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Les prix de transfert en Afrique, si loin et si proches du Manuel ONU : l’exemple de la Côte d’Ivoire

Les prix de transfert en Afrique, si loin et si proches du Manuel ONU : l’exemple de la Côte d’Ivoire

Nous poursuivons notre tour du monde des pratiques des Etats en matière de prix de transfert, et nous intéressons plus particulièrement à la première puissance d’Afrique francophone subsaharienne, la Côte d’Ivoire.

L’objectif du Manuel ONU est de définir une approche des prix de transfert adaptée aux réalités des pays en développement. Il s’avère particulièrement utile à la compréhension des enjeux et des problématiques liés au contrôle des prix de transfert dans ces pays.

La dernière partie du Manuel est consacrée à l’examen des législations et pratiques des administrations fiscales dans six différentes juridictions dont, en ce qui concerne le continent africain, l’Afrique du Sud et, nouveauté de la dernière édition parue en 2021, le Kenya. Mais qu’en est-il des législations et pratiques dans les pays d’Afrique francophone ?

Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire, première puissance économique d’Afrique francophone subsaharienne et l’une des destinations les plus attractives pour les investissements directs étrangers en Afrique.

Une difficile application du principe de pleine concurrence

Bien que cela ne soit pas expressément énoncé, la Côte d’Ivoire applique le principe de pleine concurrence. Pour autant, ni la législation, ni la doctrine administrative n’indiquent les méthodes préconisées et leurs conditions d’application.

Les défis soulevés en matière de disponibilité de comparables africains et d’acceptabilité de l’utilisation de comparables étrangers avec les ajustements qu’ils impliquent sont aujourd’hui bien connus.

En pratique, les entreprises sont contraintes d’être pragmatiques et de fournir un effort important de pédagogie vis-à-vis de l’administration fiscale afin de limiter les risques de redressements. De son côté, il n’est pas rare que celle-ci utilise des données obtenues à la suite de contrôles effectués auprès d’autres contribuables, rendant ainsi difficile le débat contradictoire.

S’agissant des services, il n’existe pas en Côte d’Ivoire, de même que dans la plupart des pays d’Afrique francophone, de règles spécifiques adaptées aux services à faible valeur ajoutée. L’administration fiscale ivoirienne est très attentive aux rémunérations de services versées à des sociétés liées et s’assure, à l’occasion des contrôles, qu’elles sont réelles et justifiées. Les préconisations du Manuel ONU (de même que des principes directeurs de l’OCDE) à cet égard sont essentielles : démontrer l’avantage obtenu par la société bénéficiaire, isoler les activités exercées en qualité d’actionnaire, éviter les situations dans lesquelles les services fournis font double emploi etc.

Le temps des facturations basées sur un pourcentage du chiffre d’affaires de l’entité bénéficiaire est désormais révolu. La méthode fondée sur les coûts est généralement privilégiée. Lorsque les services à facturer ont été rendus à l’ensemble des entités du groupe, il conviendra d’appliquer une clé de répartition adaptée à chaque typologie de services (ex. effectifs pour les ressources humaines ou nombre d’ordinateurs pour les services informatiques).

Des exigences croissantes en matière de transmission d’informations

Les entreprises installées en Côte d’Ivoire et qui ont des liens de dépendance, de droit ou de fait, avec des entreprises situées hors de Côte d’Ivoire et avec lesquelles elles réalisent des transactions sont tenues de produire, à l’appui de leur déclaration annuelle de résultats, un état des transactions internationales intragroupe (ETII). Le texte ne fait pas de distinction quant à la taille des entreprises ou le montant des opérations concernées, contrairement aux préconisations du Manuel destinées à alléger les coûts de conformité des entreprises.

Initialement composé de deux parties (une description générale des structures juridiques et opérationnelles du groupe et une présentation générale des opérations réalisées avec les entreprises associées au cours de l’exercice), l’ETII doit également mentionner, depuis la loi de finances pour 2022, la méthode employée par le contribuable pour la détermination de ses prix de transfert.

La sanction en cas de non-production de cet état ou de production d’une documentation incomplète est significative puisqu’au-delà d’une amende de 4500 €, les entreprises risquent le rejet de la déduction des sommes comptabilisées en charge (et non plus seulement payées) au titre des opérations concernées.

Le droit ivoirien ne prévoit pas, par ailleurs, d’obligation de tenir à la disposition de l’administration fiscale une documentation de prix de transfert. Il est seulement précisé que lorsque l’administration fiscale a réuni, au cours d’un contrôle fiscal, des éléments faisant présumer qu’une entreprise a opéré un transfert indirect de bénéfices, elle peut demander à cette dernière des informations précises en matière de prix de transfert. En pratique, il est tout de même recommandé de préparer une documentation contenant un fichier principal et un fichier local afin d’anticiper de telles demandes et surtout de permettre à l’administration de disposer d’éléments suffisants pour appréhender la politique de prix de transfert retenue, avec le plus d’explications possibles sur la méthode retenue, les comparables sélectionnés et éventuels ajustements appliqués.

Depuis la loi de finances pour 2018, la documentation prix de transfert comprend également une déclaration « pays par pays », l’administration fiscale ayant pris soin de préciser dans sa doctrine que les données de cette déclaration ne seront pas utilisées comme base des redressements mais serviront à alimenter la bonne compréhension de la politique de prix de transfert.

Enfin, la Côte d’Ivoire a récemment introduit l’obligation pour les sociétés de tenir à jour un registre de leurs bénéficiaires effectifs, à présenter à toute réquisition de l’administration fiscale, afin de lui permettre l’identification de leurs propriétaires légaux et d’établir des liens de dépendance et de contrôle.

Des dispositifs particuliers visant les transactions financières

Le droit ivoirien ne fait pas référence à la notion de pleine concurrence s’agissant des transactions financières intragroupe. Cela étant, la déductibilité des intérêts servis à des entités liées en rémunération de prêts ou d’avances est notamment subordonnée au respect des conditions suivantes :

  • le montant des sommes prêtées ne peut excéder le montant du capital social de la société emprunteuse,
  • le montant total des intérêts servis ne peut excéder 30 % du résultat avant impôts, intérêts, dotations aux amortissements sur immobilisations et provisions,
  • le taux d’intérêt n’excède pas le taux moyen des avances de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest majoré de 2 points (soit actuellement 6 % au total),
  • le remboursement des sommes doit intervenir dans un délai de 5 ans suivant leur mise à disposition.

Oui à la procédure de règlement amiable mais non à l’arbitrage

Il n’existe pas, dans le dispositif fiscal ivoirien, de dispositions spécifiques sur les accords préalables en matière de prix de transfert.

En cas de différend international, le recours à la procédure amiable est prévu dans les conventions fiscales conclues par la Côte d’Ivoire, notamment avec la France, la Suisse ou le Royaume-Uni. Aucune instruction administrative ou publication officielle n’indique cependant les règles et procédures applicables en la matière.

La prochaine entrée en vigueur en Côte d’Ivoire de l’Instrument Multilatéral élaboré par l’OCDE apportera un certain cadre à la mise en œuvre de la procédure amiable. Par ailleurs, les ajustements corrélatifs permettant d’éviter les doubles impositions seront possibles, au moins en théorie, la Côte d’Ivoire en ayant accepté le principe tel que prévu à l’article 17 de l’Instrument Multilatéral.

En revanche, la Côte d’Ivoire n’a pas choisi d’adopter le recours à l’arbitrage obligatoire et contraignant pour la résolution des différends relatifs aux conventions fiscales. En cas d’échec de la procédure amiable, le contribuable ne disposera par conséquent d’aucun recours.

A l’instar de nombreux pays d’Afrique, l’exemple de la Côte d’Ivoire illustre le contraste entre l’introduction de règles en matière de prix de transfert relativement conformes aux standards internationaux tels qu’ils figurent dans le Manuel ONU et des modalités d’application source d’incertitudes pour les contribuables.

S’il est indéniable que l’administration fiscale ivoirienne est aujourd’hui formée en la matière (elle peut même solliciter l’assistance d’agents vérificateurs fiscaux étrangers ou d’experts internationaux lors des contrôles qu’elle effectue), il n’en demeure pas moins que des règles et lignes directrices précises doivent être adoptées pour favoriser un dialogue plus apaisé avec les contribuables.

Auteurs

Deana d’Almeida, avocate associée, Responsable de la pratique fiscale – Africa Practice

Kevin Lounana, avocat