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L’affaire Tropicana : Une administration fiscale trop pressée…

L’affaire Tropicana : Une administration fiscale trop pressée…

Bien que sans surprise, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai(1) est un juteux concentré des contraintes juridiques pesant sur l’administration dans les redressements en matière de prix de transfert et d’acte anormal de gestion.

Au cas d’espèce, la société belge Tropicana Europe dispose d’un établissement français où elle exerce une activité de fabrication de boissons à base de jus de fruits. Le 1er juillet 2009, elle a conclu un nouveau contrat de distribution avec la société FTLC basée en Suisse, lequel s’est accompagné d’une restructuration de son activité, devenant un simple « embouteilleur ».

Estimant qu’en acceptant ces nouvelles conditions, la société belge, via son établissement stable français, avait consenti un avantage à la société suisse, l’administration fiscale a d’abord fait application en vain de l’article 57 du Code général des impôts (CGI). Rappelons que cet article a pour objet de contrer le transfert à l’étranger de bénéfices normalement imposables en France en permettant à l’administration d’imposer en France les bénéfices irrégulièrement transférés. À cet effet, il institue une présomption de transfert indirect lorsque l’administration établit, d’une part, l’existence de liens de dépendance de droit ou de fait entre l’entreprise française et des entreprises étrangères et, d’autre part, l’octroi d’avantages anormaux consentis à ces entreprises sous forme de majorations ou de minorations de prix ou de tout moyen de transfert analogue.

L’administration avait ainsi, dans un premier temps, tenté de prouver l’existence d’un régime fiscal privilégié puis d’un lien de dépendance. Faute d’apporter les éléments de preuve suffisants, elle avait ensuite opéré une substitution de base légale afin de se placer sur le terrain de l’acte anormal de gestion, sans plus de succès.

1. Sur l’absence de preuve d’un régime fiscal privilégié

L’article 57 du Code général des impôts exige en principe de l’administration qu’elle rapporte la preuve de l’existence d’un lien de dépendance ou de contrôle entre les sociétés parties à la transaction litigieuse. Toutefois, par exception, cette condition n’est pas nécessaire lorsque le transfert s’effectue avec des entreprises établies dans un Etat ou un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens de l’article 238 A du CGI.

La définition de la notion de régime fiscal privilégié était la suivante, dans sa rédaction contemporaine aux faits de l’espèce : « les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ».

Pour se prévaloir de cette dispense et s’exempter d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de dépendance, l’administration se contentait d’indiquer que la société suisse bénéficiait d’un taux d’imposition global des entreprises de 13% du fait de sa localisation dans le canton de Berne (contre un taux d’impôt sur les sociétés, à l’époque, de 33,33% en France).

Or, il est de jurisprudence constante que c’est au niveau de la situation propre de la société étrangère (ici la société suisse) que doit s’apprécier le bénéfice d’un régime fiscal privilégié et non par référence à la fiscalité de l’Etat en général. La cour administrative d’appel de Douai rejette donc l’argumentation insuffisante de l’administration fiscale en estimant à raison que celle-ci n’établissait pas que la charge fiscale effectivement supportée par la société suisse était inférieure de plus de la moitié à celle dont elle aurait été redevable si elle avait été établie en France.

Faute de pouvoir prouver le caractère privilégié du régime fiscal de la société suisse, il revenait à l’administration d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de dépendance entre les deux sociétés.

2. Sur l’absence de preuve d’un lien de dépendance

Pour apporter la preuve d’un lien de dépendance entre les deux sociétés, l’administration se contente d’indiquer qu’il s’agit de deux sociétés sœurs situées sous la dépendance du groupe Pepsico. En effet, la société belge est indirectement détenue par la société Pepsico Inc localisée aux Etats-Unis et la société suisse est indirectement détenue par la société Pepsico Limited localisée à Gibraltar.

Toutefois, la cour administrative d’appel de Douai relève que l’argumentaire ainsi développé sur la base de ces seuls éléments ne saurait suffire pour caractériser une dépendance juridique. En effet, l’article 57 du CGI s’applique en cas de liens capitalistiques entre les sociétés (par exemple lorsque les deux sociétés sont une mère et sa filiale), ce qui n’était pas le cas en ce qui concerne les deux sociétés en cause.

Reste donc la possibilité pour l’administration de constater une dépendance de fait qui peut être contractuelle ou découler des conditions dans lesquelles s’établissent les relations entre deux entreprises. Ce lien de dépendance relève notamment de la « capacité de dicter […] des conditions économiques défavorables à l’entreprise dépendante mais correspondant à l’intérêt de l’entreprise dominante ou au groupe ».

A ce titre, la cour administrative d’appel de Douai indique que « le ministre n’apporte aucun autre élément ou indice permettant de déceler une dépendance de fait entre ces deux sociétés autre que l’appartenance commune à un même groupe » et précise à juste titre que « cette seule appartenance commune à un même groupe ne constitue pas, en l’espèce, la preuve ou l’indice suffisant d’une dépendance de fait entre la SA Tropicana Europe et la société FTLCE en l’absence de tout autre élément ».

Là encore, l’insuffisance de preuve est constatée.

Ainsi, en l’absence de lien de dépendance entre les sociétés concernées, l’administration ne saurait se prévaloir de l’application de l’article 57 du CGI pour caractériser un transfert de bénéfices à l’étranger.

Mais l’administration avait aussi, à titre subsidiaire, demandé une substitution de base légale sur le terrain de l’acte anormal de gestion en faisant valoir que Tropicana Europe avait renoncé à percevoir des recettes.

3. Sur l’absence de preuve d’un acte anormal de gestion

Pour apporter la preuve d’un acte anormal de gestion, l’administration soutient que la nouvelle organisation du groupe résultant de la conclusion du contrat de distribution s’est traduite par une diminution du chiffre d’affaires de la société belge et de ses bénéfices réalisés en France par l’intermédiaire de son établissement stable alors que cette société avait consenti d’importants investissements. Par ailleurs, selon elle, cette réorganisation s’est limitée à une simple modification du circuit de facturation et n’a pas entrainé un transfert de risques. De ce fait, elle en déduit que la société belge a nécessairement décidé de s’appauvrir à des fins étrangères à son propre intérêt.

A cela, la cour administrative d’appel de Douai répond que, dans le cadre de la réorganisation, Tropicana Europe a d’une part effectivement subi une modification de son profil fonctionnel (passage d’une activité de fabrication à une activité de simple embouteilleur), et d’autre part bénéficié d’une garantie minimum de volume de production pendant une durée de trois ans suivant la signature du nouveau contrat de distribution alors même que le marché du jus de fruits en Europe est très concurrentiel (ce qui avait conduit à la fermeture de plusieurs établissements du groupe en Europe).

Il en résulte que l’argumentation de l’administration est jugée comme étant insuffisante pour apporter la preuve qui lui incombe et aboutir à la constatation d’un acte anormal de gestion quand bien même la réorganisation opérée a, in fine, entraîné la diminution du chiffre d’affaires et des bénéfices de la société belge.

A ce titre, la demande de substitution de base légale initialement formulée est rejetée par la cour administrative d’appel de Douai.

4. Conclusion

En définitive, cette décision, qui ne présente pas un caractère vraiment innovant, reste intéressante car elle permet de faire le point sur la dialectique de la preuve en matière de prix de transfert. Elle souligne par ailleurs le contrôle qu’exerce le juge sur les obligations qui pèsent sur l’administration et permet de rassurer le contribuable sur les moyens de contestation qui lui sont offerts.

(1) CAA de Douai, 4ème chambre, 25 août 2022, n°20DA01106, Tropicana.

Article paru dans Option Finance le 31/10/2022