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La signature d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue

La signature d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue

Par une précédente décision (Cass., soc., 3 mars 2015, n°13-20.549), critiquée et demeurée isolée, la Cour de cassation avait jugé que lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue.

 

La solution est réaffirmée dans un arrêt publié au Bulletin et à la Lettre de la Chambre sociale du 11 mai 2023 (n°21-18.117)

 

Peut-on revenir sur une rupture du contrat de travail déjà actée, peut-on renoncer à la rupture qu’on a initiée en exerçant précédemment son droit de résiliation unilatérale ?

 

La jurisprudence l’admet, mais sous réserve de l’accord de l’autre partie. Ainsi, admet-elle que l’employeur qui a pris l’initiative d’un licenciement peut y renoncer s’il obtient l’accord du salarié (Cass., soc., soc., 4 mars 2015, n°13-16.148).

 

De même, il a été admis qu’une salariée avait pu revenir sur sa démission (plusieurs mois après l’avoir donnée) avec l’assentiment de l’employeur (Cass., soc., 28 mars 2006, n°04-42.228) ou encore qu’une mise à la retraite notifiée par l’employeur à son salarié peut être rétractée avec l’accord de ce dernier (Cass., soc., 28 février 2006, n°04-40.303).

 

Cela étant, ces solutions sont-elles transposables à l’hypothèse où les parties concluent régulièrement une convention de rupture en application des articles L.1237-11 et suivants du Code du travail après une rupture déjà intervenue ?

 

On imagine que l’une des parties a pris l’initiative de rompre unilatéralement le contrat et que, postérieurement, les deux parties décident de négocier et conclure une rupture conventionnelle homologuée.

 

Même si la situation est singulière, ce n’est pas une hypothèse d’école car on peut bien concevoir qu’après la rupture par l’une ou l’autre des parties, celles-ci se rapprochent et décident de substituer une rupture conventionnelle à une résiliation unilatérale antérieure parce qu’elles y trouvent l’une et l’autre un intérêt.

 

Quelle est alors la portée de la rupture conventionnelle ainsi intervenue ? Peut-il être considéré que la rupture conventionnelle a anéanti la rupture unilatérale antérieure ?

 

La situation n’est pas la même que précédemment :

 

    • Dans la première hypothèse, l’une des parties qui avait rompu unilatéralement le contrat de travail renonce à la rupture à l’effet de faire revivre le contrat. Si l’autre partie y consent, on ne voit pas ce qui juridiquement pourrait y faire obstacle.
    • Dans la seconde hypothèse, il n’y a pas de rétractation de la décision de mettre fin au contrat ou renonciation à la rupture pour faire revivre le contrat, mais choix d’un autre mode de rupture.

 

Dès lors, de deux choses l’une :

 

    • ou bien l’on considère que la rupture étant acquise et consommée, par une décision de rupture déjà prise et qui a produit effet immédiatement, en sorte qu’il n’existe plus de contrat entre les parties, et alors la rupture conventionnelle (qui n’a effet pour l’avenir) est dépourvue de toute portée. Rupture sur rupture ne vaut, en quelque sorte. C’est la solution qui paraît juridiquement s’imposer, en tout cas qui semble la mieux adaptée à la situation ;
    • ou bien l’on considère qu’en décidant de choisir un autre mode de rupture nonobstant la rupture unilatérale antérieure, les parties ont entendu par là-même renoncer d’un commun accord à cette rupture. En somme, la convention de rupture permettrait « de reconstituer une relation contractuelle à laquelle il a été mis fin unilatéralement pour la rompre aussitôt par la commune volonté des parties » (1)

 

Bien que cette dernière solution soit assez audacieuse, c’est celle qui avait été adoptée par un précédent arrêt publié en 2015 (Cass., soc., 3 mars 2015, n°13-20.549) dans une situation où, après que l’employeur eut licencié pour faute grave le salarié, les parties avaient négocié et conclu un mois plus tard une rupture conventionnelle.

 

L’arrêt était sans ambiguïté quant à la règle qu’il formulait : «lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue».

 

La solution avait été critiquée par une partie de la doctrine (notamment, G. Loiseau, op.cit., qui qualifie de «sortilège» l’opération) et est demeurée isolée. C’est pourquoi, il était permis de se demander si elle était encore pertinente.

 

Or, la Cour de cassation vient de la reprendre dans les mêmes termes dans un arrêt publié au bulletin et à la Lettre de la Chambre sociale, ce qui signifie qu’elle fixe désormais sans hésitation possible la jurisprudence de la Chambre.

 

Le litige était assez exemplaire à cet égard : une convention de rupture du contrat de travail avait été conclue par les parties en cause avec date d’effet au 20 avril 2017 et avait été homologuée, le 13 avril 2017, par la Direccte.

 

Or, estimant avoir fait l’objet antérieurement, le 18 mars 2017, d’un licenciement verbal, ce qui n’était pas discuté, le salarié a saisi, le 20 juin 2018, la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

 

L’intérêt pratique de savoir si le contrat avait été rompu par le licenciement ou par la rupture conventionnelle tenait, en premier lieu, à ce que l’employeur invoquait en défense l’irrecevabilité de la demande en justice du salarié comme prescrite.

 

En effet, l’article L.1471-1 du Code du travail en sa rédaction applicable à la cause issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 disposait que toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans, tandis que l’article L.1237-14, alinéa 4 du même code dispose que tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil de prud’hommes, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif et que ce recours doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à  compter de la date d’homologation de la convention.

 

Si donc la rupture avait été causée par le licenciement, le salarié pouvait agir jusqu’au 18 mars 2019 et sa demande était recevable ; si elle procédait de la rupture conventionnelle, il ne pouvait agir que jusqu’au 13 avril 2018, et son action était donc prescrite puisqu’il avait saisi le juge le 20 juin de la même année.

 

Pour écarter la fin de non-recevoir de l’employeur, la cour d’appel avait jugé que le salarié avait établi l’existence d’un licenciement verbal et que la rupture conventionnelle intervenue postérieurement était sans objet, le contrat étant d’ores et déjà rompu. En somme, la cour d’appel faisait fi de la jurisprudence de 2015 pour le motif habituellement avancé au soutien de la critique de cette jurisprudence (rupture sur rupture ne vaut).

 

La Cour de cassation était ainsi directement saisie du maintien ou non de sa jurisprudence antérieure et il lui appartenait tout à la fois de déterminer la règle de prescription applicable et la nature de la rupture.

 

Commençant par la règle de prescription applicable, l’arrêt pose d’abord que la règle générale issue de l’article L.1471-1 du code du travail en sa rédaction alors applicable (soit prescription de deux ans) ne fait pas obstacle aux délais de prescription plus courts, notamment celui prévu à l’article L.1237-14 du même code (douze mois à compter de la date d’homologation) pour en déduire que c’est ce dernier texte qui s’applique.

 

Une telle motivation est un peu singulière car la question n’est pas celle de savoir si une règle légale ne fait pas obstacle à l’application d’une autre règle légale, ce qui ne veut rien dire et pourrait même laisser supposer que les deux règles sont applicables, mais de déterminer laquelle des deux s’applique.

 

Or, en l’espèce, il est certain que c’est la règle de prescription applicable à la rupture conventionnelle qui s’applique en tant qu’il s’agit d’une règle spéciale dérogeant à la règle générale de prescription applicable à (toute) rupture du contrat de travail.

 

En d’autres termes, et en application de la maxime specialia generalibus derogant, la règle de prescription prévue par l’article L.1237-14 déroge à la règle de prescription prévue par l’article L.1471-1 du Code du travail.

 

Ayant déterminé la règle de prescription applicable, la Chambre sociale poursuit par l’énoncé de la règle, qu’elle réaffirme donc, selon laquelle «lorsque le contrat de travail a été rompu par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue».

 

Il ne lui restait plus alors qu’à tirer la déduction des règles posées : la cour d’appel ayant écarté la rupture conventionnelle au motif qu’elle était sans objet dès lors que le contrat était déjà rompu par un licenciement verbal, la Cour de cassation censure cette motivation en retenant que les parties ont d’un commun accord renoncé au licenciement verbal antérieur et que le délai de prescription de douze mois applicable en matière de rupture conventionnelle était le délai applicable de sorte que l’action ayant été engagée (20 juin 2018) plus de douze mois après l’homologation de la rupture (30 avril 2017) était prescrite.

 

Si la règle posée et réaffirmée est claire, il subsiste tout de même une incertitude :  jusqu’à quel moment l’employeur et le salarié peuvent-ils revenir sur une rupture unilatérale ?

 

On ne peut évidemment concevoir que ce soit trop longtemps après la rupture unilatérale, car cela n’aurait guère de sens et fragiliserait une solution qui, par elle-même, n’est déjà pas exempte de toute critique juridique.

 

Il n’y a pas, à ce jour, de réponse à cette interrogation. Pour références, dans la présente hypothèse, le licenciement verbal était intervenu le 18 mars 2017, la convention de rupture signée le 24 mars 2017 et homologuée le 30 avril 2017.

 

Dans l’affaire ayant donné lieu au précédent de 2015, le licenciement avait été notifié le 9 janvier 2009, la convention de rupture signée le 10 février 2009 et homologuée (tacitement) le 19 mars 2009.

 

On peut donc penser que la rupture conventionnelle doit intervenir dans un délai raisonnable après que la rupture unilatérale a été notifiée.

 

Jean-Yves Frouin, Of Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats 

 

(1) G. Loiseau, L’articulation de la rupture conventionnelle et du licenciement – La semaine juridique social, 2015, numéro 1132