La réforme inachevée de la contestation judiciaire des avis du médecin du travail
19 février 2019
La loi 2016-1088 du 8 août 2016 a réformé en profondeur le fonctionnement de la médecine du travail, et plus généralement des services de santé au travail. Elle a également bouleversé les règles applicables en matière de contestation des avis du médecin du travail, en faisant notamment relever ce type de contestation de la compétence non plus du Tribunal administratif mais du Conseil de prud’hommes.
Depuis lors, le décret n°2016-1908 du 27 décembre 2016, le décret n°2017-1008 du 10 mai 2017, l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, le décret n°2017-1698 du 15 décembre 2017 et l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 sont venus apporter de nouvelles modifications aux règles nouvellement définies en ce domaine.
Avec une telle inflation de textes, on pouvait s’attendre à ce que les dispositions entourant les modalités des contestations des avis rendus par le médecin du travail soient parfaitement claires et faciles de compréhension et d’application pour les employeurs et les salariés, mais aussi pour les praticiens en charge des contentieux de cette nature.
Or, comme il sera vu ci-après, les dispositions actuellement applicables en cette matière sont particulièrement mal rédigées. Elles posent de nombreux questionnements, dans un contexte où l’on observe une inflation des contestations portées devant la juridiction prud’homale.
En voici quelques illustrations concrètes.
En premier lieu, on peut se demander si seules les décisions du médecin du travail sont susceptibles de faire l’objet d’une contestation judiciaire, ou si celles émanant d’autres acteurs des services de santé au travail, tels que les collaborateurs médecins notamment, le sont également.
Les articles L.4624-4, L.4624-6 et L.4624-7 du Code du travail, en leurs dispositions les plus actuelles, mentionnent que c’est le médecin du travail (lequel est titulaire d’un diplôme spécial visé au premier alinéa de l’article L.4623-1) qui établit les avis d’aptitude ou d’inaptitude physique.
Si le collaborateur médecin (qui ne possède pas le diplôme précité) se distingue du médecin du travail, l’article L.4623-1, pris en son troisième alinéa, précise qu’un décret (articles R 4623-25 et R 4623-25-1 du Code du travail) fixe les conditions dans lesquelles il exerce, sous l’autorité d’un médecin du travail d’un service de santé au travail et dans le cadre d’un protocole écrit et validé par ce dernier, les fonctions dévolues aux médecins du travail.
En d’autres termes, le médecin collaborateur peut exercer, de manière encadrée, les fonctions dévolues au médecin du travail.
Dans l’hypothèse où ce médecin collaborateur viendrait à rédiger et signer des avis d’aptitude ou d’inaptitude aux lieu et place du médecin du travail, lesdits avis peuvent ils être contestés devant le conseil de prud’hommes sachant que l’article L.4624-7 du Code du travail vise les avis et autres propositions, conclusions écrites ou indications du seul médecin du travail, et non, par exemple, « du médecin du travail ou de toute personne dûment habilitée se substituant à lui ».
Aucune réponse n’est apportée par les textes sur ce point.
En second lieu, le législateur n’a pas cru devoir préciser si les avis susceptibles d’être contestés devant le Conseil de prud’hommes s’entendaient uniquement de ceux concernant la reprise du salarié (à la suite d’une période d’arrêt de travail significativement longue) ou s’il pouvait également s’agir des avis de pré reprise (intervenant alors que le salarié se trouve toujours en arrêt maladie), conduisant ainsi, en la présence d’un avis de pré reprise puis d’un avis de reprise intervenant plusieurs jours plus tard, à une possible double saisine du conseil de prud’hommes.
En troisième lieu, il ressort de l’article L.4624-7 du Code du travail que le salarié et l’employeur peuvent former une contestation « portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L.4624-2, L.4624-3 et L.4624-4 » du Code du travail.
Il semble donc, à la lecture de ces dispositions, que seule la mise en cause des « éléments de nature médicale » puisse justifier la contestation judiciaire des décisions du médecin du travail.
Pour autant, le législateur s’est abstenu de donner une définition précise desdits « éléments », ce qui ne manque pas de poser des questions d’interprétation de cette notion !
Par ailleurs, une lecture littérale de l’article L.4624-7 du Code du travail conduirait à prohiber toute contestation d’un avis du médecin du travail pour des raisons autres que celles portant sur des éléments de nature médicale.
Or, on peut imaginer que dans certaines situations le médecin du travail, préalablement à l’avis qu’il va rendre, a pu s’affranchir des obligations qui sont pourtant les siennes (échange avec le salarié, échange avec l’employeur, étude de poste, etc.) et qui, si elles avaient été respectées, auraient peut-être conduit à une toute autre décision.
Interdire un recours prud’homal dans ce cas reviendrait à offrir au médecin du travail une sorte d’impunité en cas de non-respect de dispositions pourtant impératives s’imposant à lui.
En quatrième lieu, la procédure introduite devant le Conseil de prud’hommes, dont les grandes lignes sont pour l’essentiel définies à l’article L.4624-7 du Code du travail, n’est aucunement satisfaisante, ce pour plusieurs raisons.
- La procédure observe tout d’abord un absent d’importance : le médecin du travail lui-même.
L’alinéa 1 de l’article L.4624-7 du Code du travail dispose en effet expressément que « le médecin du travail (…) n’est pas partie au litige ».
Ce constat conduit à un paradoxe singulier dès lors que le litige prud’homal opposera exclusivement l’employeur et le salarié à propos d’une décision rendue par un tiers, en l’occurrence, le médecin du travail, qui n’est pas présent à l’instance pour assumer, soutenir et justifier sa décision.
Pour mémoire et à titre de comparaison :
- le contentieux administratif introduit aux fins de contester la décision d’un inspecteur du travail qui a refusé ou accordé une autorisation de licenciement implique concrètement l’inspection du travail, l’employeur et le salarié ;
- le contentieux porté avant le 1er janvier 2019 devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale et depuis cette date devant les Tribunaux de grande instance à propos de la prise en charge d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle implique l’employeur, le salarié et la caisse primaire d’assurance maladie.
On ne peut donc que s’étonner de l’absence du médecin du travail à l’occasion du procès prud’homal.
Cette absence est d’autant plus critiquable que l’intervention du médecin du travail pourrait, dans certaines situations, éclairer le Conseil de prud’hommes sur la nature et/ou l’étendue des réserves qu’il a émises dans son avis, singulièrement lorsque lesdites réserves sont, comme on le voit parfois, saugrenues, fantaisistes ou tout simplement impossibles à mettre en œuvre concrètement.
- En cas de saisine du Conseil de prud’hommes, le médecin du travail, conformément à l’article L.4624-7 du Code du travail, doit « être informé de la contestation ».
Pour autant, aucune disposition ne précise la personne devant être à l’initiative de cette information du médecin du travail et le délai à l’intérieur duquel cette information doit intervenir.
Pas davantage il n’est fait mention du « timing » de l’information du médecin du travail (avant, concomitamment ou après la saisine du Conseil de prud’hommes ?).
Enfin, aucune sanction n’est mentionnée dans l’hypothèse où il ne serait pas procédé à l’information du médecin du travail.
- L’article L.4624-7 du Code du travail offre à l’employeur la possibilité de mandater un médecin, à charge pour celui-ci de se rapprocher du médecin du travail aux fins de se faire communiquer par ce dernier les éléments médicaux ayant fondé son avis.
Le mandatement d’un médecin par l’employeur est le seul moyen pour ce dernier d’obtenir des informations de nature médicale concernant le salarié visé par l’avis du médecin du travail.
Cette formalité est donc importante.
Pour autant, l’article L.4624-7 du Code du travail est rédigé de telle manière que le médecin du travail n’est pas contraint de transmettre au médecin mandaté les éléments de nature médicale ayant fondé sa décision.
Il peut (et non doit) en effet les transmettre au médecin mandaté.
En pratique, rares sont les médecins du travail qui communiquent lesdits éléments au médecin mandaté.
Dans ces conditions, quel est l’intérêt pour l’employeur de mandater un médecin qui ne se verra remettre aucun document ?
De la même manière, il n’est fait mention dans aucun texte du délai à l’intérieur duquel le médecin du travail, s’il le décide, transmettra les éléments médicaux au médecin mandaté.
Or, là encore, quel pourrait être l’intérêt pour l’employeur de mandater un médecin qui pourrait se voir remettre les éléments médicaux postérieurement à l’audience, et pire encore après le prononcé de la décision du Conseil de prud’hommes ?
L’article L.4624-7 du Code du travail dispose également que lorsque l’employeur procède au mandatement d’un médecin, le salarié est informé de la notification.
Là encore, aucune disposition ne permet de savoir qui doit être à l’initiative de cette information du salarié, sous quel délai elle doit intervenir, et quelles sont les sanctions qui sont attachées à une absence d’information.
Ces quelques illustrations montrent les nombreuses imperfections de la réforme entourant la contestation des avis, et plus généralement, des décisions du médecin du travail – pourtant de grande ampleur – nouvellement définie depuis la loi du 8 août 2016, mais plus significativement encore depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017.
Plusieurs Cours d’appel1 ont apporté, pour l’heure, leur contribution pour combler certaines des lacunes observées par les praticiens.
La Cour de cassation ne se positionnera qu’au fur et à mesure des affaires qui lui seront soumises, ce dans plusieurs mois, de telle sorte que les zones d’ombre et les nombreuses interrogations qui se posent vont conduire les praticiens et les Conseils de prud’hommes, qui ne sont devenus que récemment compétents pour statuer sur les avis du médecin du travail, à faire preuve de création, d’imagination et, soyons optimistes, de courage.
Note
En ce sens « Panorama de la jurisprudence des cours d’appel sur les recours contre l’avis du médecin du travail » (Feuillet Rapide Social – Editions Francis Lefebvre, 2/19, p 52)
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé, droit social
La réforme inachevée de la contestation judiciaire des avis du médecin du travail – Article paru dans Les Echos Exécutives le 18 février 2019
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