L’accès aux messages instantanés du salarié par l’employeur

30 octobre 2020
Par principe, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, et en particulier au secret de ses correspondances (Cass. Soc., 2 octobre 2001, Nikon, n°99-42.942). Toute atteinte à cette liberté fondamentale par l’employeur doit être justifiée et proportionnée.
Face à l’essor des nouvelles technologies et moyens de communication, la Cour de cassation a peu à peu dessiné les contours d’une jurisprudence permettant d’articuler le respect de la vie privée du salarié et le contrôle de son activité par l’employeur. En témoigne l’arrêt de la Chambre sociale du 9 septembre dernier relatif à l’utilisation de messages instantanés du salarié par l’employeur (Cass. Soc., 9 septembre 2020, n°18-20.489).
Les faits
En l’espèce, le directeur d’un grand groupe d’hôtellerie français, cadre dirigeant, conversait régulièrement avec l’une de ses collègues au moyen du logiciel « Lync », messagerie instantanée interne à l’entreprise.
Ces échanges étaient automatiquement transférés vers la boîte mail professionnelle du salarié à laquelle avait accès son assistante.
Cette dernière a constaté que certains des messages émis par son supérieur contenaient des critiques virulentes et grossières à l’égard de ses collègues et de la stratégie de l’entreprise.
Elle a donc décidé d’en avertir l’employeur, lequel a alors consulté lesdits messages au moyen de la boîte mail professionnelle du salarié sur laquelle ils avaient été transférés.
Les échanges ont ensuite été imprimés en présence d’un huissier de justice et ont permis à l’employeur d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre du cadre dirigeant, laquelle s’est soldée en un licenciement pour faute grave compte tenu de la gravité de ses propos.
Ce dernier a alors saisi le conseil de prud’hommes en contestation de son licenciement considérant que les propos litigieux relevaient de sa vie privée et ne pouvaient donc être utilisés par son employeur.
Ses moyens de défense ont toutefois été rejetés tant par les juges du fond que par la Cour de cassation, pour deux raisons :
-
- d’abord, compte tenu de leur source, les messages litigieux était présumés à caractère professionnel et pouvaient donc être consultés par l’employeur ;
-
- ensuite, leur contenu n’étant pas d’ordre strictement privé, l’employeur pouvait s’en servir à l’appui d’une procédure disciplinaire.
Accès aux messageries professionnelles par l’employeur
Dans un premier temps, la Cour de cassation fait application de sa jurisprudence traditionnelle relative aux modalités d’accès par l’employeur à la messagerie professionnelle du salarié.
Par principe, les courriers adressés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, à moins que le salarié ne les identifie clairement comme étant personnels (Cass. Soc., 15 décembre 2010, n°08-42.486).
Dès lors, les courriels figurant sur la boîte mail professionnelle du salarié peuvent être librement consultés par l’employeur pourvu qu’ils ne soient pas expressément désignés comme étant privés (exemple : le salarié indique « personnel » ou « privé » dans leur objet).
Au cas présent, les messages litigieux, à l’origine échangés via la messagerie instantanée de l’entreprise, provenaient d’une boîte mail électronique professionnelle du salarié, sur laquelle ils avaient été transférés. Dans la mesure où le salarié ne les avait pas identifiés comme étant personnels ou privés, l’employeur était donc libre d’en prendre connaissance sans qu’il n’en soit préalablement informé.
Le principe de libre consultation des messages issus d’une messagerie professionnelle et non marqués comme privés est ici réaffirmé. La Cour de cassation distingue en effet depuis plusieurs années l’utilisation des messages provenant d’une boîte mail professionnelle de ceux provenant d’une boite mail personnelle.
Dans ce second cas, même si le salarié accède à sa boîte mail personnelle à partir d’un outil mis à sa disposition par l’entreprise, le contenu des messages est couvert par le principe du secret des correspondances. L’employeur ne saurait donc librement les consulter (Cass. Soc., 26 janvier 2016, n°14-15.360).
Dès lors, les messages émis par le salarié étant présumés professionnels, ce dernier ne pouvait en limiter la portée qu’en démontrant le caractère strictement personnel de leur contenu.
Contenu des échanges en lien avec l’activité professionnelle
Dans un second temps, la Cour de cassation constate que le contenu des échanges était bien en lien avec l’activité professionnelle du salarié, de sorte que l’employeur pouvait les utiliser à l’appui d’une procédure disciplinaire.
En effet, si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut toutefois les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent en fait relever de sa vie privée bien que cela ne soit pas clairement indiqué en objet.
Tel est le cas notamment lorsque les messages échangés par deux salariés sont relatifs à leur vie intime (Cass. Soc., 5 juillet 2011, n°10-17.284).
Toutefois, lorsque l’employeur accède légitimement au contenu d’un courriel, son auteur ne peut se retrancher derrière une quelconque atteinte à sa vie privée si le contenu est en rapport avec son activité professionnelle.
C’est le cas de messages électroniques échangés entre deux salariés dans lesquels ils dénigrent l’entreprise (Cass. Soc., 15 décembre 2009, n°07-44.264), ou encore du courriel dans lequel un salarié tient des propos provocateurs et outranciers à l’égard de la hiérarchie (Cass. Soc., 2 février 2011, n°09-72.449).
Dans l’arrêt du 9 septembre 2020, les messages échangés par le salarié avec sa collègue « comportaient d’une part des propos insultants et dégradants envers des supérieurs et subordonnés, et d’autre part de nombreuses critiques sur l’organisation, la stratégie et les méthodes de l’entreprise ».
De tels propos ne pouvaient donc être considérés comme étant d’ordre strictement privé dans la mesure où ils se rapportaient directement à l’activité professionnelle du salarié, qu’il s’agisse de ses rapports avec ses collègues ou du fonctionnement même de l’entreprise.
Or, compte tenu de ses fonctions, l’employeur a relevé que ce comportement était « irrespectueux et déloyal, incompatible avec la confiance et le sentiment d’exemplarité » attendus d’un cadre dirigeant, et était donc constitutif d’une faute grave.
Ainsi, pour la Cour de cassation, le salarié ne pouvait considérer que l’employeur avait porté atteinte à sa vie privée en se fondant sur le contenu des messages pour le sanctionner. Le licenciement ne pouvait donc pas être remis en cause sur ce fondement.
Article paru dans Les Echos Executives le 30/10/2020
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