Le sort des produits après la rupture des relations commerciales entre un fabricant et son distributeur
La Cour de cassation vient de confirmer différentes solutions déjà consacrées, concernant les possibilités de commercialiser un produit déconditionné après la rupture d’un contrat de distribution (Cass. com., 29 septembre 2015, n°14-17.130).Les juges se sont déjà prononcés à plusieurs reprises sur le sujet, par le prisme du droit des marques. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a ainsi jugé que la commercialisation de produits reconditionnés est possible si quatre critères cumulatifs sont réunis :
- l’utilisation du droit de marque par son titulaire aurait pour seul objectif de cloisonner artificiellement les marchés des Etats membres ;
- le reconditionnement n’affecte pas l’état du produit contenu dans l’emballage ;
- les noms du fabricant du produit et de celui qui le reconditionne sont clairement indiqués sur l’emballage ;
- la présentation du produit reconditionné ne doit pas nuire à la réputation de la marque ou de son titulaire.
Le titulaire de la marque doit être informé de la mise en vente du produit reconditionné et de sa présentation dans un nouvel emballage. Si l’une des quelconques exigences ci-dessus énoncées n’est pas satisfaite, le titulaire de la marque dispose d’un droit d’opposition à la commercialisation d’un produit déconditionné (CJUE, 26 avril 2007, C-348/04 ; confirmation : CJUE, 12 juillet 2011, C-324/09).
Ces deux décisions de la CJUE ont été rendues dans l’hypothèse où un tiers déconditionnait un produit pour le vendre. La Cour de cassation a eu à trancher une situation dans laquelle le distributeur souhaitait procéder au déconditionnement afin de restituer le stock au fabricant, qui en était demeuré propriétaire, sur le fondement du contrat de distribution conclu. Le fournisseur aurait alors pu reconditionner et commercialiser les produits restitués. La société fabricante avait pourtant demandé réparation à son distributeur de la destruction des emballages des produits.
Suivant le raisonnement de la CJUE fondé sur le droit des marques, la Cour de cassation souligne que le distributeur peut tout à fait s’opposer à ce que son fournisseur commercialise, après la rupture du contrat, des produits conditionnés sous sa propre marque. En outre, le fournisseur ne répondait pas aux conditions de délivrance du marquage CE, dont bénéficiait au contraire le distributeur. Il n’aurait donc en aucun cas pu commercialiser les produits dans leur emballage d’origine. Le distributeur n’a donc commis aucune faute en procédant à leur déconditionnement.
La Cour précise que l’occultation de ces mentions – marque du distributeur et marquage CE, sur l’emballage d’origine avant commercialisation n’aurait été possible qu’avec l’accord du distributeur, qui s’y est refusé en l’espèce. Ce faisant, il a régulièrement usé du droit d’opposition consacré par la CJUE. En pratique, il est peu probable que quiconque accepte la commercialisation de produits dans des emballages occultés, eu égard au trouble d’image qui peut s’ensuivre pour le produit et la société qui le fabrique.
Pour ces deux motifs, la société fabricante ne pouvait demander réparation à son distributeur de la destruction des emballages. L’argument selon lequel la destruction du conditionnement avait rendu les produits – des dispositifs médicaux – impropres à toute commercialisation n’est pas davantage retenu, en l’absence d’élément probant. La Cour de cassation relève, à cet égard, que le fabricant n’a pas cherché à reprendre les dispositifs médicaux, restés sous emballage de protection plastique, alors même qu’ils étaient de longue date mis à sa disposition par le distributeur. Ne les ayant pas réclamés, il ne pouvait demander réparation du fait de leur dégradation.
On peut également signaler la confirmation, par la Cour de cassation, de deux solutions jurisprudentielles traditionnelles, qui aboutissent à la cassation de l’arrêt d’appel :
- en premier lieu, en l’absence d’accord exprès entre les anciens partenaires commerciaux, le distributeur n’est jamais autorisé à continuer à commercialiser les produits après la rupture du contrat (v. par exemple Cass. com., 17 janvier 1995, n°92-20.706), peu important que les quantités vendues soient faibles et répondent à des demandes ponctuelles de diffuseurs qui avaient préalablement intégré le produit concerné à leur catalogue. La concurrence déloyale n’est en effet pas caractérisée par la répétition des agissements fautifs ; une action isolée peut suffire ;
- en second lieu, la qualification de dénigrement peut être reconnue concernant l’information faite par le fournisseur à ses clients, de l’existence d’une action judiciaire en cours à l’encontre d’un distributeur (Cass. com., 12 mai 2004, n°02-16.623 et n°02-19.199), et ce même si la lettre était rédigée « en termes mesurés« . Un courrier, même purement factuel, reste donc constitutif de dénigrement lorsqu’il fait état d’une action en justice qui n’a pas encore trouvé son dénouement.
Auteur
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Hélène Chalmeton, juriste au sein du Département droit des affaires, en charge du knowledge management.