L’enregistrement clandestin par le salarié : pièce maîtresse au cœur des débats ?
24 mai 2022
« Ai-je le droit d’enregistrer mon patron à son insu pour faire valoir mes prétentions ? ».
La question de la recevabilité de ce mode preuve est un enjeu majeur du procès prud’homal. Or sa licéité est particulièrement discutable. Il n’est en outre pas sans risque pour le salarié qui l’utiliserait à mauvais escient.
Rappel des principes du droit de la preuve
Comme chacun le sait, selon l’article 1353 du Code civil : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. ».
Ainsi et selon une maxime romaine, « idem est non esse et non probari » : ne pas pouvoir prouver son droit équivaut à ne pas avoir de droit !
Or cette maxime peut conduire les parties à user de stratagèmes afin de se constituer des éléments de preuve servant à la démonstration du préjudice qui leur aurait été causé par l’autre partie du fait du non-respect de ses obligations légales ou contractuelles.
L’exigence d’une preuve loyale et légale : l’interdiction de principe de la production d’enregistrements
Le développement des nouvelles technologies au travail a été un vecteur de facilitation des échanges. Il a également introduit des moyens matériels nouveaux permettant une captation des échanges (dictaphone, téléphone portable, …), offrant ainsi la possibilité au salarié souhaitant se constituer des preuves pour alimenter son dossier, d’enregistrer les propos tenus par son employeur.
Cependant, s’il existe un principe selon lequel la preuve est libre en matière prud’homale, il n’en demeure pas moins que les éléments preuve versés aux débats par les parties ne doivent pas être obtenus frauduleusement ou de façon déloyale.
L’article 9 du Code civil prévoit en effet qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve a ainsi été consacré par la Haute juridiction qui a jugé irrecevable « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé par une partie à l’insu de l’auteur des propos » (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667).
En d’autres termes, le principe de « l’égalité des armes » interdit au requérant d’obtenir, par ruse, artifice ou stratagème, la preuve du fait qu’il invoque.
Les juges censurent en conséquence de manière constante la production d’enregistrements de conversations effectués par le salarié à l’insu de son employeur, à l’occasion :
-
- d’une conversation téléphonique (Cass. soc., 29 janv. 2008, n° 06-45.814) ;
-
- d’un entretien informel qu’il a eu avec son employeur (CA Amiens, 16 sept. 2015, n° 14/00097) ;
-
- d’un entretien de négociation d’une rupture conventionnelle (CA Montpellier, 4 juill. 2018, n° 15/00843).
Peu importe d’ailleurs que l’enregistrement n’ait pas porté atteinte à la vie privée de l’employeur, il n’en est pas moins déloyal et donc irrecevable (CA Riom, 16 mars 2021, n° 18/00482).
Aussi, un salarié ne peut valablement retranscrire et communiquer une conversation qu’il a eue avec un représentant de l’entreprise dès lors que ce dernier n’était pas averti.
En revanche, des messages écrits ou vocaux sur un téléphone mobile peuvent être utilisés par le salarié pour établir un comportement fautif de l’employeur ou, inversement, pour permettre à l’employeur de démontrer devant le juge la faute d’un salarié, dès lors que l’auteur de ces messages ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés (Cass. soc. 23 mai 2007 n° 06-43.209 ; Cass. soc., 6 févr. 2013, n° 11-23.738).
Vers un infléchissement de la jurisprudence ?
Un arrêt du 26 mars 2021 de la cour d’appel de Bourges doit à cet égard être signalé dans lequel était en cause la recevabilité d’un enregistrement clandestin des propos de l’employeur, produit par une salariée afin de prouver une discrimination à son encontre.
La Cour, dans cette affaire, constate qu’il n’apparait pas que « cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, dans la mesure où il s’agit d’une conversation entre le salarié et l’employeur, dans un cadre professionnel, avec un objet professionnel, aux termes de laquelle l’employeur se livre à des confidences utiles aux prétentions du salarié, sans pour autant qu’il en résulte un préjudice pour son interlocuteur ».
Ce faisant la Cour a précisé « que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits d’une conversation, même privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
La Cour a également relevé que l’enregistrement litigieux était intervenu « dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous et notamment de trois salariés, dont deux déclarant avoir pu en entendre des bribes » (CA Bourges, 26 mars 2021, n° 19/01169).
Ainsi, tout en soulignant que la captation avait été opérée dans un espace public, le juge s’est livré à un véritable contrôle de proportionnalité pour déterminer si l’enregistrement opéré était justifié par le salarié, comme l’y invite la jurisprudence récente de la Cour de cassation qui a admis la production d’une preuve obtenue irrégulièrement dès lors que celle-ci est indispensable à la démonstration de la vérité et qu’il n’existe pas d’autres moyens de prouver les griefs de l’employeur (1) (voir article « Le droit à la preuve de l’employeur »).
Certains pourraient y voir un certain infléchissement en matière d’enregistrement clandestin, du principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Néanmoins, une telle conclusion pourrait paraître hâtive.
Cette décision met en revanche en lumière que le juge est invité à rechercher si la preuve déloyale a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle et l’impératif des droits de la défense, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Le droit de la preuve prud’homale, sous l’influence du droit européen (CEDH, 27 oct. 1993, Dombo Beheer B.V. c/ Pays Bas, série A, n° 274) s’était déjà vu appliquer cette méthodologie dans le cas d’un salarié s’étant procuré des informations à l’insu de son employeur.
La Haute juridiction avait à ce sujet admis la recevabilité d’une telle preuve en relevant que ces éléments étaient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense (Cass. soc., 31 mars 2015, n°13-24.410).
Il serait donc présomptueux de considérer concernant les enregistrements clandestins, en conclusion de ce qui précède, que la notion de la loyauté de la preuve est une notion qui n’a plus lieu d’être, elle est simplement aménagée.
L’exigence de la loyauté de la preuve n’est pas aussi ferme dans le procès pénal
Dans le procès pénal, les juges admettent la recevabilité des preuves réunies par les parties, salarié et employeur, y compris lorsqu’elles ont été obtenues de façon déloyale. En effet et selon l’article 427 alinéa 1 du Code de procédure pénale, hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle ainsi régulièrement que rien « ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire » (Cass. crim., 28 avr. 1987, n° 86-96.621 ; Cass. crim., 27 janv. 2010, n° 09-83.395).
En outre et depuis un arrêt du 31 janvier 2012 rendu dans l’affaire Bettencourt (n° 11-85.464), les enregistrements clandestins sont désormais autorisés. La Cour estime que les enregistrements obtenus à l’insu d’une personne sont recevables en tant que preuve et ce, sans que le droit au respect de la vie privée ni même la violation du secret professionnel ne puissent valablement constituer une limite.
Quelles sont les sanctions auxquelles s’exposerait le salarié qui produirait un enregistrement clandestin ?
Sur le plan pénal, un enregistrement clandestin constitue une captation d’une conversation à l’insu de son auteur.
Or, en fonction de la nature des propos tenus, il pourrait être susceptible de constituer une atteinte portée volontairement à l’intimité de la vie privée d’autrui par la captation de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ou d’images d’une personne se trouvant dans un lieu privé sans son consentement.
Ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (C. pén., art. 226-1).
Sur le plan civil, il pourrait, par ailleurs, être soutenu que la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation (Cass. soc. 12 nov. 2020, n° 19-20.583).
Enfin et surtout, un enregistrement clandestin peut aussi produire l’effet inverse de l’objectif recherché en fonction de l’interprétation que pourrait avoir le juge selon la nature des propos tenus… et conforter l’argumentaire de la partie adverse. Il est donc essentiel d’agir avec discernement !
(1) Dans un arrêt largement diffusé (Cass. soc. 10 novembre 2021 n° 20-12.263), la Cour de cassation a jugé qu’un dispositif de vidéosurveillance, dont l’employeur n’avait pas informé ses salariés qu’il pouvait être utilisé pour les surveiller, ce dont il résultait qu’il s’agissait d’un moyen de preuve illicite, pouvait cependant être potentiellement déclaré recevable grâce au « test de proportionnalité »
A LIRE EGALEMENT
Le droit à la preuve de l’employeur (Pierre COMBES, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats)
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