Le harcèlement moral : l’épreuve de la preuve
10 juin 2013
Prouver un harcèlement moral peut s’avérer difficile. Néanmoins, le nombre de contentieux pour harcèlement est en hausse. Quels sont les éléments constitutifs d’un harcèlement ? Comment éviter de franchir la ligne blanche quand on est employeur ?
Le harcèlement moral est-il compatible avec l’exercice du pouvoir hiérarchique ?
Si l’on devait interroger les salariés, il est probable qu’une large majorité d’entre eux affirmeraient qu’ils ont, à un moment ou à un autre de l’exécution de leur contrat de travail, été victimes de harcèlement. Il est vrai que les occasions ne manquent pas : entretiens houleux avec le supérieur hiérarchique, fixation d’objectifs élevés, pressions exercées par la Direction, envois intempestifs de mails, dénigrements, etc. La situation économique actuelle semble d’ailleurs exacerber cet état de fait.
Les employeurs pourraient soutenir de leur côté que ce sentiment, à l’exclusion des situations particulièrement dramatiques et avérées, n’est que la résultante naturelle de la relation de travail elle-même, qui a ceci de particulier que le salarié exerce ses missions dans le cadre d’un lien de subordination et du pouvoir de direction de l’employeur. Ce qui sous-tend que ce dernier a le pouvoir de donner des directives au salarié – qui se présente comme son subordonné – et de sanctionner ses éventuels manquements.
Comme pour beaucoup d’autres sujets, tout est en la matière question de mesure. L’exercice par l’employeur de son pouvoir de direction trouvera ses limites dans l’abus. La frontière entre l’exercice « viril » ou affirmé de l’autorité et le harcèlement moral sera parfois ténue. A l’inverse, le salarié qui mettra en avant des faits farfelus ou mineurs ou qu’il ne sera pas en mesure de prouver, ou qui tentera de porter sur le terrain professionnel les conséquences de difficultés d’ordre personnel, perdra toute crédibilité devant les juges.
Les trois éléments constitutifs du harcèlement moral
Le harcèlement moral suppose, selon le code du travail, la réunion de trois conditions :
- le salarié doit tout d’abord subir des agissements répétés de harcèlement moral. On doit donc être en présence, en principe, de plusieurs faits, ou d’un fait s’étant reproduit à plusieurs reprises. Ce qui signifie a contrario qu’un évènement isolé ne suffit théoriquement pas à caractériser ledit harcèlement, à moins qu’il ne présente en lui-même une réelle gravité ;
- les agissements doivent ensuite avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié (perte d’autonomie ou de responsabilité, suppression d’avantages, « mise au placard », etc.) ;
- la dégradation des conditions de travail doit enfin être susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié (dénigrement par exemple), d’altérer sa santé physique ou mentale (inaptitude physique constatée par le médecin du travail, arrêts de travail prescrits par le médecin traitant, voire par un psychiatre), ou de compromettre son avenir professionnel (rétrogradation par exemple).
L’employeur et le salarié jouent chacun un rôle en matière de preuve
La preuve du harcèlement moral ne repose spécialement ni sur le salarié, ni sur l’employeur.
Le salarié doit, en premier lieu, établir les faits lui permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Plus concrètement, il doit non seulement évoquer les faits précis et concordants qu’il impute à son employeur, à son supérieur hiérarchique, à l’un de ses collègues de travail ou à son propre subordonné (le harcèlement moral peut être reconnu entre deux salariés relevant d’une catégorie, d’une fonction ou d’un statut identiques mais aussi différents), mais encore démontrer leur matérialité. Pour ce faire, le salarié devra être en mesure de produire en justice l’ensemble des éléments (attestations d’autres salariés, courriers, mails, notes, etc.) démontrant la réalité des faits qu’il met en avant et leurs conséquences sur son évolution professionnelle et/ou son état de santé.
A supposer que les faits caractéristiques du harcèlement moral soient établis, l’employeur devra dans un second temps prouver que les agissements dénoncés par le salarié ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement. Il appartiendra dès lors à l’employeur, de la même manière que pour le salarié, de réunir les pièces justifiant la pertinence de la (des) mesure(s) prise(s).
Une boite à outils juridiques à disposition du salarié
Même si ces éléments ne sont pas décisifs en eux-mêmes, le salarié dispose d’un arsenal juridique lui permettant de porter au grand jour le harcèlement moral dont il prétend être la victime pour, s’il est caractérisé, qu’il y soit mis un terme.
Après avoir identifié les éléments et sujets caractéristiques, selon lui, de faits de harcèlement puis attiré l’attention de sa hiérarchie et/ou de la direction sur sa situation, il a, entre autres mesures, la possibilité de se rapprocher des représentants du personnel et/ou des organisations syndicales, de l’inspection du travail ou du médecin du travail, de solliciter l’intervention d’un médiateur ou, dans la plus extrême des situations, de saisir les juridictions civiles (conseil de prud’hommes, tribunal des affaires de sécurité sociale) ou pénales.
Même si ces initiatives ne sont pas décisives dans l’appréciation que les juges se feront de l’existence ou non d’un harcèlement moral, elles pourront être prises en compte par ceux-ci lorsqu’elles existent, ou à l’inverse déplorées lorsqu’elles font défaut.
Une démarche délicate dont l’une issue est par ailleurs incertaine
On voit bien, au final, que l’existence ou non, d’un harcèlement moral dépendra pour une large part de la capacité qu’aura le salarié à recenser – sur une période significative – des faits concrets et revêtant une certaine gravité, à réunir les pièces utiles à sa cause et à la qualité des initiatives qu’il voudra bien prendre. On ne peut qu’attirer l’attention de ceux qui voudraient voir reconnaître l’existence d’un harcèlement moral sur la base de faits mineurs ou inconsistants, tant la route pour voir reconnaître un harcèlement est souvent difficile, longue, sinueuse et aléatoire et qu’elle peut parfois se transformer en un véritable chemin de croix.
De leur côté, les employeurs ne doivent pas prendre à la légère les démarches entreprises par les salariés se sentant victime de harcèlement, d’une part parce qu’ils sont tenus par une obligation de sécurité (de résultat) à l’égard de l’ensemble de leurs salariés, et d’autre part parce que les conséquences humaines, financières et le cas échéant pénales peuvent parfois être désastreuses. Ils devront rester à l’écoute des salariés en situation « de faiblesse » et être en mesure de répondre, point par point, aux griefs mis en avant par ces derniers. Ils devront également montrer une certaine « proactivité », au besoin en faisant utilisation de leur pouvoir disciplinaire à l’égard du prétendu harceleur.
A propos de l’auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé. Il anime l’équipe contentieuse et intervient plus particulièrement dans les litiges pendants devant le conseil de prud’hommes (tous types de litiges), le tribunal d’instance (contestation de désignations de délégués syndicaux, élections professionnelles, représentativité syndicale, reconnaissance d’unité économique et sociale, référendum des salariés à la suite de la signature d’accords collectifs…), le tribunal de grande instance (dénonciation et mise en cause d’accords collectifs, demande de suspension de la procédure consultative auprès du comité d’entreprise, demande d’annulation de plans de sauvegarde de l’emploi, grèves, contestation d’expertise CHSCT ou CE…), le tribunal des affaires de sécurité sociale (urssaf, affiliation, accident du travail, maladie professionnelles, faute inexcusable,…), le tribunal de police et tribunal correctionnel (discrimination syndicale, délit d’entrave, contraventions à la durée du travail, harcèlement moral…) et le tribunal administratif et cour administrative d’appel (contestation des décisions de l’Inspection du travail ou du Ministre…).
Article paru dans Les Echos Business du 10 juin 2013
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