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La sanction pour non-respect des obligations déclaratives relatives aux trusts : une disposition inconstitutionnelle?

La sanction pour non-respect des obligations déclaratives relatives aux trusts : une disposition inconstitutionnelle?

Le régime fiscal français applicable aux trusts étrangers a été profondément modifié par la loi de finances rectificative pour 2011 (loi n°2001-900 du 29 juillet 2011). Les sanctions assortissant le dispositif suscitent toutefois l’interrogation sous l’angle du droit constitutionnel.

L’exposé des motifs de la loi du 29 juillet 2011 soulignait que  » compte tenu de la singularité des concepts mis en œuvre par les droits étrangers qui connaissent le trust, le régime fiscal de ce dernier n’est pas toujours clair. Certes, la jurisprudence reconnaît la validité de trusts constitués à l’étranger, mais il n’est pas toujours possible de qualifier les relations juridiques caractéristiques du trust au regard des catégories juridiques de droit interne pour en déduire la fiscalité applicable« , avant de conclure que « les éléments d’incertitudes sur le régime fiscal des trusts sont de nature à faciliter les usages de cet instrument à des fins d’évasion fiscale. Il en résulte un traitement inéquitable des contribuables selon le mode de gestion de leur patrimoine « .

Pour permettre à l’administration fiscale d’être informée de l’existence des trusts étrangers qui ont un lien territorial avec la France1, l’article 1649 AB du CGI prévoit deux obligations déclaratives indépendantes l’une de l’autre, à la charge des administrateurs des trusts. Ainsi, les administrateurs sont tenus de procéder à :

  • une déclaration relative à la constitution, la modification ou l’extinction, ainsi qu’au contenu des termes du trust (alinéa 1) ;
  • tous les ans, une déclaration de la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits ou produits capitalisés au sein du trust (alinéa 6).

Le non-respect de cette obligation est passible d’une sanction prévue à l’article 1736 IV bis du CGI, lequel prévoit que « les infractions à l’article 1649 AB sont passibles d’une amende de 20 000 € ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 12,5% des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés ». Le BOFIP indique à cet égard que l’assiette de l’amende est constituée de « la valeur totale des biens, droits et produits capitalisés, situés en France et hors de France, composant le trust » (BOI-PAT-ISF-30-20-30, n°380).

De plus, l’article 1754, V 8 du CGI prévoit une solidarité de paiement des constituants et/ou des bénéficiaires réputés constituants2 soumis au prélèvement sui generis prévu à l’article 990 J du CGI avec l’administrateur du trust pour le paiement de l’amende prévue en cas d’infraction à ses obligations déclaratives.

Ce dispositif fortement punitif suscite deux types de questions : le montant de la sanction est-il conforme aux exigences constitutionnelles ? Les personnes sanctionnées sont-elles correctement définies ?

1. Le montant de la sanction

La sanction figurant à l’article 1736 IV bis mérite d’être examinée au regard de son taux et de son assiette.

S’agissant du taux, il est relativement peu vraisemblable que le Conseil constitutionnel en vienne à censurer un taux qui n’est « que » de 12,5% assorti d’un plancher de 20 000 €. En effet, s’il a déjà censuré des pénalités fiscales pouvant « donner lieu à l’application de sanctions manifestement hors de proportion avec la gravité de l’omission (…) constatée, comme d’ailleurs avec l’avantage qui en a été retiré » (Cons. const., déc. 30 déc. 1997, n°97-395 DC, cons. 39), la jurisprudence enseigne qu’une telle censure est très rare. C’est ainsi que dans sa décision n°2012-267 QPC du 20 juillet 2012, le Conseil n’a rien vu à redire à l’amende prévue à l’article 1736 I 1 du CGI en cas de non-respect de certaines obligations déclaratives concernant, notamment, les commissions, courtages et autres rémunérations versées à des tiers. L’amende était pourtant égale à 50% des sommes non déclarées.

Le problème essentiel de l’article 1736 IV bis se situe plutôt du côté de l’assiette de l’amende. Compte tenu de la rédaction de la loi, il semble en effet que l’amende s’applique systématiquement sur l’ensemble des actifs du trust dès lors que dans la déclaration annuelle, un seul bien aurait été omis. L’amende semble s’appliquer de la même manière dans le cas où un rehaussement serait effectué par l’administration sur la valeur des biens déclarés, malgré l’existence d’une déclaration annuelle exhaustive. Il peut donc exister une disproportion marquée entre l’assiette de la sanction, égale à l’ensemble des actifs du trust, et le manquement réalisé, qui peut ne concerner que l’existence et/ou la valorisation de certains biens.

Il suffit de prendre un exemple pour s’en convaincre. Dans le cas d’un trust dont la déclaration annuelle est inexacte du fait de l’omission d’un bien immobilier situé en France d’une valeur d’un million d’euros, tandis que la valeur des actifs du trust, situés en France et à l’étranger, représente 10 millions d’euros, l’amende à payer serait alors plus élevée que la seule valeur du bien omis (soit 1,25 millions d’euros). De la même manière, si le changement de l’administrateur du trust n’est pas signifié à l’administration fiscale, le même trust subira une deuxième amende s’élevant à 12,5% des actifs mondiaux.

Or, le Conseil constitutionnel considère que pour être conformes au principe de proportionnalité des peines, les sanctions fiscales doivent porter sur une assiette cohérente avec le contenu de l’infraction. Il a par exemple considéré dans sa décision n°2013-685 DC du 29 décembre 2013 qu’était inconstitutionnelle une peine fixée à 0,5% du chiffre d’affaires en répression du manquement à une obligation documentaire prévu à l’article 1735 ter du CGI en matière de prix de transfert. Il a affirmé à cette occasion que le législateur avait, s’agissant du manquement à une obligation documentaire, retenu un critère de calcul du maximum de la peine encourue sans lien avec les infractions réprimées et qui revêt un caractère manifestement hors de proportion avec leur gravité.

Compte tenu de la décorrélation entre le montant de l’amende et la gravité potentielle des manquements réprimés, le tout sans aucune mise en demeure préalable prévue par la loi, il nous paraît légitime de s’interroger sur la compatibilité de l’article 1736 IV bis avec le principe de proportionnalité des peines.

D’autres questions surgissent lorsqu’on s’intéresse aux personnes sanctionnées.

2. Solidarité de paiement et principe de personnalité des peines

L’article 1754 V 8 du CGI énonce que « le constituant et les bénéficiaires soumis au prélèvement de l’article 990 J sont solidairement responsables avec l’administrateur du trust du paiement de l’amende prévue au IV bis de l’article 1736« . Le BOFIP énonce quant à lui que cette solidarité joue lorsque le constituant et les bénéficiaires réputés constituants « entrent dans le champ » du prélèvement de l’article 990 J du CGI.

L’interprétation de l’article 1754 du CGI est délicate. De deux choses, l’une : soit la solidarité peut s’appliquer à des personnes non tenues d’acquitter le prélèvement de l’article 990 J (ce qui semble être la position de l’administration lorsqu’elle indique que la solidarité s’applique à ceux qui « entrent dans le champ » du prélèvement), soit la solidarité ne peut s’appliquer que si le constituant ou le bénéficiaire réputé constituant sont effectivement tenus d’acquitter le prélèvement.

Si la première interprétation devrait prévaloir, il en résulterait que les constituants et bénéficiaires réputés constituants pourraient être actionnés solidairement alors que seul l’administrateur du trust aurait manqué à ses obligations déclaratives.

Or, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a jugé qu’il résulte des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 que « nul ne peut être punissable que de son propre fait » et que « ce principe s’applique non seulement aux peines prononcées par des juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition« 3, comme c’est le cas en l’espèce.

De même, le Conseil d’Etat estime que « tant le principe de responsabilité personnelle que le principe de personnalité des peines s’opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d’une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu’elles visent, puissent être prononcées à l’encontre de contribuables, personnes physiques, lorsque ceux-ci n’ont pas participé aux agissements que ces pénalités répriment » (CE, 5 nov. 2014, n°356148).

Certes, il est exact que la responsabilité solidaire ne se confond pas avec un mécanisme de transfert définitif de la responsabilité sur la tête du codébiteur solidaire. C’est sur la base de cette analyse que le Conseil a considéré, dans une décision du 21 janvier 2011 (n°2010-90 QPC), que la responsabilité solidaire des dirigeants sociaux avec la société dont ils sont les dirigeants et qui s’est rendue coupable d’infractions n’institue pas un transfert de la sanction fiscale, mais entraîne une solidarité dans le paiement de cette pénalité, la solidarité faisant du dirigeant-personne physique un garant de la dette, susceptible au demeurant d’exercer une action récursoire contre le débiteur principal (la société).

Il n’en reste pas moins que le mécanisme de solidarité mis en place par l’article 1754 du CGI peut conduire à des résultats choquants dans la mesure où, d’une part, l’existence d’une action récursoire des constituants et bénéficiaires réputés constituants peut dépendre de l’acte constitutif du trust ou du droit applicable aux relations qu’ils entretiennent avec l’administrateur, et où, d’autre part, l’existence d’une obligation de payer (fût-ce provisoirement) prête à discussion lorsqu’elle porte sur un montant dont on a pu observer plus haut le caractère potentiellement disproportionné.

Notes

1 Le constituant, le bénéficiaire réputé constituant ou le bénéficiaire réel sont résidents de France ou les biens placés dans le trust sont situés en France au sens de l’article 750 ter du CGI.

Le texte de l’article 1754 du CGI se réfère aux « bénéficiaires » mais l’administration précise qu’il s’agit du bénéficiaire réputé constituant (BOI-PAT-ISF-30-20-30-20150304, n°390).

Cons. Const, déc. 4 mai 2012, n°2012-239 QPC, Mme Altmann.

 

Auteurs

Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne.

Adea Meidani, avocat, Département fiscalité internationale

 

La sanction pour non-respect des obligations déclaratives
relatives aux trusts : une disposition inconstitutionnelle ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 14 mars 2016