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Le risque pénal dans les opérations de fusion-acquisition (1) : Identification des risques pénaux dans les processus d’audit

Le risque pénal dans les opérations de fusion-acquisition (1) : Identification des risques pénaux dans les processus d’audit

Les audits d’acquisition constituent une étape cruciale du processus de rachat d’une société. Ils permettent de valider les informations financières nécessaires à la valorisation de la société cible et de mettre en exergue les forces et les faiblesses de ladite société dans les domaines juridique, comptable, financier, opérationnel, etc. A l’issue du processus d’audit, le repreneur pourra ainsi confirmer sa volonté d’acquérir ou non la société au prix et aux conditions initialement annoncés.

L’audit d’une société permet généralement de mettre en lumière des risques pouvant avoir un impact non négligeable tant (i) sur la valeur de la société et donc sur le prix d’acquisition que (ii) sur la nature et le quantum des garanties devant être consenties par le vendeur à l’acquéreur.

Depuis le 1er mars 1994, le droit pénal français reconnait la responsabilité pénale des personnes morales. L’entreprise peut être poursuivie en tant qu’entité juridique et non uniquement à travers la personne de ses dirigeants.

 

L’audit d’acquisition constitue dès lors un outil essentiel dans l’identification des potentiels risques pénaux pouvant peser sur la société cible.

 

L’anticipation des risques pénaux liés à la pratique sociale de l’entreprise absorbée

Dans le cadre de l’audit social, l’analyse porte notamment sur les conditions d’emploi des salariés (embauche, rémunération, durée du travail, recours aux contrats de travail précaires et à la main d’œuvre étrangère, etc.) ainsi que sur le respect des obligations à l’égard des représentants du personnel et de prévention en matière d’hygiène et de sécurité. La violation de ces règles de droit social est susceptible de conduire, dans certaines circonstances, à une incrimination pénale. Une attention particulière doit donc être portée à ces protections pénales de l’emploi et des salariés.

Pour favoriser l’effectivité des normes, des sanctions pénales sont prévues en cas de violation des prérogatives des représentants du personnel. Sur ce point, une revue de la représentation du personnel dans l’entreprise, des procédures de consultation mises en œuvre ainsi que des échanges avec l’inspection du travail permet d’anticiper d’éventuels risques de contentieux au titre du délit d’entrave.

De même, afin d’évaluer les risques liés au travail dissimulé ou irrégulier, l’audit de la pratique de l’entreprise en matière de durée et d’organisation du temps de travail ainsi que de recours à la main d’œuvre étrangère est indispensable. Une analyse des contrats de prestations de services s’avère nécessaire afin de s’assurer de la conformité de la pratique de l’entreprise tant au regard de la qualification du contrat de service qu’au niveau du respect des obligations de vigilance du donneur d’ordre.

Une telle démarche apparait essentielle en amont des opérations de fusion-absorption afin d’anticiper les risques d’une incrimination pénale liée à la pratique irrégulière de la société absorbée. En effet, selon la dernière jurisprudence de la Cour de cassation, la responsabilité pénale de la société absorbante est, sous certaines conditions, susceptible d’être engagée du fait d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption (1).

Notons, qu’en tout état de cause et quelle que soit la date de la fusion ou la nature de la société concernée, la responsabilité pénale de la société absorbante peut être engagée si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de soustraire la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu’elle constitue ainsi une fraude à la loi.

Cette nouvelle approche économique doit donc conduire à la plus grande prudence s’agissant notamment des risques pénaux liés à des infractions de droit social dans le cadre des opérations de fusion-absorption.

 

La désormais nécessaire prise en compte du risque pénal fiscal dans la phase d’audit de la cible

Sur le plan fiscal, les travaux de due dili¬gence ont pendant longtemps négligé le risque pénal de fraude fiscale. Difficile à identifier, soumis à une prescription de l’action publique plus longue que la période triennale habituellement contrôlée dans les audits, le risque de fraude fiscale était en outre perçu comme « théorique », l’administration fiscale réservant l’engagement des poursuites pénales aux infractions les plus lourdes.

Cette situation a cependant évolué avec la loi du 23 octobre 2018 qui a marqué la fin du monopole dont disposait l’administration dans le choix d’engager ou non des poursuites pénales pour fraude fiscale. L’administration fiscale est désormais tenue de transmettre automatiquement au procureur de la République tous les faits qui portent sur des droits dépassant un seuil de 100 000 euros et qui, par ailleurs, s’accompagnent de la pénalité de 100 %, de 80 % ou encore de 40 % en cas de manquement délibéré ou d’abus de droit (dans ce dernier cas, il faut qu’au cours des six années civiles précédant son application le contribuable ait déjà fait l’objet, lors d’un précédent contrôle, de l’une des majorations précitées).

Outre les habituelles vérifications du dépôt des déclarations fiscales dans les délais prescrits, l’audit doit intégrer une revue attentive des antécédents fiscaux de l’entreprise sur les six dernières années civiles. Une pénalité de 40 % pour manquement délibéré infligée au cours des six dernières années est susceptible de faire naître – en cas de nouvelle rectification s’accompagnant d’un rappel de droits de 100 000 euros et d’une pénalité d’au moins 40 % – un risque de dénonciation au Parquet.

D’autres diligences et précautions doivent également être mises en œuvre. On citera notamment la vérification du respect des obligations documentaires mises à la charge des entreprises pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale (vérification de la documentation de la piste audit fiable, certification du logiciel de caisse, documentation prix de transfert, « CBCR », déclarations DAC 6, documentation en matière de propriété industrielle) et la fixation d’un seuil de matérialité du risque fiscal a minima à 100 000 euros en droits.

 

Un impact non négligeable des risques identifiés sur la structure de l’acquisition

Dans l’hypothèse où des risques pénaux liés à des infractions commises par la société cible sont identifiés dans le cadre de l’audit d’acquisition, les conséquences sur l’opération de cession envisagée peuvent être de différentes natures en fonction notamment de la gravité de l’infraction identifiée et des risques d’application de la sanction.

 

S’il peut être difficile de mettre en œuvre une garantie de passif pour couvrir les risques pénaux, l’acquéreur pourra être tenté de négocier avec le vendeur une diminution du prix d’acquisition eu égard aux risques identifiés.

 

Toutefois, encore faut-il que le risque pénal puisse être précisément apprécié. En effet, si la menace d’une condamnation à une amende est aisément quantifiable, d’autres sanctions pénales sont applicables aux personnes morales (telle que la fermeture des établissements liés aux faits incriminés ou l’interdiction d’exercice une activité) et donnent lieu à une appréciation délicate du préjudice financier que l’acquéreur pourra subir.

Dans de tels cas, il pourra être souhaitable pour l’acquéreur de modifier la structuration de l’acquisition et de procéder en lieu en place de l’acquisition des titres de la société cible, à l’acquisition de ses seuls actifs, à l’exclusion de tout passif et notamment de tout passif pénal.

 

(1) Par un arrêt du 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a finalement admis « qu’en cas de fusion-absorption au sens de l’article 3, § 1, de la troisième directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978 modifiée par la directive 2009/109/CE du 16 septembre 2009 d’une société par une autre société, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération ».

 

Article publié dans la Lettre des fusions-acquisitions et du private equity du 11 octobre 2021