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Le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence sur l’imposition des plus-values sur titres démembrés

Le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence sur l’imposition des plus-values sur titres démembrés

La plus-value est imposable au nom de l’usufruitier lorsque celui-ci conserve la faculté de remployer ou non le produit de la cession des titres dont il a l’usufruit

Tel est l’enseignement que l’on peut retirer d’une décision du Conseil d’Etat (CE, 2 avril 2021, n° 429187) qui précise les modalités de répartition de l’impôt frappant la plus-value de cession de titres ayant antérieurement fait l’objet d’une donation en démembrement. Cette précision intervient dans l’hypothèse où la convention entre l’usufruitier et le nu-propriétaire prévoit un remploi seulement facultatif du produit de la vente des titres. En pareil cas, c’est l’usufruitier qui est considéré comme le seul redevable de l’impôt.

Au cas particulier, deux époux ont donné en 2007 la nue-propriété d’un certain nombre de titres d’une société à leurs enfants et s’en sont réservés l’usufruit. En 2009, la société en cause a racheté ses propres titres. Il a donc fallu déterminer qui, des usufruitiers ou des nus-propriétaires, était redevable de l’impôt à raison de la plus-value dégagée à cette occasion. Les parents usufruitiers ont considéré que l’impôt était dû par les enfants nus-propriétaires mais l’administration fiscale ne l’a pas entendu ainsi et a notifié aux premiers des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales.

Cette affaire donne l’occasion au Conseil d’Etat de rappeler sa jurisprudence tout en la précisant.

Ainsi est-il affirmé par la décision que « l’imposition de la plus-value constatée à la suite des opérations par lesquelles l’usufruitier et le nu-propriétaire de parts sociales dont la propriété est démembrée procèdent ensemble à la cession de ces parts sociales, se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits ». Ce principe fait écho à ce que prévoit l’article 621 du Code civil selon lequel « en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits ».

L’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent toutefois organiser leurs rapports de façon différente, ce qu’admet d’ailleurs expressément le Code civil.

Ils peuvent, en premier lieu, décider que le prix de cession sera remployé dans l’acquisition d’autres titres eux-mêmes démembrés. D’un point de vue fiscal, le Conseil d’Etat considère alors que « lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l’acquisition d’autres titres dont les revenus reviennent à l’usufruitier, la plus-value réalisée n’est imposable qu’au nom du nu-propriétaire » (point 3 de la décision).

Les parties peuvent aussi décider que l’usufruit se reporte intégralement sur le prix de cession. Le Conseil d’Etat considère ici que « lorsque les parties ont décidé, par les clauses contractuelles en vigueur à la date de la cession, que le droit d’usufruit serait, à la suite de la cession, reporté sur le prix issu de celle-ci, la plus-value est alors intégralement imposée entre les mains de l’usufruitier » (même point de la décision).

Si le contenu de ces affirmations du Conseil d’Etat n’est pas nouveau, il faut toutefois signaler que la subtile formulation de la décision du 2 avril 2021 comporte une distinction entre le remploi facultatif et le remploi obligatoire. A en croire les conclusions du rapporteur public Céline Guibé, cette distinction était implicitement présente dans la jurisprudence antérieure (voir CE, 12 décembre 2012, M…, n° 336273, décision dont la lecture permet de douter que la solution fût aussi clairement implicite). Quoi qu’il en soit, la précision désormais explicitement apportée par le Conseil d’Etat mérite d’être signalée et analysée.

  1. L’importance du caractère facultatif ou obligatoire du remploi du prix de cession

On relève tout d’abord dans la dernière phrase du point 3 l’emploi de l’adverbe « nécessairement » dans la dernière phrase. Pour que le nu-propriétaire soit imposable lorsqu’une convention prévoit le remploi du prix de cession des titres dans d’autres actifs, encore faut-il que ce remploi ait « nécessairement lieu ». Autrement dit, et comme l’indique le point 4 de la décision, « lorsque l’usufruitier conserve la faculté de remployer ou non le produit de la cession des titres dont il a l’usufruit, le droit d’usufruit doit être regardé, pour l’imposition des plus-values résultant de la cession, comme reporté sur le produit de cette cession, rendant ainsi l’usufruitier intégralement redevable de l’imposition ».

Le Conseil d’Etat, réglant l’affaire au fond, considère que l’on était bien ici en présence d’une telle faculté, et non d’une obligation, de remploi. Interprétant l’acte de donation (qui n’était d’ailleurs pas exempt d’ambiguïté), il relève notamment que celui-ci interdisait aux nus-propriétaires toute cession des titres donnés sans l’accord des usufruitiers et prévoyait que si une telle cession avait lieu, les nus propriétaires s’interdiraient, sauf accord exprès du ou des usufruitiers, à demander le partage en toute propriété du prix représentatif de ceux-ci. En outre, une autre clause de l’acte prévoyait qu’en cas de cession des titres donnés sans que ce prix de cession soit employé à acquérir de nouveaux titres, les donataires auraient l’obligation de verser les fonds provenant desdites cessions sur un compte indivis. L’existence de cette clause, combinée à d’autres indices tirés de l’acte de donation, supposait nécessairement que les usufruitiers pussent ne pas réinvestir et qu’ainsi le remploi du produit de cession présentait un caractère facultatif.

  1. L’appréciation du caractère facultatif ou obligatoire a lieu au moment de la cession

Selon le Conseil d’Etat, l’appréciation du caractère facultatif ou obligatoire du remploi du prix de cession implique l’examen « des clauses contractuelles en vigueur à la date de la cession ».

De là découle, d’une part, qu’une modification des termes de la donation originelle est possible et doit être prise en compte si elle intervient avant la cession des titres donnés. Le Conseil d’Etat s’attache d’ailleurs à vérifier que certains actes produits par les requérants n’ont pas eu cet effet. Il relève notamment qu’un pacte adjoint à une donation-partage de 2008 imposait aux donataires d’apporter à une société civile immobilière à constituer avec les donateurs une « fraction » des titres préalablement donnés en 2007, mais il considère que ces stipulations ne peuvent être regardées comme organisant une clause de remploi obligatoire à due concurrence de cette fraction, dès lors qu’aucune stipulation n’en définissait le quantum.

Du principe de l’examen des clauses à la date de la cession découle, d’autre part, que l’existence d’un remploi effectif du produit de cession postérieurement à celle-ci est indifférente. Le Conseil d’Etat juge ainsi que les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance, postérieure au fait générateur de l’imposition que constitue le transfert de propriété, selon laquelle le prix de cession des titres aurait été effectivement remployé.

On peut remarquer que la position du Conseil d’Etat (notamment en ce qu’elle distingue entre remploi facultatif et remploi obligatoire) est plus précise que la doctrine administrative qui précise que lorsque  le nu-propriétaire ou l’usufruitier a disposé de la pleine propriété des titres avant leur démembrement, « il convient de distinguer selon que le prix de vente des titres est remployé en démembrement, auquel cas la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire, ou est attribué au seul usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit, auquel cas la plus-value est imposable au nom de l’usufruitier » (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60, n° 140).

Il semble d’ailleurs que le contribuable ait tenté de démontrer devant le juge que cette doctrine (ou plus exactement la fiche n° 1 de l’instruction 5 C-1-01 du 13 juin 2001 relative au démembrement de valeurs mobilières et de droits sociaux, qui préexistait au BOFIP) ne distinguait pas entre remploi facultatif et remploi obligatoire, si bien qu’on était ici en présence d’un remploi rendant le nu-propriétaire redevable de l’impôt. Mais cet argument tiré de l’opposabilité de la doctrine a échoué devant le Conseil d’Etat, qui affirme que les usufruitiers ne sont pas fondés à se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la fiche précitée dont les énonciations ne donnent aucune interprétation formelle de la loi fiscale différente de celle dont il a été fait application dans le présent litige.

Article paru dans Option Finance le 24/05/2021

Auteurs

Daniel Gutmann, avocat associé en droit fiscal