Les mutations différées face à la domanialité publique
Il est en principe impossible de se porter acquéreur d’un bien relevant du domaine public des personnes publiques en raison de son inaliénabilité.Toutefois, des contrats ayant pour objet une mutation différée ont été rendus possibles par le législateur et la jurisprudence. En réalité, il s’agit moins de déroger au principe de l’inaliénabilité des biens du domaine public que de sécuriser un processus de désaffectation et de déclassement, autrefois laissé à la discrétion de l’Administration, au bénéfice des acquéreurs potentiels.Â
Les biens du domaine public sont affectés à l’usage direct du public ou au service public (article L.2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques – C3P), ce qui justifie leur
inaliénabilité (art. L.3111-1).
A ce titre, leur cession n’est possible que s’ils ont été préalablement désaffectés de leur usage public, puis déclassés par un acte exprès (article L.2141-1).
Seul ce transfert dans le domaine privé de la personne publique permet leur cession ou la conclusion de droits de nature civile, qui seraient à défaut nuls.
Si ce processus reste la norme, l’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a ouvert des possibilités nouvelles de déclassement ou de désaffectation anticipés permettant d’envisager des cessions ou des promesses de vente de biens du domaine public sous conditions résolutoires ou suspensives.
Premièrement, l’article L.2141-2 du CG3P permet désormais aux collectivités territoriales de constater par anticipation le déclassement d’un bien, sous réserve que sa désaffectation intervienne dans un délai de trois ans ou de six ans lorsqu’elle dépend de la réalisation de constructions. Ce bien du domaine public déclassé de manière anticipée peut ainsi être cédé, moyennant une condition résolutoire selon laquelle, dans le délai convenu, le bien ne devra plus être affecté au service public ou à l’usage direct du public.
Cette clause résolutoire pèsera comme une épée de Damoclès sur les épaules du cocontractant de l’Administration, d’autant qu’elle s’articule avec des conditions spécifiques : clauses organisant la désaffectation du bien, étude d’impact, délibération spéciale. Seule garantie : la convention doit prévoir les conditions dans lesquelles l’acquéreur sera indemnisé en cas de résolution de la vente.
Deuxièmement, l’article L.3112-4 du CG3P encadre désormais une possibilité reconnue par la jurisprudence : la promesse de vente ou d’attribution d’un droit réel civil sur un bien du domaine public (CE, 15 novembre 2017, commune d’Aix-en-Provence, n°409728). Dans ce cas, la collectivité doit préalablement décider la désaffectation du bien, laquelle ne prendra effet que dans un délai fixé par la promesse pour des raisons tenant aux nécessités du service public ou de l’usage direct du public. On comprend que, dans ce cas, la mutation du bien est différée, conditionnée à son déclassement ultérieur.
La personne publique conserve la possibilité de ne pas exécuter la promesse pour un motif tiré de la continuité des services publics ou de la protection des libertés, impliquant le maintien du bien dans le domaine public. Là encore, dans ce cas, le bénéficiaire de la promesse sera indemnisé.
Ainsi, ces dispositions peuvent ouvrir le champ à de nouveaux montages contractuels sur le domaine public tels que des locations avec option d’achat. Ces montages comportent en effet un contrat de location et une promesse de vente, qui est désormais possible dans les conditions rappelées ci-dessus sur un bien du domaine public. Le cocontractant de l’Administration devra néanmoins garder à l’esprit que ces contrats paraissent relever d’un régime exorbitant de droit public, ce qui implique, en cas de litige, la saisine du juge administratif a priori soucieux des intérêts de l’Administration.
Auteurs
Yves Delaire, avocat associé, Droit public, CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats
Benjamin Achard, avocat, Droit public, CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats