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L’air du temps est à la réparation civile des pratiques anticoncurrentielles

Parallèlement à l’introduction, par la loi relative à la consommation du 17 mars 2014, de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles qui permettra(1) aux consommateurs d’obtenir la réparation de leur préjudice patrimonial et à la proposition de directive du 11 juin 2013 régissant les actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence, la jurisprudence portant sur ce type d’actions civiles ne cesse de se construire.

L’arrêt rendu le 27 février 2014 par la cour d’appel de Paris, sur renvoi après cassation, est ainsi l’occasion de revenir sur la question de la répercussion des surcoûts dans la détermination du préjudice d’entreprise, victimes d’une entente. Au cas particulier, les sociétés Doux demandaient réparation du préjudice subi du fait d’une entente réunissant plusieurs entreprises, dont un fabricant de lysine synthétique (additif pour aliments de volailles) qui revendait celle-ci à un fournisseur de Doux. Les membres de l’entente avaient été condamnés au paiement d’amendes par la Commission européenne en juin 2000.

Pour censurer un précédent arrêt d’appel qui avait alloué des dommages et intérêts à Doux, la Cour de cassation avait relevé que le versement de dommages et intérêts impliquait de déterminer si les surcoûts résultant de l’entente avaient été répercutés, en tout ou partie, par Doux sur ses clients, faute de quoi ce versement aurait caractérisé un enrichissement sans cause. Tout en reconnaissant que la preuve d’une éventuelle répercussion incombe au demandeur à l’action, la cour d’appel précise qu’il suffit de démontrer « que la hausse abusive n’a pas été reportée sur le prix ou que cette répercussion ne pouvait être faite(2)» pour que des dommages-intérêts puissent être alloués.

Puis, constatant que la très grande majorité des clients de Doux sont des acteurs de la grande distribution bloquant l’augmentation des tarifs et que la lysine représente un coût peu significatif dans le prix des volailles, la Cour en déduit que Doux n’était pas en mesure d’imposer une augmentation de ses prix. Si ce rapport de forces déséquilibré est un indice du peu de possibilité de répercussion, il ne se confond cependant pas totalement avec la recherche de l’effectivité ou non de la répercussion et donc avec l’existence ou non d’un réel préjudice.

Enfin, après avoir confronté les études économiques proposées par les parties pour l’évaluation du préjudice, la Cour estime que, même si l’économiste de Doux admet que sa méthode puisse comporter des imprécisions, il s’est appuyé sur les constatations de la Commission européenne, qualifiées de « données incontestables » pour évaluer des coefficients de surfacturation. La Cour condamne donc le fabricant de lysine au versement de dommages et intérêts à hauteur de 30% des achats de lysine et à un dédommagement supplémentaire pour la trésorerie engagée pour compenser ces surcoûts et l’ancienneté des dépenses.

Pour pragmatique qu’elle soit, cette décision laisse penser qu’il doit y avoir réparation dès lors qu’il semble difficile d’envisager qu’une répercussion des surcoûts par la victime soit intervenue, sans qu’il y ait à s’assurer de façon comptable que cette répercussion a été effective, de façon directe ou indirecte.

L’actualité de la réparation des préjudices liés aux pratiques anticoncurrentielles peut conduire à s’interroger sur de possibles adaptations du droit de la concurrence et en particulier sur le bien-fondé d’une sanction pour entente, prononcée par une Autorité de la concurrence, dont le montant doit être proportionnel notamment au dommage causé à l’économie : en effet, sans forcément se confondre avec l’addition des préjudices des victimes de l’entente, le dommage à l’économie peut recouper celle-ci au moins partiellement, tout étant une question de circonstances. La jurisprudence pourra-t-elle encore se contenter d’un simple ordre de grandeur s’agissant de l’appréciation du dommage à l’économie alors qu’elle devra s’employer à chiffrer précisément le niveau des préjudices des victimes ? Plus encore, le prononcé d’une amende proportionnelle au dommage à l’économie, tel que le prévoit le droit français, trouve-t-il encore une justification légitime dans ce nouvel environnement ? Avis de débats en perspective…

Notes

1. Un décret d’application est attendu sur ce point.
2. La cour d’appel s’inspire ici d’un autre arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2012 dans lequel il a été reproché aux demandeurs en réparation de ne pas avoir démontré qu’ils « n’avaient pas pu répercuter les effets de la hausse des prix de la lysine sur leurs clients ».

 

A propos de l’auteur

Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence. Il est notamment en charge des questions relatives au droit des concentrations (notification d’opérations, analyse concurrentielle des dossiers, etc.) et droit anti-trust.

 

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 31 mars 2014