Le grand atout fiscal de la donation-cession de titres

29 janvier 2015
Ceux qui envisagent de gratifier leurs proches ont un intérêt fiscal à leur transmettre des titres porteurs d’une plus-value latente et qu’ils ne souhaitent pas conserver. En les donnant, le détenteur initial ne supporte aucune imposition de plus-value (elle est purgée par la donation sauf si les actions sont issues d’un plan d’attribution de stock-options ou d’actions gratuites) et peut donc donner plus, tandis que l’heureux gratifié réalisera peu ou pas de plus-value taxable s’il cède ensuite les titres qu’il a reçus.
La raison en est simple : la loi prévoit que leur prix de revient correspond à la valeur déclarée à la donation, qui est proche du prix de cession, voire égale à celui-ci. Ce faisant, une telle opération est-elle critiquable par l’administration fiscale ?
Le Conseil d’Etat, qui avait répondu négativement pour la première fois à cette question dans un arrêt du 30 décembre 2011 (n°330940 Motte-Sauvaige), est venu apporter des précisions complémentaires par plusieurs arrêts récents.
1. La donation doit précéder la cession
Le premier point d’attention est celui de la chronologie des opérations. A cet égard, il est impératif qu’une suite de transferts de propriété intervienne, de manière absolument incontestable, successivement du donateur au donataire, puis du donataire au cessionnaire.
S’agissant des cessions d’actions, cotées et non cotées, le transfert de propriété résulte de leur inscription au compte de l’acheteur (art. L228-1 du Code de commerce).
S’agissant des cessions de parts sociales (régies par le Code civil), le transfert de propriété intervient en principe, sauf stipulations contractuelles contraires, par le seul accord des parties sur la chose et sur le prix.
Les arrêts du Conseil d’Etat visés ci-après intéressent donc plus particulièrement les opérations portant sur des parts sociales (SARL, SNC, SCI).
Dans l’une des affaires, la famille concernée par la donation des titres s’étant rapprochée d’un tiers acquéreur avant la transmission des parents aux enfants, la Cour d’appel avait cru pouvoir admettre que la date de l’accord (et donc de la vente) était antérieure à la formalisation de la transmission. Selon la Cour, la date de la vente était celle à laquelle la société mère de l’acquéreur avait autorisé son cautionnement sur la base d’un nombre et d’un prix des titres (déterminés avant la transmission) identiques à ceux qui avaient été portés par la suite sur le registre des mouvements de titres (CE 19 novembre 2014 n°370564). Mais le Conseil d’Etat y voit un simple faisceau d’indices tandis que l’acte authentique qui constate la transmission des titres aux enfants porte une date (postérieure) que l’Administration ne conteste pas valablement.
Le Conseil d’Etat a aussi rappelé que lorsque la cession est assortie d’une condition suspensive (en l’espèce, la réalisation d’un audit), le transfert de propriété ne peut pas intervenir avant sa levée (arrêt du 28 mai 2014 n°359911).
En pratique, l’Administration aura donc du mal à remettre en cause la chronologie des opérations sur le terrain de la procédure contradictoire de droit commun (des affaires plus anciennes nous avaient déjà confirmé l’échec de procédures fondées sur le terrain de l’abus de droit).
2. La donation doit se traduire par le dépouillement immédiat et irrévocable du donateur
Lorsque la donation ne se traduit pas par un «dépouillement immédiat et irrévocable de son auteur» selon la formule consacrée par le Conseil d’Etat, l’Administration peut l’écarter comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de la procédure de l’abus de droit fiscal.
En pratique, l’Administration et le juge de l’impôt (et le cas échéant, le Comité de l’abus de droit) vont apprécier si le donateur s’est réapproprié le produit de la vente.
A cet égard, on relèvera, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat (arrêt du 9 avril 2014 n°35822), que la rapidité avec laquelle la cession suit la donation (en l’espèce, moins d’un mois) est sans incidence sur l’appréciation de la réalité de l’intention libérale du donateur.
En outre, une attention particulière doit être portée aux stipulations encadrant la donation.
Le Conseil d’Etat a été conduit à analyser la portée de plusieurs clauses sur l’appréciation de la réalité du dépouillement (même arrêt).
Il a ainsi admis que le donateur peut valablement assortir la donation d’une clause d’inaliénabilité des biens donnés durant la vie du donateur. De même, lorsque la donation porte sur la nue-propriété de titres, il est admis que le donateur s’octroie en tant qu’usufruitier des pouvoirs étendus de gestion et de décision au sein de ces sociétés sous réserve qu’ils n’altèrent pas l’obligation de restitution en fin d’usufruit.
Deux arrêts du Conseil d’Etat du 14 novembre 2014 (n°361482 et 369908) illustrent au contraire l’absence de dépouillement suite à une donation en démembrement (avec création d’une société de portefeuille de famille) : le donateur avait effectué des prélèvements sur le compte courant et/ou encaissé un prix de cession auquel il ne pouvait prétendre en sa qualité d’usufruitier. Les juges ont écarté les allégations selon lesquelles ces prélèvements auraient correspondu à un prêt consenti par le donataire ou au remboursement par ce dernier des droits de donation en l’absence de justificatifs probants.
Ces décisions, confirment donc que, sous réserve du respect de la chronologie et de la réalité du dessaisissement du donateur, les opérations de donation-cession constituent une voie pertinente pour transmettre un patrimoine financier en purgeant les plus-values latentes.
Auteur
Charles de Crevoisier, avocat, spécialisé en fiscalité directe
Article paru dans LeRevenu.Com le 16 janvier 2015
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