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Le risque d’être recherché comme dirigeant de fait

Le risque d’être recherché comme dirigeant de fait

L’article L. 651-2 du Code de commerce dispose que : «Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, […], ayant contribué à la faute de gestion. […]».

Cette disposition ouvre une possibilité aux organes de la liquidation judiciaire de faire peser sur tout dirigeant de la personne morale débitrice1, le poids de l’insuffisance d’actif révélée.

La menace est d’autant plus inquiétante qu’elle s’abreuve à la source de la théorie de l’équivalence des conditions2. De manière synthétique, le juge apprécie souverainement la part de l’insuffisance d’actif qu’il entend faire supporter par le dirigeant fautif sans corrélation nécessaire, en théorie au moins, avec la gravité de sa faute et l’intensité du lien de causalité entre faute et dommage. Ainsi, une faute légère ayant causé, en concurrence avec d’autres, l’insuffisance d’actif peut amener le dirigeant à supporter l’intégralité de cette insuffisance.

Mais alors que le risque est connu et, normalement, assumé par le dirigeant de droit, il demeure soumis à la qualification d’une situation de direction de fait pour celui qui, sans être dirigeant de droit, est impliqué d’une manière ou d’une autre dans la gestion d’une entreprise. Le dirigeant de fait doit s’entendre comme celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion et de direction3.

Suivant en cela l’esprit des réformes successives du droit des entreprises en difficulté, qui tend de plus en plus à devenir un droit technique déchargé des aspects de sanction des dirigeants faillis, la Cour de cassation semble, au travers de plusieurs décisions récentes, opérer un strict contrôle sur la qualification de dirigeant de fait. En effet, elle n’hésite pas à sanctionner des cours d’appel trop promptes à transformer investissement financier et personnel dans le succès d’une entreprise en immixtion dans la gestion de cette dernière.

Ainsi, dans un arrêt4 remarqué, la Cour a pu réaffirmer5 avec force et clarté que les juges du fond se doivent d’établir que le soi-disant dirigeant de fait a exercé en toute indépendance une activité positive de direction de la personne morale en liquidation judiciaire. De nouveau, la Cour rappelle les deux critères cumulatifs nécessaires à la caractérisation d’une direction de fait : acte positif de gestion et indépendance du dirigeant de fait.

Le risque d’être recherché est indéniablement limité par cette interprétation jurisprudentielle mais ne doit pas être sous-estimé, compte tenu des conséquences dramatiques susceptibles de découler d’une telle qualification : comblement de l’insuffisance d’actif si une faute de gestion vient à être reprochée au dirigeant de fait, faillite personnelle ou interdiction de gérer6. De plus, la caractérisation de la direction de fait à l’encontre de celui qui aura apporté un soutien financier à l’entreprise en difficulté risque de le priver du principe d’irresponsabilité introduit en 20057.

Il doit enfin être conservé à l’esprit que si la qualification de dirigeant de fait n’est pas aisée, la caractérisation d’une faute de gestion est, elle, nettement plus facile, que l’on songe, par exemple, à l’absence de tenue de comptabilité régulière, à l’accumulation de dettes sociales et fiscales, à la poursuite d’une activité déficitaire, etc.

Le risque d’être recherché en tant que dirigeant de fait est donc sérieux même s’il ne doit pas être exagéré.

Notes

1 Cette disposition a récemment été déclarée non-applicable lorsque le débiteur est une personne physique, Com. 23 sept. 2014, n°12-35.120.

2 Théorie selon laquelle tout antécédent, sans lequel le dommage ne serait pas advenu, doit être considéré comme cause de l’entier dommage.

3 Selon la définition donnée par J.-L. Rives-Langes (in Dalloz 1975, chron. 41) et largement reprise.

4 Com. 23 sept. 2014 précit.

5 Com. 13 fév. 2007, n° 05-20.126 ; Com. 27 mars 2007, n°05-17.311 ; Com. 24 avril 2007, n°04-10050.

6 Art. L. 653-1, L. 653-3 et L. 653-8 du Code de commerce.

7 Art. L. 650-1 du Code de commerce.

 

Auteurs

Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency.

Guillaume Bouté, avocat en matière de Restructuring-Insolvency.