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Le régime social de l’indemnité transactionnelle : un casse-tête pour les praticiens

Le régime social de l’indemnité transactionnelle : un casse-tête pour les praticiens

Contrairement à certaines indemnités dont le régime social et fiscal est déterminé par la loi (indemnités de licenciement, indemnité pour procédure irrégulière de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse octroyée par le juge,…), le sort des sommes versées dans le cadre d’une transaction qu’elle intervienne ou non à la suite de la rupture du contrat de travail n’est pas envisagé.

 

Néanmoins son régime social a été progressivement clarifié par l’administration jusqu’à ce que des arrêts rendus par la chambre sociale en 2018 viennent à nouveau semer le doute.

 

Entré en vigueur au 1er avril 2021, le Bulletin officiel de la sécurité sociale (BOSS),dont les positions sont opposables aux Urssaf, tire les conséquences de cette jurisprudence et tente d’apporter de précisions sur le régime social de cette indemnité .

 

A l’occasion d’une récente décision rendue par la Cour de cassation (Cass. civ.2, 17 février 2022 n°20-19.516), nous vous proposons de revenir sur le sort de cette indemnité.

 

Rappel des règles posées par la loi : exonération de cotisations de sécurité sociale des indemnités de rupture non imposables dans la limite d’un plafond

Par principe, il ressort des articles L. 136-1-1 et L. 242-1 du Code de la sécurité sociale que les sommes versées par l’employeur à un travailleur sont considérées comme une rémunération soumise à cotisations, dès lors qu’elles sont versées en contrepartie ou à l’occasion du travail.

 

Il existe, toutefois, des exceptions.

 

Ainsi, les indemnités de rupture visées à l’article 80 duodecies du Code général des impôts (CGI), qui ne sont pas imposables, sont exonérées de cotisations de sécurité sociale, dans la limite de deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale (ci-après « PASS »).

 

Sont notamment visées : l’indemnité de licenciement, l’indemnité pour violation de la procédure de licenciement, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul octroyée par le juge, l’indemnité de rupture versée dans le cadre d’un congé de mobilité etc…

 

Toutefois pour bénéficier de cette exonération, l’indemnité ne doit pas dépasser un montant égal à dix PASS. A défaut, celle-ci est assujettie à cotisations sociales dès le premier euro.
Il en résulte que toutes les autres indemnités non visées par l’article 80 duodecies sont en principe assujetties à cotisations de sécurité sociale.

 

Rappel de la position de l’administration en matière d’indemnité transactionnelle

Pendant longtemps, la difficulté était de savoir si les indemnités transactionnelles étaient exonérées de cotisations de sécurité sociale, dans la mesure où elles n’étaient pas expressément visées par l’article 80 duodecies du CGI.

 

A l’origine, la Direction de la sécurité sociale et l’ACOSS (1) considéraient que l’indemnité transactionnelle n’était exonérée que pour «sa fraction représentative d’une indemnité elle-même susceptible d’être exonérée», dans la limite de deux PASS.

 

En pratique il convenait de faire masse de l’ensemble des sommes susceptibles d’être exonérées et versées à l’occasion de la rupture, notamment, par exemple, des indemnités de licenciement et des indemnités transactionnelles.

 

Cette position a été renforcée par une décision du Conseil constitutionnel du 20 septembre 2013 qui a retenu que le bénéfice des exonérations ne peut être différent selon que l’indemnité est allouée en vertu d’un jugement, d’une sentence arbitrale ou d’une transaction (QPC 2013-340).

 

Ainsi, par exemple, l’exonération de cotisations sociales applicable aux indemnités accordées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a vocation à s’appliquer à l’indemnité transactionnelle portant sur le même objet et dans les mêmes limites, soit à hauteur de deux PASS.

 

Il n’en demeurait pas moins que, pour bénéficier de ce régime, l’indemnité transactionnelle devait avoir le même objet que les indemnités visées à l’article 80 duodecies.

 

Les arrêts rendus par la Cour de cassation en 2018 (Cass. soc., 15 mars 2018 n°17-10.325 ; Cass. soc., 21 juin 2018 n°17-19.432 et 12 juillet 2018 n°17-23.345) ont suscité de nouvelles interrogations quant au régime social applicable à l’indemnité transactionnelle.

 

En effet par cette série d’arrêts, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que les indemnités transactionnelles sont soumises aux cotisations de sécurité sociale, à moins que l’employeur ne rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice.

 

Dès lors, la question se posait de savoir si les solutions antérieurement retenues par l’administration continuaient à s’appliquer et si les décisions de la Cour de cassation avaient pour effet d’élargir l’exonération de cotisations sociales à d’autres indemnités que celles portant sur la rupture dès lors qu’elles ont vocation à réparer un préjudice.

 

L’exonération de l’indemnité transactionnelle réparant un préjudice, confirmée par la jurisprudence

Par un arrêt du 17 février 2022, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence de 2018 et retient que l’indemnité transactionnelle versée en dehors de toute rupture du contrat de travail et dont l’objet est d’indemniser un préjudice résultant de la violation d’obligations impératives de l’employeur sur le droit à la santé et au repos doit être exonérée de cotisations sociales.

 

Dans cette affaire, deux salariés avaient engagé une action en résiliation judiciaire de leur contrat de travail.

 

Pour mettre fin à ce contentieux, ces salariés ont signé un accord transactionnel avec leur employeur, qui prévoit le versement d’une «indemnité transactionnelle par laquelle chaque salarié renonce irrévocablement d’une part, à la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et à ses conséquences, et d’autre part, à réclamer à la société tous chefs de demande, avantage en nature ou en espèce de quelque sorte que ce soit et notamment des indemnités et paiements divers consécutifs à l’exécution ou à l’éventuelle rupture des relations de la société (rappels de salaire, avantages individuels, primes diverses, heures supplémentaires, jours RTT, indemnités de préavis et de licenciement, congés-payés, avantage en nature, frais professionnels, droits à DIF, indemnités de toute nature, sans que cette liste soit exhaustive)».

 

A la suite d’un contrôle portant sur les années 2011 et 2012, l’URSSAF de Basse-Normandie a notifié à la société, un redressement résultant de la réintégration dans l’assiette des cotisations sociales les indemnités transactionnelles versées à ces deux salariés, considérant que le caractère indemnitaire de ces sommes n’était pas établi.

 

La société conteste ce redressement et les juges du fond lui donnent raison. L’URSSAF s’étant pourvue en cassation, la deuxième chambre civile de la haute juridiction confirme l’annulation du redressement et retient que :

 

    • «l’indemnité litigieuse est destinée à clore le contentieux judiciaire en résiliation des contrats de travail aux torts de l’employeur» ;
    • «et que ce contentieux portant sur l’imputabilité de la rupture du contrat de travail et l’indemnisation de préjudices résultant du non-respect des temps de repos du forfait jours et des règles relatives aux congés payés, ce qui correspond à l’indemnisation d’un préjudice résultant de la violation d’obligations impératives de l’employeur, ayant une valeur constitutionnelle, portant sur le droit à la santé et au repos, elle présente un caractère indemnitaire justifiant son exonération de cotisations sociales».

 

Avec les arrêts de 2018 et l’arrêt de 2022, la Cour de cassation admet clairement que l’indemnité transactionnelle, qu’elle soit versée lors de la rupture ou en dehors de toute rupture du contrat de travail, a vocation à être exonérée de cotisations de sécurité sociale dès lors qu’elle vient réparer un préjudice.

 

Les clarifications du BOSS et les questions en suspens

Depuis son entrée en vigueur le 1er avril 2021, le BOSS a apporté des précisions sur le régime social applicable aux indemnités transactionnelles versées au salarié.

 

Ainsi, l’administration maintient sa position s’agissant de l’indemnité transactionnelle portant sur la rupture du contrat de travail puisqu’il ressort du BOSS que l’indemnité transactionnelle versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail ne peut être exonérée de cotisations de sécurité sociale que pour sa fraction représentative d’une indemnité elle-même susceptible d’être exonérée dans la limite de deux PASS.

 

L’indemnité transactionnelle obéit, en effet, au même régime social que celui de l’indemnité qu’elle vient compléter, les limites d’exonération s’appliquant alors au montant global versé.

 

Il doit donc être fait masse de l’ensemble des indemnités versées dans le cadre des dispositions de l’article 80 duodecies du code général des impôts, y compris les indemnités transactionnelles.

 

En conclusion, selon le BOSS, l’indemnité transactionnelle portant sur la rupture du contrat de travail demeure, comme par le passé, exonérée de cotisations sociales dans la limite de deux PASS.

 

Toutefois, et afin semble-t-il de prendre en compte la position de la Cour de cassation, le BOSS précise que «en dehors des indemnités pouvant être exclues de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans les conditions prévues par la loi, une somme représentative de dommages-intérêts indemnisant un préjudice (moral ou personnel) autre que la perte de salaire peut dans certains cas être exclue de l’assiette des cotisations, lorsque l’employeur apporte la preuve qu’elle concourt, pour tout ou partie de son montant, à l’indemnisation d’un préjudice résultant de la rupture du contrat de travail du salarié. Il en va ainsi lorsqu’une décision de justice constate la réalité de ce préjudice et considère que les sommes versées constituent des dommages-intérêts».

 

Ainsi, selon le BOSS des indemnités transactionnelles portant sur un préjudice distinct de la rupture, tel qu’un préjudice professionnel (par exemple un préjudice d’évolution de carrière) ou un préjudice moral sont exonérées de cotisations sociales.

 

On notera que le BOSS ne précise pas dans un tel cas si la limité d’exonération fixée à deux PASS a vocation à s’appliquer. Selon notre interprétation, cette limite ne serait pas applicable dans cette hypothèse.

 

Si l’administration et le juge s’accordent aujourd’hui à reconnaitre que des indemnités transactionnelles réparant un préjudice distinct de la rupture du contrat de travail bénéficient de l’exonération de cotisations de sécurité sociale, certaines questions demeurent en suspens.

 

En effet, si l’administration semble retenir que l’exonération des indemnités portant sur la rupture sont exonérées de cotisations de sécurité sociale dans la limite de deux PASS, les jurisprudences de 2018 et 2020 ne paraissent pas retenir une telle limite.

 

Il y a là un point qui mériterait sans doute d’être clarifié pour sécuriser la situation des entreprises et des salariés.

 

(1) Lettre circulaire ACOSS n° 2001-022 du 25 janvier 2001 Régime social des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail et de la cessation des fonctions de mandataire social ou de dirigeant