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La qualification d’une « distribution » d’un trust : une épineuse question !

La qualification d’une « distribution » d’un trust : une épineuse question !

La loi du 29 juillet 2011 a défini le régime fiscal applicable en France aux trusts étrangers en matière de droits de mutation, d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune. Si ce cadre législatif a eu le mérite de clarifier le traitement fiscal applicable aux distributions opérées par un trust, des zones d’ombre demeurent parmi lesquelles celle de savoir comment distinguer le capital du revenu de ce capital lors d’une attribution aux bénéficiaires du trust. La question se pose également au moment d’une déclaration évènementielle.

Au moment de la constitution du trust, le constituant se dessaisit au profit du trust via le transfert d’un capital qui pourra ensuite générer des revenus au sein même du trust. Ainsi, lors d’une distribution, le bénéficiaire pourra recevoir du capital ou bien des revenus générés par ce capital. L’importance de la distinction réside dans la différence de régime fiscal applicable à ces deux types de distribution.

  • Régime fiscal applicable aux distributions des produits du trust aux bénéficiaires

En droit interne, l’article 120-9° du Code général des impôts (CGI) prévoit qu’un bénéficiaire résident fiscal français qui reçoit les produits d’un trust est assujetti à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, et ce quelle que soit la nature des revenus sous-jacents (revenus fonciers, plus-values, RCM…).

Cet article a été modifié par l’article 14 de la Loi de finances rectificatives pour 2011 du 29 juillet 2011, de manière à ne viser que les produits distribués par le trust.

Ainsi, les produits capitalisés au sein du trust n’entrent pas dans le champ de l’article 120-9° du CGI.  Toutefois, lorsque le trust est soumis à un régime fiscal privilégié, l’article 123 bis du CGI a vocation à éviter l’accumulation de revenus non taxés au sein du trust. Une récente décision de la Cour Administrative d’appel de Paris[1] a toutefois précisé qu’il était impossible d’appliquer l’article 123 bis du CGI à l’encontre de bénéficiaires d’un trust discrétionnaire et irrévocable. A cet égard, les travaux parlementaires de 2011 avaient déjà souligné la difficulté d’application de l’article 123 bis aux trusts[2].

Enfin, précisons que même si la notion de « produits » stricto sensu n’a pas été précisée par la loi, les praticiens considèrent généralement que seules les distributions qui correspondent aux fruits générés par le capital affecté au trust peuvent être considérées comme produits d’un trust étranger.

Qu’en est-il lorsque c’est le capital du trust lui-même qui est attribué au bénéficiaire ?

 

 

  • Régime fiscal applicable à la remise d’une fraction du capital du trust

En application de l’article 792-0 bis du CGI, « la transmission par donation ou succession de biens ou droits placés dans un trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés est, pour la valeur vénale nette des biens, droits ou produits concernés à la date de la transmission, soumise aux droits de mutation à titre gratuit en fonction du lien de parenté existant entre le constituant et le bénéficiaire ».

Ainsi, les biens du trust, y compris les produits capitalisés, sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit dans le cas d’une transmission inter vivos ou par décès.

En ce qui concerne en revanche les produits distribués, la doctrine administrative confirme que les produits d’un trust étant taxés à l’impôt sur le revenu lors de leur distribution, leur sortie du trust n’entraîne en principe aucune taxation aux droits de mutation à titre gratuit[3] sous réserve que le bénéficiaire ou l’administrateur du trust soient en mesure d’apporter les éléments permettant de justifier la qualification de produits des sommes concernées.

Dès lors, au moment de l’attribution, comment distinguer la quote-part devant être soumise à l’impôt sur le revenu de celle relevant des droits de mutation à titre gratuit ? Comment déterminer l’ordre d’imputation de ce qui est distribué lorsque le trustee a un pouvoir discrétionnaire ? Faut-il considérer que l’on distribue les revenus en premier puis le capital ? Ou bien l’inverse ? Doit-on considérer que le trustee dispose d’un pouvoir décisionnaire dans cet arbitrage ?

  • Les difficultés de la distinction du capital et des produits lors d’une distribution

Si la différence de régime fiscal applicable à une remise de capital et à une distribution de produit semble claire, il subsiste un certain nombre de difficultés pratiques dans la distinction de ce qui relève du capital et des produits dès lors que la loi et la doctrine administrative restent muettes sur ce point.

A notre connaissance, deux décisions de jurisprudence apportent un éclairage partiel sur cette question.

Premièrement, le 6 septembre 2012, la Cour administrative d’appel de Bordeaux[4] a jugé que les sommes provenant de transferts du capital d’un trust britannique ne sont pas des revenus imposables en tant que produits de trust au sens de l’article 120-9° du CGI. La Cour n’en tire pas pour autant la conclusion que le transfert était passible des droits de mutation à titre gratuit mais elle n’était pas interrogée sur ce point. Dans cette affaire, il n’était toutefois pas contesté par l’administration fiscale française que les sommes avaient essentiellement pour origine des transferts de capital au profit du bénéficiaire.

Ensuite, le 21 mai 2013, le Tribunal administratif de Cergy Pontoise[5] a jugé qu’une distinction doit être faite entre les sommes correspondant aux fruits générés par le capital affecté à un trust canadien et celles résultant de transferts portant sur la propriété de ce capital même. Seules les premières constituent des produits de trusts soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Dans cette deuxième affaire, le contribuable disposait d’un relevé détaillé des mouvements et opérations sur le capital du trust qui indiquait que les sommes litigieuses avaient pour contrepartie des diminutions de la part du capital du trust et que les dotations au capital du trust étaient supérieures aux versements litigieux. Le juge disposait également des termes d’une lettre de l’agence du revenu du Canada faisant état du montant des sommes versées au capital du trust depuis sa création et des distributions accordées au requérant sous forme de versements de capital.

Ainsi, pour être en mesure de déterminer ce qui relève du capital ou des produits d’un trust, la tenue d’une comptabilité probante par l’administrateur du trust nous semble être un premier élément de réponse bien que cela ne relève souvent d’aucune obligation légale dans le pays au sein duquel le trust a été créé.

Cette démarche implique une nette distinction entre le compte « revenus » et le compte « capital », d’autant plus lorsque les distributions correspondent à des distributions discrétionnaires pouvant être à la fois composées de revenu que de capital. Dans ce cas, faut-il que cette distinction existe depuis l’origine du trust pour rendre la comptabilité probante ?

Comment traiter le cas d’une comptabilité inexistante ou impossible à reconstituer ? En l’absence d’indication de la loi ou de la doctrine administrative, devrait-on appliquer une approche similaire à celle applicable aux rachats de contrat d’assurance-vie pour déterminer la quote-part de capital et de revenus afférente à chaque versement réalisé par le trust ? Mais une fois encore, cette analyse par analogie ne repose sur aucun fondement textuel.

Se pose également la question délicate de la notion de capitalisation et celle liée au traitement fiscal de ces produits capitalisés. A s’en tenir à la lecture stricte du texte, les produits capitalisés sont intégrés dans l’assiette des droits de mutation (art. 792-0 bis du CGI).  Dès lors, comment articuler ce dispositif avec celui de l’article 120-9° du CGI ?

Faudrait-il considérer que les revenus perçus par le trust et distribués avant l’exigibilité des droits de mutation sont soumis à l’impôt sur le revenu tandis qu’une fois que les droits de mutation sont exigibles, les revenus capitalisés distribués seraient alors soumis aux droits de mutation ?

A ce jour, ni la loi, ni la doctrine administrative, ni la jurisprudence ne donnent de réponses claires sur la manière d’imputer ce qui relève du capital ou des produits générés par ce capital lors d’une distribution. Nul doute que les juges seront amenés à trancher cette épineuse question dans les années à venir. Dans cette attente, une intervention législative ou de nouveaux commentaires administratifs seraient les bienvenues.

Article paru dans Option Finance le 01/03/2021

[1]   CAA Paris, 24 juin 2020, n° 19PA00458, Clive Worms.

[2]   « Cependant, l’article 123 bis suppose que la personne physique imposée en transparence détienne au moins 10% de l’entité, disposition qui, en pratique, s’applique mal (voire pas) aux trusts. Seul le cas particulier des trusts implantés dans un ETNC pourrait être couvert par l’article 123 bis dans la mesure où celui-ci prévoit […] que la condition de détention des droits précédemment exposée est présumée satisfaite lorsqu’un contribuable a transféré des biens et droits à l’entité ».

[3]   BOI-ENR-DMTG-30-20121016 n° 170.

[4]   CAA Bordeaux, 6 septembre 2012, n° 10BX01374, Thacker.

[5]   TA Cergy Pontoise, 21 mai 2013, 2e ch., n° 115647, M et Mme L., C+.

Auteurs

Adea Meidani, Avocat counsel en droit fiscal

Pauline Jalliard, Avocat en droit fiscal

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