Le télétravail selon l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 : entre souplesse et pragmatisme
22 novembre 2017
Si l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a pour ambition, selon son libellé, prévisibilité et sécurisation des relations de travail, ce texte, comme ceux de même nature publiés le même jour, s’inscrit également dans un mouvement plus vaste ayant pour objectif de fluidifier le marché de l’emploi. Pour ce faire, le gouvernement a entendu adapter certaines formes particulières d’activité professionnelle salariée au nombre desquelles les contrats de travail précaires, les horaires atypiques et a mis un terme au contrat de génération dont on a pu douter de l’efficacité.
Au-delà de ce qui précède, le régime du télétravail, cinq ans après son introduction dans le Code du travail consacrant pour partie l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur ce thème, est revu par l’ordonnance précitée laquelle modifie l’article L. 1222-9 du Code du travail en s’inspirant d’un rapport remis par les partenaires sociaux en juin 2017.
Constatant à cette occasion que le gouvernement se nourrit notamment des réflexions et pistes offertes par les partenaires sociaux, la refonte du régime du télétravail est également et assurément motivée par une adaptation de la norme à l’évolution des comportements professionnels des salariés et leur aspiration à davantage d’adaptabilité de leur activité salariée à leur mode de vie, contraintes personnelles, familiales et géographiques.
Une nouvelle définition du télétravail qui s’affranchit du support contractuel individuel
La révolution se cache parfois dans les détails.
Alors même que l’article L. 1222-9 du Code du travail dans sa version en vigueur jusqu’au 24 septembre 2017 définissait le télétravail comme
« toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci »,
le premier alinéa de l’article L. 1222-9 du Code du travail modifié par l’ordonnance définit désormais le télétravail comme
« toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».
De cette nouvelle rédaction, on déduit que le télétravail occasionnel et non plus seulement régulier est visé par le Code du travail tandis que ce mode d’activité professionnelle salariée peut s’envisager sans le support d’un contrat de travail ou un avenant à celui-ci.
La mise en place d’un accord collectif ou d’une charte s’impose-t-elle ?
On aurait pu le penser s’agissant du télétravail régulier et ce à la seule lecture a contrario combinée des alinéas deux et trois de l’article L. 1222-9 du Code du travail. Ainsi, le second alinéa pose la nécessité d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte pour mettre en place le télétravail tandis que le troisième alinéa précisait qu’en l’absence d’un tel support juridique, employeur et salarié pouvaient convenir de concert de recourir au télétravail occasionnel.
On en déduisait donc qu’en dehors d’une norme collective négociée ou unilatérale, le recours au télétravail régulier ne pouvait s’appliquer.
Toutefois, un amendement à la loi de ratification des ordonnances est venu supprimer les termes « de manière occasionnelle » du troisième alinéa de l’article L. 1222-9 en vigueur depuis le 24 juillet 2017.
Partant, en l’absence d’accord collectif ou de charte, l’accord entre le salarié et l’employeur peut porter sur toutes les modalités de recours au télétravail, qu’il s’agisse de télétravail occasionnel ou régulier. Le support collectif n’est donc pas incontournable.
Dans ce contexte, on aurait pu s’interroger sur la nécessité d’élaborer une norme collective, négociée ou unilatérale si, in fine, les parties peuvent manifestement s’en passer.
Un support juridique au niveau de l’entreprise qui conserve toutefois toute sa pertinence
La conclusion d’un accord ou l’élaboration d’une charte sur ce thème demeure souhaitable.
Il ou elle permet en effet de convenir de règles stables, communes et générales impliquant, à tout le moins pour avis, les instances représentatives du personnel. Au-delà , la mise en œuvre de la norme collective revêt un caractère peu contraignant puisqu’à l’absence d’accord collectif l’on peut substituer une norme unilatérale. De surcroît, les éventuelles évolutions et adaptations de cette norme, surtout si elle est unilatérale, seront plus simples à mettre en œuvre que la modification du contrat qui prévoirait, dans le détail, le régime applicable au télétravailleur.
Un accord ou une charte au contenu défini a minima
L’accord collectif ou la charte définit au moins :
-
- les conditions de passage en télétravail et de retour à une activité sans télétravail ;
- les modalités d’acceptation du salarié ;
- les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
- la détermination des plages horaires pendant lesquelles le salarié peut être contacté.
On constate que la prise en charge de tous les coûts liés au télétravail ne figure pas au nombre des stipulations devant figurer dans l’accord collectif ou la charte.
Cependant et sur ce thème, on notera que le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance évoque ce dernier thème tandis qu’une jurisprudence constante oblige l’employeur à prendre en charge les frais exposés par les salariés pour l’exercice de leur activité professionnelle. Tant l’accord collectif que, à défaut, la charte, sera bien inspirée d’évoquer précisément ce sujet.
Enfin et au-delà du contenu prévu par le texte, l’accord ou la charte devrait assez logiquement prévoir les conditions d’éligibilité au télétravail en observant une démarche objective exclusive de toute discrimination ou abus.
Accord collectif, charte ou accord des parties : quelle formalisation individuelle ?
Il résulte des textes tel qu’amendés que ni un contrat de travail ni un avenant à ce dernier ne s’impose quel que soit le type de télétravail (occasionnel ou régulier). Pour autant, l’accord ou la charte doit prévoir « les modalités d’acceptation du salarié », tandis qu’en l’absence de règles collectives, l’accord individuel doit être formalisé « par tout moyen » selon l’article L. 1222-9 du Code du travail.
Malgré l’imprécision des textes, et compte tenu des conséquences du choix du salarié, il conviendra que l’employeur soit en mesure de se ménager une preuve incontestable de l’acceptation du salarié (et pour ce dernier de l’employeur) dans le cadre d’un accord que l’on ne peut qu’imaginer exprès et préalable. Par définition la question ne se posera pas pour les salariés déjà soumis à ce dispositif antérieurement au 24 septembre 2017, leur contrat de travail le prévoyant.
Entrée en vigueur
Le texte de l’article L. 1222-9 du Code du travail est applicable depuis le 24 septembre 2017, étant précisé que pour les salariés disposant avant cette date d’un contrat de travail prévoyant ce mode d’activité professionnelle salariée, les dispositions de l’accord ou de la charte se substituent, s’il en existe, aux stipulations contraires ou incompatibles du contrat de travail. Le salarié dispose d’un délai d’un mois à compter de la communication dans l’entreprise de l’accord ou de la charte pour refuser de voir son contrat de travail modifié.
Les textes ne tirent curieusement pas les conséquences d’un refus exprimé par le salarié. On peut dans ce cas raisonnablement penser que l’exécution du contrat de travail se poursuivra sans changement.
Article publié dans les Echos Executives le 22/11/2017
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