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La réparation du préjudice causé aux porteurs d’obligations convertibles : utiles rappels de la Cour de cassation

La Cour de cassation vient à nouveau de statuer dans une affaire pour laquelle elle avait déjà rendu un important arrêt (Com. 7 avr. 2010). Le litige oppose une société ayant émis des obligations convertibles en actions à l’un des porteurs de ces titres après exercice de la faculté de conversion. Il est reproché à la société émettrice d’avoir procédé, après l’émission de ces titres, à des distributions de dividendes prélevés pour partie sur le compte primes d’apport en omettant de procéder à l’ajustement des modalités de conversion comme l’exige l’article L. 228-99 du Code de commerce et comme le prévoyait de surcroît le contrat d’émission. En théorie, toute violation des règles protectrices énoncées aux articles L. 228-98 et suivants est sanctionnée par la nullité de la délibération litigieuse (C. com., art. L. 228-104).

La décision de distribuer des réserves aurait pu incontestablement faire l’objet d’une demande d’annulation par les personnes spécialement protégées, les porteurs de valeurs mobilières composées. Mais ce n’est pas sur ce terrain que le débat judiciaire a été placé. Le porteur des titres sollicitait une indemnisation à hauteur du préjudice subi estimé à 2 135 273 euros et prétendait agir au nom de l’ensemble des obligataires.

L’arrêt de 2010 avait débouté le demandeur de sa demande, en affirmant l’exclusivité des prérogatives du représentant de la masse des obligataires pour agir dans l’intérêt commun des obligataires (C. com., art. L. 228-54). Un point restait toutefois non résolu : celui de la recevabilité de l’action en responsabilité engagée à titre personnel par le même investisseur au titre du défaut d’ajustement des modalités de conversion des obligations. Techniquement, pour obtenir gain de cause, cet investisseur devait établir qu’il pouvait agir seul, sans avoir à passer par le truchement du représentant de la masse. Il avait invoqué deux arguments, qui sont tous deux écartés à la fois par la cour d’appel et la Cour de cassation (arrêt du 10 déc. 2013).

En premier lieu, l’investisseur plaidait que, une fois les obligations converties en actions, la masse ayant disparu, il en allait de même du représentant de la masse, de sorte qu’était nécessairement recevable une action individuelle en réparation du préjudice subi. Cette piste ne pouvait aboutir car la Cour de cassation avait déjà jugé, dans une célèbre affaire Uniross, que la masse des créanciers obligataires subsiste tant qu’il n’a pas été définitivement statué sur leurs droits (arrêt du 10 juill. 2012). Il n’y a là, en réalité, que l’application à la masse des obligataires d’un principe bien connu en droit des sociétés : la personnalité morale subsiste tant que l’ensemble des dettes et des créances n’est pas liquidé. £arrêt commenté réitère la solution : malgré la conversion des obligations en actions, la masse subsiste et, avec elle, le monopole légal de représentation prévu par l’article L. 228-54. Monopole qui s’impose en l’occurrence puisque la demande formée était de nature à intéresser l’ensemble des obligataires. rinvestisseur ne pouvait donc agir seul.

En second lieu, argument plus original, l’investisseur prétendait que, puisque le préjudice invoqué était relatif à la valeur des actions reçues en exerçant son droit à conversion, sa qualité d’actionnaire lui permettait d’agir, seul, pour obtenir réparation. Là encore, la tentative échoue. Dès lors que la faute reprochée à la société émettrice consistait dans un manquement aux stipulations du contrat d’émission, le litige trouvait sa source dans le seul rapport obligataire entre la société émettrice et l’investisseur : ce dernier ne pouvait donc se prévaloir de sa position d’actionnaire. Il faut voir là, l’application d’un principe dégagé par la Cour de cassation en 1995 dans un arrêt Métrologie, qui avait imposé une analyse séquentielle des titres donnant accès au capital. Tant que la conversion, l’échange ou le remboursement de l’obligation n’est pas intervenu, le titre demeure une obligation et son titulaire doit être traité comme un obligataire. Dès lors, il est logique que, se prévalant d’une faute de l’émetteur lors de la conversion, l’investisseur ne puisse agir comme actionnaire.

Permanence de la masse tant que subsiste un litige sur les droits des obligataires ; exclusivité des prérogatives de son représentant pour la défense de l’intérêt commun des obligataires ; analyse séquentielle des titres donnant accès au capital : tels sont les trois utiles rappels de l’arrêt du 10 décembre 2013.

 

A propos de l’auteur

Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique

 

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 3 mars 2014