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Les apports sociaux de la loi Immigration

Les apports sociaux de la loi Immigration

Les apports de la loi Immigration en droit du travail 

 

La loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration dite « loi Immigration », adoptée dans un contexte politique tendu, a consacré de nouvelles mesures sociales venant notamment renforcer les obligations de l’employeur en cas d’embauche d’un travailleur étranger.

 

Il est toutefois possible de s’interroger sur le point de savoir si ces obligations sont un gage de sécurité juridique pour les travailleurs étrangers et les employeurs ou si elles constituent en réalité un frein à l’embauche de tels travailleurs.

 

1. La mise en place d’une nouvelle procédure de régularisation pour les travailleurs étrangers employés dans des métiers dits «en tension»

 

S’il y a bien une disposition qui permet de « soulager » les employeurs souhaitant recourir à l’embauche d’un travailleur étranger, c’est celle qui met en place une procédure de régularisation à la charge des travailleurs étrangers employés dans des métiers et zones dits « en tension ».

 

En effet, avant la loi Immigration, cette procédure était à la charge de l’employeur. Celle-ci incombe désormais aux travailleurs étrangers.

 

Conformément à l’article L.435-4 du CESEDA, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an, le travailleur qui :

 

    • a exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers en tension durant au moins 12 mois consécutifs ou non, au cours des 24 derniers mois ;
    • occupe au moment de la demande un emploi relevant de la liste des métiers en tension ;
    • justifie d’une période de résidence ininterrompue d’au moins 3 années en France.

 

L’article L.414-13 du CESEDA prévoit désormais que la liste des métiers et zones dits « en tension » sera actualisée au moins une fois par an. A ce jour, elle demeure fixée par un arrêté de 2021 (1).

 

Toutefois, au début du mois de janvier 2025, Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l’Emploi, annonçait que la nouvelle liste des métiers dits « en tension » serait dévoilée fin février 2025. Les employeurs pourraient par conséquent être prochainement fixés sur ce point.

 

La délivrance des titres de séjour précités relève du pouvoir discrétionnaire du préfet. Celui-ci va notamment vérifier que l’activité professionnelle du travailleur étranger figure dans la liste des métiers en tension et prendra en compte d’autres critères tels que son insertion sociale et familiale, son respect de l’ordre public, son intégration à la Société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci ainsi qu’aux principes de la République.

 

A contrario, ne sont pas prises en compte les périodes de séjour et l’activité professionnelle qui aurait été exercée avec une carte de séjour pluriannuelle « travailleur étranger », « étudiant » ou en tant que demandeur d’asile autorisé à travailler.

 

Il est à noter que ces cartes de séjour, ne peuvent être délivrées en cas de condamnation, d’incapacité ou de déchéance mentionnée au bulletin n°2 du casier judiciaire du demandeur.

 

Les cartes de séjour délivrées dans ce cadre valent autorisation de travail et aucune demande supplémentaire ne doit être réalisée.

 

A titre de précision, cette procédure s’applique à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2026.

 

2. Un renforcement des amendes applicables aux employeurs de travailleurs étrangers dépourvus de titre de travail

 

La loi Immigration a institué une nouvelle amende administrative et a rehaussé le montant de l’amende encourue en cas d’emploi d’un salarié sans titre.

 

La mise en place d’une nouvelle amende administrative

 

La loi Immigration a créé une amende administrative dans l’objectif de remplacer les contributions versées par l’employeur à l’Office Français de l’Immigration et de l’intégration (OFII) en cas d’embauche d’un travailleur étranger.

 

Cette amende, introduite à l’article L.8253-1 du Code du travail, peut trouver à s’appliquer à l’employeur dans plusieurs cas :

 

    • en cas d’embauche, d’emploi ou de conservation à son service d’un travailleur étranger non muni d’un titre de travail l’autorisant à exercer une activité salariée en France ;
    • en cas d’embauche, d’emploi ou de conservation à son service d’un travailleur étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles mentionnées sur son titre de travail ;
    • en cas de recours aux services d’un employeur d’un travailleur étranger non autorisé à travailler.

 

Cette amende est prononcée par le ministre chargé de l’Immigration sur la base des procès-verbaux et rapports des agents de l’Inspection du travail, de l’URSSAF ou des officiers de Police judiciaire.

 

Pour fixer le montant de cette amende, le ministre chargé de l’Immigration prend en compte plusieurs critères que sont :

 

    • les capacités financières de l’auteur de l’infraction ;
    • le degré d’intentionnalité de l’auteur dans la réalisation de l’infraction ;
    • le degré de gravité de la négligence commise ;
    • les frais d’éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière (2).

 

Le montant de cette amende est, au plus, égal à 5000 fois le taux horaire du minimum garanti par travailleur étranger concerné (21100 euros en 2025). Son montant peut toutefois être majoré en cas de réitération (dans ce cas le montant maximal sera de 15000 fois le minimum garanti, soit 63300 euros en 2025).

 

Un décret n° 2024-814 du 9 juillet 2024 relatif à l’amende administrative sanctionnant l’emploi de ressortissants étrangers non autorisés à travailler et modifiant les conditions de délivrance des autorisations de travail est venu porter application des dispositions de l’article 34 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 créant cette amende administrative.

 

L’objet de ce décret était notamment de :

 

    • procéder au remplacement des contributions spéciales et forfaitaires par une amende ;
    • d’élargir le champ d’application de la sanction aux personnes ayant recours aux services d’un employeur de ressortissants étrangers non autorisés à travailler ;
    • d’opérer un transfert de compétences de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) vers le ministre chargé de l’Immigration pour la mise en Å“uvre de l’amende administrative et l’application de la solidarité financière des personnes ayant sciemment eu recours à un employeur d’étrangers non autorisés à travailler ;
    • renforcer la protection du salarié en modifiant les conditions de délivrance des autorisations de travail vis-à vis de l’employeur.

 

Le rehaussement du montant de l’amende pénale fixée en cas d’emploi d’un étranger sans titre de travail

 

Initialement fixé à 15000 euros, le montant de l’amende pénale encourue en cas d’emploi illégal d’un travailleur étranger passe à 30000 euros. Par ailleurs, la peine d’emprisonnement de 5 ans demeure en vigueur (3).

 

Lorsque cette infraction est commise en bande organisée, les peines précitées sont portées à un emprisonnement de dix ans et une amende de 200000 euros.

 

Il est à souligner que dans l’hypothèse où un employeur se verrait condamné au paiement à la fois d’une amende pénale et d’une amende administrative, le montant total des amendes est limité au maximum légal le plus élevé des sanctions encourues (4).

 

3. Une implication des employeurs dans l’apprentissage de la langue française

 

L’étranger admis pour la première fois au séjour en France ou qui entre régulièrement en France entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans révolus, et qui souhaite s’y maintenir durablement s’engage dans un parcours personnalisé d’intégration républicaine. Ce parcours a pour objectifs la compréhension par l’étranger des valeurs et principes de la République, l’apprentissage de la langue française, l’intégration sociale et professionnelle et l’accès à l’autonomie (5).

 

Les rédacteurs de la loi Immigration ont souhaité impliquer davantage l’employeur dans l’apprentissage du français des travailleurs étrangers.

 

Ainsi :

 

⇒ L’employeur peut désormais proposer dans le cadre du plan de développement des compétences des formations à destination des travailleurs étrangers permettant d’atteindre un niveau minimal en français fixé par décret (6).

 

⇒ Certains salariés peuvent par ailleurs bénéficier d’une autorisation d’absence afin de suivre une formation sur l’apprentissage de la langue française. Il s’agit des salariés dit « allophones » qui sont ceux dont la langue maternelle est une langue étrangère dans la communauté où ils se trouvent et ayant conclu un contrat d’intégration républicaine avec l’Etat.

 

Cette autorisation d’absence est considérée comme du temps de travail effectif dans la limite d’une durée qui doit être fixée par décret. A ce jour, aucun décret n’a été publié sur ce point.

 

⇒ De même, les travailleurs mobilisant leur compte personnel de formation pour réaliser des actions de formation d’apprentissage de la langue française sur leur temps de travail bénéficient de plein droit d’une autorisation d’absence dans la limite d’une durée fixée par décret (à ce jour non publié).

 

 

4. Un renforcement des conditions de renouvellement des cartes de séjour

 

La loi Immigration prévoit de nouvelles dispositions pour le renouvellement de certains titres de séjour.

 

Initialement, le CESEDA ne limitait pas le nombre de renouvellements possibles des cartes de séjour.

 

Le législateur a profité de la loi Immigration afin de consacrer un nouveau principe selon lequel il ne peut être procédé à plus de 3 renouvellements d’une même carte de séjour temporaire (7).

 

Cette nouvelle disposition s’applique à la carte de séjour temporaire « salarié ». En revanche, elle ne s’appliquera pas au renouvellement des cartes de séjour :

 

    • Travailleur temporaire ;
    • Etudiant ;
    • Stagiaire ;
    • Vie privée et familiale.

 

A titre de précision, les salariés étrangers dispensés de la signature d’un contrat d’intégration républicaine ne sont pas soumis à cette limitation.

 

De même, la loi Immigration fixe une nouvelle condition au renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle : le travailleur étranger devant désormais apporter la preuve de sa résidence habituelle en France (8).

 

Pour l’application de ces dispositions, la résidence habituelle est entendue comme le lieu dans lequel le travailleur étranger :

 

    • a transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux ;
    • séjourne pendant au moins 6 mois au cours de l’année civile durant les 3 dernières années précédant le dépôt de la demande ou, si la période du titre en cours de validité est inférieure à 3 ans, pendant la durée totale de validité du titre (9).

 

Cette condition de résidence ne s’applique pas à certaines cartes de séjour pluriannuelles : les cartes « salariés qualifiés », « talent » ou encore « travailleur saisonnier ».

 

Enfin, l’octroi des titres de séjour est désormais conditionné au respect des principes de la République.

 

En effet, l’article 46 de la loi Immigration est venu conditionner la délivrance et le renouvellement des titres de séjour à la souscription, par l’étranger, d’un contrat d’engagement au respect des principes de la République.

 

Dorénavant, l’étranger qui sollicite un titre de séjour s’engage, par la souscription d’un contrat d’engagement au respect des principes de la République, à respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers (10).

 

Il résulte de ces éléments que le champ du contrat d’engagement est donc bien plus large que le champ du contrat d’intégration républicaine.

 

∗∗∗∗

 

Comme nous venons de le voir, si l’un des objectifs de la loi Immigration est la mise en place de dispositifs facilitant l’embauche de travailleurs étrangers, d’autres mesures ont sans doute pour conséquence de constituer des obstacles importants à de telles embauches, que ce soit pour les travailleurs mais également pour les employeurs (notamment le renforcement des conditions de renouvellement des cartes de séjour et les montants des amendes administratives et pénales plus que dissuasifs).

 

En tout état de cause, il n’est pas impossible qu’une nouvelle loi Immigration voit le jour en 2025.

 

Bruno Retailleau, actuel ministre de l’Intérieur, avait fait part de son souhait de façonner une nouvelle loi Immigration en 2025 qui reprendrait les propositions faites lorsqu’il était sénateur et qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel en janvier 2024.

 

Lors de sa déclaration de politique générale du 14 janvier dernier, François Bayrou, premier ministre en poste n’a toutefois pas évoqué ce point mais celui de la réactivation du comité interministériel de contrôle de l’immigration afin de « fixer les orientations de la politique gouvernementale en matière de contrôle des flux migratoires ».

 

AUTEURS

Christophe Girard, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats Lyon

Margaux Bonnard, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats Lyon

 

(1) Arrêté MTRD2109963A du 1er avril 2021
(2) C. trav., art. L.8253-1
(3) C. trav., art. L.8256-2
(4) C. trav., art. L.8253-1 alinéa 5
(5) CESEDA., art. L.413-2
(6) C. trav., art. L.6321-1
(7) CESEDA., art. L.433-1-1
(8) CESEDA., art. L.433-1
(9) CESEDA., art. L.433-3-1
(10) CESEDA., art. L.412-7

 

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