
L’accès à ce registre se fait via une procédure d’authentification sécurisée qui a été encadrée par un arrêté ministériel en date du 21 juin 2016. Cet arrêté précise que l’utilisateur ne peut en faire usage que dans le cadre du respect de la vie privée. Il prévoit des poursuites pénales en cas de diffusion abusive des informations contenues dans le registre public des trusts.
Il sera également possible, pendant 1 an, d’identifier la personne qui consulte le registre, son adresse IP, son nom d’utilisateur, la date et la durée de sa connexion.
Désormais 16.000 trusts sont connus de l’administration par le biais des déclarations fiscales prévues à l’article 1649 AB du CGI.
II. Critiques sur le caractère public du registre
Depuis 2012, le Parlement Européen considère que «le renforcement de la réglementation relative aux registres des sociétés et à l’enregistrement des trusts ainsi que leur transparence sont une condition préalable pour faire face à l’évasion fiscale3».
Le registre s’inscrit dans ce courant général de lutte pour la transparence économique et fiscale. L’exposé des motifs de la Loi qui est venue modifier l’article 1649 AB alinéa 2 du CGI dispose en ce sens : «Cet amendement vise à instaurer un registre public des trusts, comme existe un registre des entreprises. L’objectif de ce registre est de permettre plus de transparence sur ces montages juridiques opaques par lesquels transite 80% de l’évasion fiscale4».
La législation française semble toutefois aller au-delà de la Directive du 20 mai 20155, dont l’article 31 exige que les informations relatives aux bénéficiaires effectifs des trusts / fiducies soient conservées dans un registre central sans qu’il ne soit fait mention du caractère public de ce registre6 (à l’inverse des sociétés).
La France est -à notre connaissance et à ce jour– le seul pays en Europe à avoir choisi de rendre public le registre des trusts. Toutefois, la mise en place de ce dernier n’a pas été sans difficultés. Dès le 23 juin, le décret visant les modalités de mise en œuvre pratique de ce registre a fait l’objet d’un référé-suspension. Considérant l’argument selon lequel l’accès libre à des données personnelles porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 comme suffisamment sérieux, le juge des référés du Conseil d’Etat a fait droit à ce recours en prononçant la suspension temporaire du registre par l’ordonnance du 22 juillet 20167. Il reviendra ensuite au Conseil d’Etat d’annuler ou non le décret d’application du 10 mai 2016. Le registre public des trusts n’est plus accessible depuis le 22 juillet 2016.
Parallèlement à la procédure de référé-suspension, une QPC a été introduite devant le Conseil constitutionnel. Cette procédure n’est pas suspensive et ce dernier a trois mois maximum pour trancher la question à compter du moment où elle lui a été transmise.
Ces juridictions auront donc à trancher des questions de droit importantes que soulève le caractère public du registre des trusts, et déterminer si le principe de la transparence fiscale doit prévaloir sur le droit au respect de la vie privée. En effet, le trust étant utilisé comme outil de transmission par les anglo-saxons, le registre rendrait accessible au public des dispositions testamentaires sans le consentement de leurs auteurs. Ensuite, on peut s’interroger sur la pertinence d’impliquer le public dans la lutte contre la fraude fiscale et le combat contre la grande délinquance économique et financière, alors que ce rôle est, en principe, dévolu aux seuls agents de l’administration qui ont déjà accès à toutes les données personnelles fournies dans les déclarations de l’article 1649 AB du CGI précité. Par ailleurs, à l’inverse des sociétés, les trusts sont des structures qui n’interagissent pas directement avec les tiers.
On peut rappeler que le fichier «Ficovie» (fichier centralisé des contrats d’assurances-vie), également créé à des fins de lutte contre la fraude fiscale, a été reconnu constitutionnel par une décision du 29 décembre 2013 n°2013-684 DC, notamment au motif que son accès était réservé à l’administration fiscale tenue à l’obligation de secret.
Notes
1 Le constituant, le bénéficiaire réputé constituant ou le bénéficiaire réel sont résidents de France ou les biens placés dans le trust sont situés en France au sens de l’article 750 ter du CGI.
2 Décret n°2016-567 du 10 mai 2016 relatif au registre public des trusts.
3 Résolution du Parlement Européen 2012/2599 (RSP) du 19 avril 2012 sur la nécessité de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
4 Exposé des motifs de l’amendement n°68 rect du 14 juin 2013 pris dans le cadre de la loi du 6 décembre 2013 n°2013-1117.
5 Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
6 Il ressort d’une proposition de la Commission Européenne dans le cadre du renforcement de la lutte contre le blanchiment de capitaux, une volonté de limiter l’accès pour les fiducies n’ayant pas d’activité économique aux seules personnes ou organismes pouvant justifier d’un intérêt légitime (Memo 16/2381 de la Commission Européenne en date du 5 juillet 2016).
7 CE, ordonnance du 22 juillet 2016, Mme B… n°400913.
Auteurs
Pierre-Jean Douvier, avocat associé, Fiscalité internationale.
Adea Meidani, avocat, Fiscalité internationale