Quand les causes de rupture du contrat de travail se succèdent
26 mai 2014
La rupture conventionnelle prime sur la résiliation judiciaire ; la démission rend sans objet l’action en résiliation judiciaire. Ces dernières précisions jurisprudentielles méritent quelques réflexions sur l’application du principe selon lequel « rupture sur rupture ne vaut ».
Les effets attachés à la rupture d’un contrat de travail diffèrent selon l’événement à l’origine de cette rupture. La durée du préavis, le bénéfice d’allocations chômage, une éventuelle indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, etc. Tous ces droits varient selon le mode de rupture du contrat de travail. Aussi, quand le contrat de travail a fait l’objet de plusieurs ruptures successives, il est impératif de déterminer la rupture qui doit prévaloir afin d’en déterminer les effets. Traditionnellement, les juges ne tenaient compte que de l’événement ayant rompu en premier le contrat de travail justifiant cela au motif qu’un contrat déjà rompu ne pouvait être rompu une seconde fois. Cette position, habituellement résumée par l’adage « rupture sur rupture ne vaut » a, en dépit de sa grande simplicité, posé des difficultés pratiques qui ont conduit la Cour de cassation à en atténuer de plus en plus la portée.
Démission puis licenciement
Si le contrat de travail s’est trouvé rompu par la volonté non équivoque du salarié de donner sa démission, la procédure de licenciement engagée postérieurement n’est en principe pas de nature à produire quelque effet.
La question s’est fréquemment posée dans l’hypothèse d’un l’employeur qui découvre, après la démission d’un salarié, alors qu’il est en cours de préavis, des agissements fautifs commis par ce dernier. Pour rompre le contrat immédiatement, l’employeur est souvent tenté de notifier un licenciement pour faute grave au salarié.
Dans cette hypothèse, la plupart du temps, les juges procèdent à la requalification de la procédure engagée contre le salarié au lendemain de sa lettre de démission et décident que celle-ci ne s’analyse pas en une procédure de licenciement mais constitue une rupture de préavis justifiée par la gravité de la faute commise par le salarié.
Cette application scrupuleuse du principe « rupture sur rupture ne vaut » a toutefois été remise en cause à quelques reprises par la Cour de cassation qui a pu juger qu’un employeur qui engage une procédure de licenciement postérieurement à la démission du salarié renonce à s’en prévaloir et qu’il lui appartient dès lors de justifier d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Soulignons toutefois que dans ces cas d’espèces, la démission du salarié était équivoque et contestée par ce dernier.
Soulignons également que la Cour de cassation ne fait pas preuve de la même souplesse vis-à -vis du principe sus énoncé lorsque la démission est équivoque du fait de l’employeur. Il a en effet été jugé qu’un employeur qui annonce ou considère comme démissionnaire un salarié en l’absence de volonté claire et non équivoque de ce dernier de démissionner, rompt le contrat de travail. Cette rupture, en l’absence d’une lettre énonçant des griefs de nature à justifier un licenciement, constitue un licenciement sans cause réelle ni sérieuse qui, en application du principe selon lequel un contrat ne peut être rompu une deuxième fois, ne peut pas être régularisée par une procédure de licenciement engagée postérieurement.
Prise d’acte puis licenciement
Le licenciement ou la lettre d’un employeur imputant la rupture aux torts du salarié postérieurement à une prise d’acte de la rupture par le salarié sont sans incidences. En effet, dans la mesure où la prise d’acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, les juges, qui ne doivent tenir compte que de l’événement ayant rompu en premier le contrat de travail, n’ont pas à examiner le bien-fondé de la rupture postérieure décidée par l’employeur.
La Cour de cassation fait application de ce principe y compris à l’hypothèse où la prise d’acte est intervenue alors que le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement. Dans la mesure où contrairement à la lettre de convocation à un entretien préalable, la présentation de la lettre de prise d’acte de la rupture rompt le contrat de travail, le contrat de travail était rompu antérieurement au licenciement et les juges doivent alors examiner la rupture comme résultant d’une prise d’acte du salarié. La prise d’acte qui intervient entre la convocation et l’entretien préalable devient ainsi un moyen pour le salarié d’empêcher le licenciement et d’éviter que les fautes ou les faits que l’employeur lui reproche soient examinés. L’instance judiciaire ultérieure devra porter sur les faits allégués par le salarié à l’encontre de l’employeur : s’ils justifient la rupture, celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, peu important que les faits invoqués à l’appui du licenciement postérieur soient de nature à le fonder ; à défaut, la rupture s’analyse en une démission. La prise d’acte en cours de procédure de licenciement peut donc être un moyen pour le salarié menacé d’un licenciement pour faute lourde ou grave d’éviter cette sanction, en prenant le risque d’être tenu pour démissionnaire.
Les juridictions administratives font la même application de ce principe. Le Conseil d’Etat juge en effet que l’Administration est tenue de se déclarer incompétente pour statuer sur la demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé postérieure à la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail.
Résiliation judiciaire puis licenciement
La demande du salarié de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur ne rompt pas immédiatement le contrat, ce dernier subsiste en effet jusqu’à ce que le juge se prononce sur cette demande. Bien plus, le contrat ne sera rompu que si la demande de résiliation judiciaire est justifiée par un manquement grave de l’employeur. A défaut, le contrat de travail se poursuit. Une des parties peut donc décider de mettre fin au contrat, notamment via un licenciement, une mise à la retraite ou encore une prise d’acte, avant que la juridiction saisie n’ait statué sur la demande de résiliation judiciaire.
La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer à maintes reprises sur les effets des licenciements intervenus postérieurement à une demande de résiliation judiciaire du contrat mais antérieurement au prononcé du juge. Procédant à une application stricte du principe « rupture sur rupture ne vaut », la Cour de cassation juge que lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Résiliation judiciaire et prise d’acte
Contrairement à une demande de résiliation judiciaire, la prise d’acte entraîne la rupture immédiate du contrat de travail, ce que le salarié peut souhaiter. Il peut donc arriver qu’après avoir saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire, un salarié prenne acte de la rupture de son contrat de travail.
Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a jugé que la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu’il reproche à l’employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail en sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant. Il s’agit là d’un écart manifeste par rapport au principe selon lequel « rupture sur rupture ne vaut ».
La Cour de cassation a précisé que dans ce cas d’espèce, le juge doit seulement se prononcer sur le bien-fondé de cette prise d’acte mais en prenant en considération aussi bien les faits invoqués à l’appui de la demande initiale en résiliation que ceux qui seraient invoqués au soutien de la prise d’acte.
Licenciement puis résiliation judiciaire
En application du principe selon lequel seule la première cause de rupture du contrat doit produire effet, une demande de résiliation judiciaire introduite postérieurement à un licenciement devrait être jugée sans objet.
C’est ce que la Cour de cassation a jugé sans pour autant la priver de tout effet. Dans cette hypothèse, la Cour considère en effet que le juge doit toutefois, pour apprécier le bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs qui étaient invoqués par le salarié à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire dès lors qu’ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation.
Il existe néanmoins une hypothèse dans laquelle une demande de résiliation judiciaire postérieure à un licenciement peut produire effet. Il s’agit du cas où le licenciement initial a été jugé nul. Le salarié demande sa réintégration. Si l’employeur refuse cette réintégration, le salarié peut alors obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Mais, dans ce cas, le salarié ne peut pas prétendre au paiement des indemnités de rupture qu’il a préalablement perçues au titre de son licenciement. Ces indemnités doivent donc être déduites du montant des indemnités de préavis et de licenciement qui lui sont dues au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail. Dans la mesure où la première rupture du contrat a été annulée, cette hypothèse procède d’une stricte application du principe « rupture sur rupture ne vaut ».
Résiliation judiciaire puis rupture conventionnelle
Confirmant une application à géométrie variable du principe « rupture sur rupture ne vaut », la Cour de cassation a jugé le 10 avril 2013 qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur une demande de résiliation judiciaire antérieure à une rupture conventionnelle.
Dans cette affaire, le salarié avait déposé en janvier 2009 une demande de résiliation judiciaire de son contrat. Trois mois plus tard, il avait conclu une rupture conventionnelle avec son employeur, homologuée par la Direccte fin mai 2009. Le salarié maintient néanmoins sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail. Pour le conseil de prud’hommes, saisi en mai 2010, cette demande est sans objet en raison de la rupture conventionnelle, dont le salarié n’a demandé l’annulation qu’en décembre 2010, soit plus d’un an après sa conclusion, c’est-à -dire hors délai. La Cour de cassation approuve : « l’annulation de la rupture conventionnelle n’avait pas été demandée dans le délai prévu par l’article L. 1237-14 du Code du travail, la Cour d’appel n’avait plus à statuer sur une demande, fût-elle antérieure à cette rupture, en résiliation judiciaire du contrat de travail devenue sans objet ».
Aussi, le salarié qui accepte une rupture conventionnelle de son contrat doit donc être conscient que celle-ci annule sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, sauf à renoncer à la rupture conventionnelle dans le délai de 15 jours ou à en contester l’homologation dans le délai d’un an.
Résiliation judiciaire puis démission
Le 30 avril 2014, la Cour de cassation a fait un nouvel écart par rapport au principe selon lequel la première cause de rupture du contrat de travail doit prévaloir. Statuant sur les effets d’une démission intervenant au cours d’une action en résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur, elle a jugé que lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, le contrat de travail a pris fin par la démission du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet.
La Cour de cassation a atténué la portée de cette décision en précisant, dans le même arrêt, d’une part que le salarié a la faculté, si les griefs qu’il faisait valoir au soutien de sa demande de résiliation judiciaire étaient justifiés, de demander la réparation du préjudice en résultant. Ainsi, dans une telle situation, le contrat de travail a bien été rompu par la démission, ce qui n’empêche pas le salarié de demander des dommages et intérêts et de les obtenir si les manquements invoqués à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire s’avéraient fondés.
La Cour a rappelé d’autre part que le salarié peut également demander la requalification de sa démission en prise d’acte. Il est en effet constamment jugé que lorsque le salarié remet en cause sa démission en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit requalifier la démission en prise d’acte s’il existe des circonstances contemporaines de la rupture qui le justifient. Dans l’hypothèse tenue d’une démission postérieure à une prise d’acte, si à la demande du salarié, la démission a été requalifiée en prise d’acte par le juge, celui-ci doit, pour l’appréciation du bien-fondé de la prise d’acte, prendre en considération les manquements de l’employeur invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la prise d’acte.
Auteur
Marie Content, avocat en droit social.
Article paru dans Les Echos Business du 26 mai 2014
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