Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente
12 octobre 2023
Par un arrêt du 6 septembre 2023, (n°22-13.783), la Cour de cassation réaffirme le principe selon lequel l’employeur peut mettre en place des dispositifs de contrôle de l’activité des salariés pendant leur temps de travail, sous réserve de les avoir préalablement informés de l’existence de ces derniers.
Faits d’espèce et solution : un dispositif d’évaluation professionnelle licite à certaines conditions
Cet arrêt, publié au bulletin, est singulier puisqu’il concerne la mise en place d’un stratagème par l’employeur consistant à faire contrôler l’activité de ses salariés par un «client mystère».
Pourtant, les juges étaient jusqu’alors assez réticents à admettre la licéité des éléments de preuve recueillis à l’occasion de ce type de mise en scène, consistant à «piéger» le salarié ou, à tout le moins, le placer dans une situation au cours de laquelle il pourrait commettre une faute justifiant une mesure disciplinaire (1).
Le stratagème en question consistait à faire intervenir un client mystère ayant la charge de vérifier le respect, par le salarié contrôlé, de certaines procédures de vente.
Au cas d’espèce, le salarié, qui n’avait pas remis à ce client mystère son ticket de caisse (erreur fatale consignée dans un rapport d’inspection), contestait sa mise à pied disciplinaire et son licenciement sur ce fondement, en considérant que les éléments de preuve, recueillis par l’employeur au moyen de la mise en place de ce stratagème, sont irrecevables.
Pour considérer cette méthode licite, la cour d’appel avait relevé que l’employeur établissait avoir préalablement informé le salarié de l’existence de ce dispositif d’investigation au moyen, d’une part, d’un compte-rendu de réunion du comité d’entreprise faisant état de la visite de clients mystères avec mention du nombre de leurs passages et, d’autre part, d’une note d’information des salariés sur ce dispositif affichée en septembre 2015 et portant sur le fonctionnement ainsi que l’objectif de ce dispositif.
La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel et reconnait la licéité de cette méthode d’évaluation professionnelle dès lors que le salarié en cause a été préalablement informé de l’existence de ce dispositif d’évaluation, conformément aux dispositions visées à l’article L.1222-3 du Code du travail, dont le premier alinéa précise : «le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard».
En conséquence, selon la Cour :
-
- les éléments recueillis par ce client mystère sont licites ;
-
- et l’employeur pouvait valablement les utiliser au soutien d’une procédure disciplinaire.
Ainsi, la Cour de cassation autorise, par cette décision, les employeurs à une certaine créativité dans l’élaboration de procédures d’évaluation professionnelle des salariés dont elle admet la licéité dès lors que, préalablement à leur mise en œuvre dans l’entreprise :
⇒ les salariés concernés, ont été dûment informés de l’existence du système et de ses finalités ;
⇒ de même que les représentants du personnel, qui doivent être non seulement informés mais aussi consultés.
Précisions, à cet égard, que le CSE doit être informé et consulté sur l’introduction dans l’entreprise de dispositifs d’évaluation professionnelle sur le fondement du troisième alinéa de l’article L.2312-38 du Code du travail suivant lequel : «Le comité est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés».
Ces dispositions d’ordre public, auxquelles il n’est pas permis de déroger, reprennent à l’identique les règles antérieurement applicables au comité d’entreprise et donc applicables en l’espèce (anc. art. L.432-2-1, al. 3).
Dans l’arrêt commenté, le comité d’entreprise a été probablement consulté sur la mise en place de ce dispositif dans l’entreprise, bien que cette précision ne soit pas explicite.
L’information préalable, condition essentielle de la recevabilité des éléments recueillis dans le cadre d’un contrôle de l’activité des salariés
Pour mémoire, si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’aurait pas été porté préalablement à la connaissance des salariés.
L’employeur est ainsi tenu d’une véritable obligation de transparence et de loyauté à l’égard de ses salariés, mais également des représentants du personnel qui doivent être informés et consultés (2) sur les moyens et techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés préalablement à leur mise en œuvre dans l’entreprise (3).
Par exception, cette obligation d’information préalable n’est pas requise lorsque le contrôle de l’activité est réalisé par un service interne à l’entreprise dédié, par exemple des cadres en charge d’accompagner des commerciaux lors de leur tournée, ou encore lorsque la finalité du dispositif n’est pas de surveiller le salarié mais d’assurer la sécurité, d’auditer l’entreprise ou même d’enquêter sur des faits de harcèlement moral.
En tout état de cause, c’est cette information préalable :
♦ qui confère aux éléments produits par l’employeur devant les juridictions prud’homales leur caractère licite ;
♦ et permet l’utilisation de ces derniers à l’appui d’une procédure de licenciement.
Toutefois, la méthode utilisée doit aussi être proportionnée à la finalité qu’elle poursuit, et, d’après l’article L.1222-3 du Code du travail, demeurer pertinente et loyale.
Le recours à un client-mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente dans son principe et ses finalités
L’intérêt majeur de cet arrêt tient au fait qu’il considère qu’un stratagème peut être loyal, dès lors qu’il est transparent.
Or, jusqu’à cet arrêt, la jurisprudence avait davantage tendance à considérer comme déloyaux tous dispositifs qui auraient pour effet de capter les faits et gestes des salariés, à leur insu, invitant ainsi les contrôleurs à s’annoncer comme tel le jour du contrôle.
En effet, la jurisprudence a déjà pu considérer comme consistant en un procédé de contrôle clandestin et déloyal, justifiant de l’irrecevabilité des éléments de preuve collectés, le fait pour un employeur d’inviter certains de ses salariés à se rendre dans l’une de ses agences, en se faisant passer pour des clients et sans décliner leur identité, afin d’effectuer des vérifications (4).
L’arrêt du 6 septembre 2023 est novateur puisque, si, en l’espèce, les salariés étaient informés de la possibilité d’un recours à un client mystère ainsi que du nombre d’interventions possibles et du but de ces contrôles, il n’en demeure pas moins qu’ils ignoraient quand ils pouvaient être effectivement contrôlés par un client mystère.
A défaut, le dispositif de contrôle perdrait tout son intérêt.
Dès lors, cet arrêt a le mérite de rebattre les cartes sur les possibilités offertes à l’employeur pour contrôler l’activité de ses salariés en permettant à ce dernier de développer des outils de contrôles efficaces afin d’identifier d’éventuels dysfonctionnements, à la seule condition d’être transparent sur les règles applicables et les finalités poursuivies préalablement à leur introduction dans l’entreprise.
Auteurs
Vincent Delage, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Julia Chavinier, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Cass. soc, 16 janvier 1991, n°89-41.052
(2) Articles L.2312-38 du Code du travail, Cass. soc, 7 juin 2006, n°04-43.866
(3) Articles L.1222-3 du Code du travail, Cass. soc, 22 mai 1995, n°93-44.078
(4) Cass. soc. 18 mars 2008, n°06-45.093
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