Les dispositions de la loi Macron sur le licenciement collectif pour motif économique : une hirondelle ne fait pas le printemps
16 mars 2015
Dix-huit mois après son entrée en vigueur, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a déjà donné lieu à un contentieux abondant devant les tribunaux administratifs (TA) et les cours administratives d’appel (CAA) désormais compétents : au 1er janvier 2015, 90 décisions environ ont été rendues en première instance et en appel.
La balle est maintenant dans le camp du Conseil d’Etat qui devrait se prononcer d’ici l’été sur la trentaine de pourvois en cassation dont il est saisi.
A une seule exception près, les TA et les CAA se sont prononcés à l’intérieur du délai de trois mois imparti par le législateur. Dans l’ensemble, leurs décisions sont conformes à la lettre et à l’esprit de la loi. Quelques décisions, qui ont retenu l’attention, semblent cependant s’en écarter, qu’il s’agisse du périmètre d’appréciation des critères d’ordre des licenciements, de la validité du mandat des délégués syndicaux qui signent les accords de Plans de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) ou de la motivation des décisions des DIRECCTE.
La Délégation à l’emploi a formé systématiquement des pourvois en cassation contre les arrêts qui lui sont défavorables pour que le Conseil d’Etat fixe, le plus vite possible, la jurisprudence.
Le Gouvernement a néanmoins, sans attendre l’issue de ces recours en cassation, introduit dans la loi Macron un certain nombre de dispositions dans un objectif de sécurisation de la loi.
Bien mal lui en a pris : les dispositions amendées en première lecture par l’Assemblée Nationale compliquent parfois la procédure plus qu’elles ne la simplifient. J’en donnerai trois exemples.
Le premier est relatif au périmètre d’appréciation des critères d’ordre des licenciements. Bien que la rédaction de la loi du 13 juin 2013 soit très claire sur ce point, la CAA de Versailles a jugé, dans un arrêt Mory Ducros du 22 octobre 2014, que le document unilatéral de l’employeur ne pouvait pas déroger au niveau de l’entreprise pour apprécier ces critères. L’article 98 du projet de loi Macron a prévu en conséquence de compléter l’article L. 1233-5 du Code du travail par un alinéa ainsi rédigé :
«Pour les entreprises soumises à l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé par l’accord collectif mentionné à l’article L. 1233-24-1 ou par le document unilatéral mentionné à l’article L. 1233-24-4 à un niveau inférieur à celui de l’entreprise.»
Mais le texte voté en première lecture par l’Assemblée Nationale a complété cet alinéa d’un nouvel alinéa ainsi rédigé:
«Dans le cas d’un document unilatéral, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emploi. Les conditions d’application de l’avant-dernier alinéa sont définies par décret.»
Contrairement à la loi de sécurisation de l’emploi, ce texte ne permet donc plus à un document unilatéral d’apprécier les critères d’ordre des licenciements au niveau de l’établissement mais plus au niveau du bassin d’emploi, ou plus précisément de la «zone d’emploi», notion définie par l’INSEE et qui devra faire l’objet d’un décret d’application.
Un deuxième exemple est relatif à l’obligation de reclassement au niveau du groupe. Une première disposition (article 100 I), votée conforme par l’Assemblée Nationale, précise fort opportunément la rédaction de l’article L 1233-4 du Code du travail pour remplacer une obligation de reclassement «dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient» par une obligation de reclassement «sur les emplois disponibles situés sur le territoire national, dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie».
Le projet de loi Macron réécrivait, par ailleurs, l’article L 1233-4-1 pour indiquer que «Le salarié dont le licenciement est envisagé a accès sur sa demande à la liste précise des offres d’emploi situées hors du territoire national disponibles dans l’entreprise ou dans les autres entreprises du groupe auquel elle appartient.» Or l’Assemblée Nationale a, à la fois précisé et alourdi cette obligation en votant un texte beaucoup plus complexe qui dispose :
«Lorsque l’entreprise ou le groupe dont l’entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l’employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L’employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises. Les modalités d’application du présent article, en particulier celles relatives à l’information du salarié sur la possibilité dont il bénéficie de demander des offres de reclassement hors du territoire national, sont précisées par décret.»
Un dernier exemple est relatif à l’appréciation du contenu du PSE par l’Administration pour les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire. Le projet de loi initial (article 101) prévoyait que, par dérogation au 1° de l’article L 1233-57-3 du Code du travail, le contenu du PSE était apprécié, dans ce cas, au regard des moyens dont dispose l’entreprise et non le groupe auquel elle appartient. Le texte voté par l’Assemblée Nationale est largement revenu sur cette simplification par une rédaction qui, si elle subsiste, pourrait poser de redoutables problèmes d’application : «Par dérogation au 1° de l’article L. 1233-57-3, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l’administrateur, le liquidateur ou l’employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l’employeur appartient pour l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi, l’autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l’emploi après s’être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l’entreprise.»
On peut penser que les décisions du Conseil d’Etat auraient abouti, au moins dans les deux premiers cas, à des solutions plus simples et plus claires.
Alors, intervention du juge ou du législateur ? Mieux vaut, dans certains cas, laisser le juge statuer et ne recourir à la loi que si besoin est.
Auteur
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat, Of Counsel, Département social.
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