Le CbCR public : encore une nouvelle obligation à la charge des entreprises, cette fois-ci à l’égard du public
Après plusieurs mois de négociations d’une nouvelle proposition de compromis sur la déclaration pays-par-pays publique (« Country-by-Country Reporting » public, ou « CbCR public »), le texte de la directive sur la transparence fiscale des multinationales amendant la directive comptable 2013/34/UE[1] a finalement été approuvé par le Conseil de l’Union Européenne et le Parlement européen respectivement les 28 septembre et 11 novembre dernier.
Publiée au journal officiel le 1er décembre 2021, la directive, qui impose aux entreprises assujetties de rendre accessible au public une présentation de la répartition pays par pays des bénéfices de leur groupe et de certains agrégats économiques, comptables et fiscaux, entrera en vigueur le 21 décembre 2021[2].
La directive devra être transposée par les Etats membres au plus tard le 22 juin 2023 et cette nouvelle obligation s’appliquera pour la première fois à partir de la date d’ouverture du premier exercice financier commençant le 22 juin 2024 ou après cette date.
Plus de cinq ans après la première proposition de la Commission européenne[3], les négociations avaient repris au sein de l’Union européenne (« UE ») sous l’impulsion de la présidence portugaise du Conseil de l’UE. Celle-ci avait présenté une proposition de compromis le 13 janvier 2021[4], proposition suivie d’intenses négociations entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen. Les deux instances étaient parvenues à un accord provisoire le 1er juin 2021, avant l’adoption du texte définitif cet automne. Alors que la proposition de compromis de janvier 2021 semblait mieux répondre à certaines inquiétudes des entreprises concernant les éventuelles répercussions commerciales de cette nouvelle obligation, la directive adoptée est finalement revenue sur certains de ces termes et tend vers plus de transparence (notamment concernant la clause de sauvegarde, ou encore les hypothèses d’agrégation des données).
Le CbCR public constitue une obligation nouvelle et autonome du fait de son caractère public, avec un champ d’application et des règles déclaratives propres notamment par rapport à l’obligation de dépôt de la déclaration pays-par-pays auprès de l’administration fiscale (« CbCR fiscal »)[5].
- Quelles entreprises sont concernées par le CbCR public ?
La directive vise, d’une part, les groupes dont l’entité ultime est située en dehors de l’UE, dès lors qu’ils disposent de filiales ou succursales dans l’UE et, d’autre part, les groupes dont l’entité ultime est située dans l’UE, dès lors que ces groupes réalisent un chiffre d’affaire global d’au moins 750 millions d’euros. Sont également visées les entreprises autonomes, soit celles qui ne respectent pas les critères d’appartenance à un groupe au sens de la directive 2013/34/UE, dès lors que le seuil d’assujettissement susmentionné est dépassé.
Les groupes ou entreprises autonomes européens sont en revanche dispensés de CbCR public lorsque ces entreprises mères ultimes et leurs entreprises liées, y compris leurs succursales, ou ces entreprises autonomes, sont uniquement présentes sur le territoire d’un seul État membre et dans aucune autre juridiction fiscale. Les entreprises du secteur bancaire sont également exclues.
Ainsi, un groupe, dont l’entité mère ultime serait en France et dont les filiales et succursales seraient toutes exclusivement en France, ne serait pas concerné par le CbCR public, car il n’est présent que dans un seul Etat membre. En revanche, un groupe, dont l’entité mère ultime serait en France et qui aurait deux filiales, l’une en France et l’autre, soit dans un autre Etat membre de l’UE, soit dans une juridiction tierce (ex. : au Maroc), serait assujetti au CbCR public dès lors qu’il est présent sur le territoire de deux Etats membres ou sur le territoire d’un Etat membre et d’une juridiction tierce, sous réserve de respecter le seuil de 750 millions d’euros.
En ce qui concerne les groupes hors UE (« étrangers »), l’obligation déclarative pèse sur les filiales et succursales européennes du groupe, si le seuil de déclenchement de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires est rempli à un niveau plus global. Les filiales et succursales européennes ne sont toutefois concernées que si certains seuils sont également dépassés à leur niveau.
Le seuil de déclenchement de l’obligation de 750 millions d’euros est le même que dans le cadre du CbCR fiscal mais doit être apprécié pour chacun des deux derniers exercices consécutifs.
Il n’y a donc pas d’identité stricte entre les entités couvertes par le CbCR public et celles couvertes par le CbCR fiscal, dans la mesure où les champs d’application de ces deux obligations présentent des géométries différentes (notamment, inclusion des entités autonomes dans le CbCR public non incluses dans le CbCR fiscal, appréciation du seuil d’assujettissement sur deux exercices consécutifs pour le CbCR public, double seuil d’appréciation pour le CbCR public lorsque l’entité déclarante est une filiale ou succursale européenne).
Par ailleurs, une clause anti-abus est également prévue, de sorte que les filiales ou succursales dont le chiffre d’affaires serait inférieur au seuil d’assujettissement de 750 millions d’euros pourront toutefois être tenues à l’obligation de déclaration si elles sont réputées n’exister que pour permettre à l’entité mère ultime ou l’entreprise autonome dont elles relèvent de contourner ces nouvelles obligations.
- Quelles informations doivent être publiées ?
Si les informations à déclarer pour les besoins du CbCR fiscal sont en grande partie reprises, il n’y a là non plus pas de stricte identité.
La directive impose de désigner, dans la déclaration publiée, l’entité mère ultime ou l’entreprise autonome ainsi que les filiales incluses dans les états financiers consolidés de l’entité mère ultime[6], et de préciser l’exercice financier concerné et la devise utilisée pour la présentation de la déclaration.
La déclaration présente par ailleurs des indicateurs sur la nature des activités du groupe et les effectifs salariés. Enfin, des agrégats économiques, regroupant les montants de chiffre d’affaires[7] (y inclus le chiffre d’affaires réalisé avec des parties liées), de résultat avant impôts sur les bénéfices, des impôts sur les bénéfices acquittés et dus ainsi que des bénéfices non distribués à la fin de l’exercice, doivent également être publiés.
Les entités déclarantes peuvent également inclure dans leur déclaration des explications relatives aux éventuelles discordances qui pourraient être constatées entre l’impôt sur les bénéfices dû et l’impôt sur les bénéfices acquitté.
Le Parlement européen avait tenté d’imposer, d’une part, la publication des mêmes informations que celles requises pour les besoins du CbCR fiscal, à savoir la ventilation du chiffre d’affaires entre celui réalisé avec des parties liées et celui réalisé avec des parties non liées, le montant du capital social ainsi que le montant des actifs corporels hors trésorerie et équivalents de trésorerie et, d’autre part, la publication d’informations complémentaires, s’entendant des subventions publiques reçues et des donations publiques ainsi que de l’application éventuelle d’un régime fiscal préférentiel. Cette proposition n’a finalement pas été retenue.
La présentation des informations à publier diffère selon que les informations concernent :
- des Etats membres ou des juridictions figurant au 1er mars de l’exercice pour lequel la déclaration est établie sur la liste noire européenne ou des juridictions figurant au 1er mars de l’exercice pour lequel la déclaration est établie et à compter de la deuxième année consécutive sur la liste grise européenne (« ETNC ») : dans ce cas, les informations doivent être publiées de manière ventilée Etat par Etat ; ou encore
- des Etats tiers (non-ETNC), dans ce cas les informations sont publiées de manière agrégée.
Lorsque l’entité déclarante est une filiale ou une succursale et qu’elle n’est pas en possession de la déclaration de l’entité mère ou des informations nécessaires à son établissement, elle est tenue de les solliciter auprès de cette dernière. Si les informations nécessaires ne lui sont pas fournies, la société doit préparer une déclaration sur la base des informations en sa possession et publier un communiqué expliquant que l’entité mère ultime ou l’entreprise autonome dont elle relève n’a pas mis les informations nécessaires à sa disposition.
- Selon quelles modalités la déclaration est-elle publiée ?
La déclaration est en principe publiée sur le site internet de l’entité déclarante. Les Etats membres peuvent toutefois dispenser les entités de publier la déclaration sur leur site dans le cas où celle-ci serait publiée simultanément sur un registre[8] accessible gratuitement pour toute partie située dans l’UE, et à condition que le site de l’entité déclarante renvoie au site dudit registre.
La Commission européenne est chargée d’établir un modèle commun et des formats de déclarations électroniques lisibles par machine.
La déclaration est publiée dans les douze mois qui suivent la date de clôture de l’exercice, si bien que les dates de dépôt du CbCR fiscal et de publication de la déclaration de CbCR public sont en principe alignées.
Toutefois, dans le cadre de la transposition, les Etats membres peuvent également autoriser les entités déclarantes qui sont en mesure de justifier que la publication de certaines informations est de nature à porter atteinte à leurs intérêts commerciaux, à reporter la publication pendant une durée maximale de cinq années (à moins que les informations concernées soient relatives à un ETNC). Alors que le Conseil de l’UE avait proposé l’application d’une clause de sauvegarde automatique pour une durée de six ans, le texte définitif établit donc une clause de sauvegarde non seulement facultative pour les Etats membres mais également plus courte dans sa durée. La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir comment la France va se positionner au regard de cette faculté.
Une fois publiée, la déclaration doit demeurer accessible au public pendant une durée minimale de cinq années consécutives.
Le non-respect de l’obligation de publication sera sanctionné par des mesures édictées par chacun des Etats membres. La directive prévoit par ailleurs un régime de responsabilité pour les organes dirigeants de l’entité déclarante, aux termes duquel ces derniers ont la responsabilité collective de veiller à ce que la déclaration soit établie, publiée et rendue accessible.
Article paru dans Option Finance le 30/12/2021
[1]  Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises.
[2]  Directive (UE) 2021/2101 du Parlement Européen et du Conseil du 24 novembre 2021 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les revenus des sociétés, JOUE L 429 du 1er décembre 2021.
[3]  Proposition de Directive modifiant la Directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les bénéfices, COM (2016) 198 final – 2016/0107 (COD) du 12 avril 2016.
[4]  La proposition de compromis du 13 janvier 2021 avait fait l’objet d’une analyse dans l’Option finance n° 1603 du 19 avril dernier.
[5]  Obligation prévue par la Directive 2016/881 du Conseil du 25 mai 2016 modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal, transposée en droit français à l’art. 223 quinquies C du CGI.
[6]  Dès lors que ces filiales sont établies (i) dans l’UE, (ii) dans une juridiction figurant sur la liste noire européenne ou (iii) dans une juridiction figurant sur la liste grise européenne pendant deux années consécutives.
[7]  Le chiffre d’affaires à déclarer aux fins du CbCR public est différent de celui qui sert à apprécier le seuil d’assujettissement à l’obligation de publication.
[8]  La directive vise le registre prévu à l’article 16 de la directive 2017/1132, à savoir un registre central, un registre du commerce ou un registre des sociétés de cet Etat membre.
Auteurs
Céline Pasquier, avocat en droit fiscal
Delphine Groux, Fiscaliste