Le casse-tête de la loi applicable au contrat de travail

4 mars 2025
La détermination de la loi applicable au contrat de travail n’a longtemps concerné que des situations exceptionnelles. Depuis la crise sanitaire et le développement du télétravail à l’étranger, l’existence de contrats de travail exécutés dans des Etats différents de ceux à partir desquels ils ont été conclus initialement se multiplie. Dès lors, le maniement par les praticiens de ces règles est de plus en plus fréquent et la recherche de clarté dans leur interprétation s’en trouve d’autant plus nécessaire.
Il n’est pas rare aujourd’hui qu’un employeur découvre que le contrat de travail qu’il a conclu sera, tout compte fait, régi par une loi différente de celle visée au contrat par les parties.
C’est dans ce contexte que la Chambre sociale de la Cour de cassation a été conduite à soumettre deux questions préjudicielles à la CJUE. L’occasion de rappeler les grands principes applicables mais également les incertitudes qui entourent la mise en œuvre de ces principes (Cass. Soc., 23 octobre 2024, n°20-17.055)
Rappel des règles applicables en matière de loi applicable au contrat de travail
Les règles relatives à la détermination de la loi applicable au contrat de travail ont été édictées par la Convention de Rome, toujours en vigueur, mais remplacée pour les contrats conclus à partir de 2009 par le Règlement Rome I n° 593/2008 (Rome I) dont les dispositions sont, à peu de choses près, identiques.
Ces règles édictent, en premier lieu, que les parties sont libres de déterminer la loi applicable au contrat de travail, autrement qualifiée de «loi d’autonomie».
Toutefois, la liberté de choix des parties est contrebalancée par les articles 6 de la Convention de Rome et 8 du règlement Rome I, qui permettent de rechercher la loi la plus adaptée à la relation contractuelle dans l’objectif de protéger «la partie faible».
Ainsi, bien qu’une loi d’autonomie ait été choisie par les parties, il ne peut être dérogé par accord aux dispositions de la loi qui aurait été applicable à défaut de choix afin de ne pas priver le salarié des dispositions impératives de celle-ci.
A défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi :
-
- par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail ;
-
- si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base de ce critère, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur ;
-
- s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays, la loi de cet autre pays s’applique.
Il convient donc de rechercher, par le jeu de ces critères de rattachement, quelle loi, entre celle du lieu d’exécution habituelle du travail ou du lieu d’embauche ou encore du lieu avec lequel le contrat entretient des liens plus étroits (dite loi de proximité), aurait été applicable à défaut de choix. Une fois déterminée, les dispositions impératives plus protectrices de cette loi sont applicables en complément de la loi d’autonomie.
Claires en apparence, la mise en œuvre de ce raisonnement et l’articulation des critères ont donné lieu à plusieurs décisions de la CJUE et à de nombreux questionnements en pratique.
Les faits et les prétentions des parties
Dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 23 octobre 2024, un contrat de travail à durée indéterminée, signé entre une société de droit suisse et un salarié, prévoyait qu’il serait régi par la loi suisse (loi d’autonomie), clause jugée expresse et dénuée d’ambiguïté par les juridictions d’appel et de cassation.
En 2012, le salarié a été licencié selon les règles du droit suisse en toute cohérence avec la loi choisie par les parties lors de la conclusion du contrat de travail. Le salarié résidait néanmoins en France où il exécutait son contrat de travail.
Le salarié a contesté la procédure et le bien fondé du licenciement, et a saisi à cette fin le Conseil de Prud’hommes de Paris de demandes tant au titre de la rupture que de l’exécution du contrat de travail.
L’employeur ayant soulevé l’incompétence de la juridiction, le conseil de prud’hommes a débouté chacune des parties de ses demandes.
En appel, le salarié demande principalement que la loi Suisse choisie dans le contrat de travail soit écartée en raison des liens plus étroits entretenus avec la France (puisque le salarié résidait et travaillait en France), afin de bénéficier des dispositions impératives du droit français plus protectrices en matière de rupture du contrat de travail.
L’employeur a fait valoir pour sa part que la loi applicable au contrat de travail choisie par les parties est la manifestation expresse de la volonté de celles-ci et que ce choix ne prive pas le salarié de la protection des dispositions impératives du droit français qui seraient applicables à défaut de choix, d’autant plus que les faits ne permettaient pas, selon l’employeur, de considérer que le contrat présentait des liens plus étroits avec la France.
La Cour d’appel a décidé que, bien que les parties aient choisi la loi suisse comme loi applicable au contrat, celle-ci ne pouvait avoir pour effet de priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix.
Le raisonnement de la Cour d’appel, par application des articles 3 et 6 de la Convention de Rome, conduit à comparer la loi d’autonomie avec la loi du lieu d’exécution habituelle du contrat (i. e. droit suisse vs droit français). La Cour d’appel conclut à l’application de la loi française au licenciement.
La décision de la Cour de cassation
Devant la Cour de cassation, l’employeur cherche à démontrer que la loi française devrait être écartée au bénéfice de la loi du lieu avec lequel le contrat entretient des liens plus étroits (loi de proximité). L’employeur soutient en effet qu’en dépit de l’exécution habituelle du travail en France, la Cour d’appel ne pouvait s’abstenir de rechercher s’il n’existait pas de liens plus étroits avec la Suisse.
Le salarié, quant à lui, soutient qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la loi française est applicable lorsque la France est le lieu d’exécution du travail en rappelant le principe général selon lequel le salarié ne peut se voir privé des dispositions impératives qui auraient été applicables à défaut de choix.
Dans cette décision, la Cour de cassation s’emploie à dérouler le raisonnement attaché à l’application des règles de détermination de la loi applicable et rappelle que, malgré le choix de la loi applicable opéré par les parties, il est nécessaire de procéder à la recherche de la loi applicable à défaut de choix.
Partant, la Cour observe que cela peut conduire à appliquer le critère des liens plus étroits plutôt que le critère du lieu habituel d’exécution du travail, même lorsque cela est moins favorable au salarié.
La Cour de cassation formule dans sa décision deux questions préjudicielles à destination de la CJUE tendant principalement à déterminer si l’application des règles de détermination de la loi applicable au contrat de travail, peut conduire le juge national à écarter les dispositions impératives plus protectrices de la loi du pays d’exécution habituelle du travail lorsque le contrat présente finalement un lien plus étroit avec le pays de la loi choisie par les parties.
Interrogée par la Cour de cassation la CJUE devra se prononcer au cas présent, non plus seulement sur l’articulation des critères de rattachement entre eux, mais sur l’articulation entre : loi d’autonomie, loi du lieu d’exécution et loi de proximité.
Dans ces conditions, il ne peut être exclu que l’interprétation retenue, puisse conduire à retenir l’application de la loi de proximité, identique à la loi d’autonomie, alors même que la loi du lieu d’exécution comporterait des règles impératives plus protectrices pour le salarié. La loi finalement applicable ne sera peut-être pas nécessairement celle qui est la plus protectrice pour le salarié.
Quelle que soit la solution retenue par la CJUE, force est de constater que, contrairement à ce que les parties au contrat de travail peuvent penser, la loi applicable à la relation de travail n’est pas immuable et celle qui était applicable au jour de la conclusion du contrat de travail peut, in fine, ne pas être celle qui régira son exécution et sa rupture.
AUTEURS
Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats
Jehane AZZOUZI-CLAUSEL, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
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