La revente hors réseau à prix très réduit d’un produit acquis licitement ne constitue pas un acte de concurrence déloyale
Une société française fabriquant et commercialisant des chemises sous sa marque à travers un réseau de distribution sélective national et international avait assigné en concurrence déloyale un revendeur hors réseau auquel elle reprochait d’avoir offert à bas prix ses produits à la vente, sans son autorisation, sur un site Internet. Ce revendeur s’était approvisionné auprès de la filiale italienne du fabricant.
Après avoir relevé que la filiale n’avait signé aucun contrat de distribution sélective avec sa mère (ce qui la soustrayait à toute interdiction de revente hors réseau) et que cette dernière ne démontrait ni la licéité, ni l’étanchéité du réseau, la Cour d’appel avait néanmoins considéré que la revente litigieuse avait permis au revendeur de profiter de la notoriété de la marque acquise grâce à des investissements et de se placer dans le sillage du fabricant, détournant ainsi une partie de la clientèle de ce dernier. Elle avait donc conclu à la fois à l’existence d’un comportement parasitaire et à la réalisation d’actes de concurrence déloyale.
La Cour de cassation a censuré cette décision au visa de l’article 1382 du Code civil (aujourd’hui article 1240) au motif que « la revente à prix réduit d’un produit dont l’approvisionnement illicite n’est pas établi ne constitue pas une faute constitutive de concurrence déloyale et de parasitisme » (Cass. com., 8 novembre 2016, n°15-15.072).
Elle a également considéré que le simple fait de revendre les articles à un très bas prix est insuffisant à caractériser une atteinte à l’image de l’enseigne sous laquelle les produits sont revendus ou de la marque dont ils sont revêtus.
Concernant l’existence d’actes de concurrence déloyale qui auraient résulté du fait de revendre à un prix très réduit les articles litigieux sans avoir été agréé, la Cour de cassation exclut logiquement leur existence dès lors que le caractère illicite de l’approvisionnement n’est pas établi. En l’espèce, l’étanchéité du réseau n’était pas démontrée puisque la filiale italienne n’était soumise à aucune exclusivité.
Dès lors que le produit est acquis licitement, le fait qu’il soit revendu à un prix réduit par rapport à celui pratiqué par les distributeurs agréés est sans incidence. Cette pratique relève en effet de la liberté du commerce et de la concurrence, la seule limite étant la revente à perte (article L.442-2 du Code de commerce).
La Cour de cassation confirme ainsi que le seul fait pour un revendeur hors réseau de revendre le produit acquis licitement à un prix réduit ne suffit pas à constituer une faute de concurrence déloyale ou parasitaire ou une atteinte à l’image de l’enseigne qui le distribue ou de la marque dont il est revêtu.
Pour établir un manquement, il faut en outre démontrer certains actes comme la pratique de prix d’appel ou des conditions dégradantes de commercialisation du produit.
Soulignons que dans cette affaire, le fabricant avait également tenté en vain d’obtenir devant la cour d’appel de Paris la condamnation du revendeur sur le fondement de l’article L.442-6 I 6° du Code de commerce qui sanctionne le fait « de participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence », c’est-à -dire d’un accord licite. En effet faute d’accord de distribution sélective conclu entre le fabricant et sa filiale italienne, le revendeur qui s’était approvisionné auprès de cette dernière n’avait pas pu participer à la violation d’une quelconque interdiction de revente hors réseau.
Cet arrêt rappelle la nécessité de veiller à la sécurisation du réseau en vérifiant que les filiales susceptibles de vendre les produits concernés sont bien elles aussi soumises à une interdiction de revente hors réseau.
Auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris