Les règles régissant l’emploi des salariés étrangers au Maroc
18 septembre 2015
Qu’ils soient immatriculés dans leurs consulats ou non, le nombre des ressortissants étrangers établis au Maroc a connu une nette progression ces dernières années et le Maroc a tendance à devenir un véritable pays d’immigration.
En premier lieu, il convient de rappeler que les étrangers désireux de travailler au Maroc sont, à l’instar des marocains, soumis à la législation nationale régissant les relations de travail, en l’occurrence, la loi n°65-99 formant Code du travail. Toutefois, ce principe doit être tempéré en pratique.
Le Code du travail dispose que tout employeur désireux de recruter un salarié étranger doit obtenir une autorisation de l’autorité gouvernementale chargée du travail apposée sur le contrat de travail d’étranger (« CTE »1).
Le CTE se présente sous forme d’un formulaire administratif d’une feuille avec des informations à mentionner au recto et au verso. Une fois ce formulaire renseigné et transmis au ministère de l’Emploi, ce dernier appose ou non son autorisation (i.e. visa) en bas du verso de cet imprimé. Les dates du visa du ministère de l’Emploi indiquent le début et la fin de l’autorisation. Toute modification ultérieure du contrat (salaires, conditions de travail et surtout modification de la durée de contrat, démission, résiliation, licenciement ou encore changement d’employeur) est également soumise aux mêmes formalités d’obtention du visa du ministère de l’Emploi.
Le contrat de travail réservé aux étrangers doit donc être conforme au modèle fixé par l’autorité gouvernementale chargée du travail et doit stipuler qu’en cas de refus de l’octroi de l’autorisation du ministère de l’Emploi, l’employeur s’engage à prendre en charge les frais du retour du salarié étranger dans son pays d’origine ou au pays où il résidait avant son arrivée au Maroc.
Dans l’hypothèse où un employeur marocain ferait travailler un salarié étranger sans avoir
respecté les obligations décrites ci-dessus, l’employeur est puni d’une amende de 2 000 à 5 000 dirhams (1000 dirhams = 92 euros) par contrat non visé, conformément à l’article 521 du Code du travail.
Ces précisions étant apportées, il convient de s’interroger au sujet de la nature juridique du CTE. En d’autres termes, le CTE est-il un contrat à durée déterminée ou s’agit-il au contraire d’un contrat à durée indéterminée ? Par ailleurs, quelles sont les conséquences juridiques liées à la rupture d’un tel contrat ? C’est à ces deux questions que nous allons tenter de répondre.
Etat de la jurisprudence marocaine en matière de contrat de travail étranger
Les juges marocains assimilent le CTE à un Contrat à durée déterminée (CDD).
En effet, les juges considèrent, sur la base de l’article 516 du Code du travail, le visa comme une condition d’existence du contrat de travail conclu entre un employeur marocain et un étranger. Pour cette raison, sauf renouvellement du visa sur un nouveau CTE, la relation de travail prend fin à l’échéance du visa et rend les parties (i.e. employeur et employé) libres l’une vis-à-vis de l’autre à ce moment précis et ce, abstraction faite de l’existence, en parallèle, d’un véritable CDI et/ou de l’indication, sur le CTE, que le salarié étranger est recruté pour une durée indéterminée.
Ce formalisme préalable à la conclusion du contrat est d’ordre public, de sorte que son inobservation entraîne la nullité du contrat de travail conclu avec un étranger.
La Cour de cassation2 ainsi que les juridictions inférieures ont eu à confirmer ce principe à maintes reprises. Sans être exhaustif, l’on citera ci-dessous un certain nombre de décisions des juridictions précitées :
Ainsi, la Cour de cassation marocaine a décidé que : « Le visa des autorités gouvernementales chargées du travail est obligatoire pour l’existence du contrat de travail, et ne constitue pas une simple formalité. En conséquence, l’on ne peut y déroger, même si le salarié prouve qu’il a travaillé au sein de l’entreprise pendant des années. L’arrêt attaqué est fondé, en ce qu’il n’a pas apprécié les causes fixées dans la lettre de licenciement après avoir considéré que le contrat de travail des salariés étrangers qui ne porte pas le visa est nul et non avenu« 3.
En conséquence, la jurisprudence marocaine exclut, s’agissant des contrats de travail d’étranger, l’application de la règle prévue par l’article 17 du Code du travail qui dispose que : « le contrat conclu pour une durée maximum d’une année devient un contrat à durée indéterminée lorsqu’il est maintenu au-delà de sa durée« .
Une telle décision constitue une position constante de la Cour de cassation comme l’a réitéré dans son arrêt n°1074 du 21/10/2003 ayant confirmé la qualification du CTE en CDD, du fait de la nécessité de reproduire des visas successifs délivrés par le ministère de l’Emploi rendant inapplicable le régime du CDI à de tels contrats.
S’agissant des juridictions de second degré, il convient notamment de noter l’arrêt n°3499 rendu par la cour d’appel de Casablanca le 5 avril 2004 considérant que : « attendu que le salarié est un étranger, que ces contrats sont conclus pour une durée limitée qui prennent fin à l’expiration de la durée pour laquelle ils ont été conclus, qu’ils conservent ce caractère quand bien même ils auraient été renouvelés à l’expiration de la durée autorisée. Chaque période est indépendante de celle qui l’a précédée« .
Enfin, signalant cette décision n°3256 rendue par le tribunal de première instance de Casablanca en date du 24 Avril 2008, par laquelle il a été décidé que : « attendu que le contrat de travail d’étranger est soumis à la condition d’obtention du visa du ministère de l’Emploi, cette condition le range dans la catégorie des contrats à durée déterminée, et de ce fait, il prend fin à l’arrivée du terme dudit visa et rend ainsi les deux parties libres de tout engagement l’une vis-à-vis de l’autre« .
La juridiction précitée avait également considéré par un jugement en date du 22 octobre 2008 que : « En matière de contrats de travail d’étrangers, le visa délivré par le ministère de l’Emploi est une disposition prescrite à peine de nullité. Le salarié étranger qui a continué à travailler après la date d’expiration du visa, est considéré comme en situation irrégulière et ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 2 du dahir du 15 novembre 1934 qui concerne la modification du contrat de travail et non le renouvellement. »
En conséquence, dans l’hypothèse où un salarié étranger occuperait une fonction salariée sans avoir au préalable obtenu le visa du ministère de l’Emploi, ce salarié est alors considéré en situation irrégulière et nous rappelons que le principe selon lequel la preuve du contrat de travail peut être rapportée par tous les moyens4 est écarté par les juges marocains dès lors qu’il s’agit d’un salarié étranger. Le seul document contractuel qui fait foi dans une relation de travail liant un employeur marocain à un étranger est le CTE.
Conséquences de la qualification du CTE en cas de rupture de la relation de travail
- Refus de renouvellement du CTE
Etant assimilé à un CDD, l’employeur, tout comme le salarié, peuvent, sans motivation, refuser de renouveler le CTE. Ce dernier s’achève automatiquement à l’échéance du visa mentionné sur ledit CTE. Aucun dédommagement n’est dû en raison de son non-renouvellement. Chaque visa est indépendant de celui qui l’a précédé. Si la relation contractuelle se poursuit à l’échéance du terme du CTE, cette relation doit selon nous être considérée comme inexistante, dès lors que le seul document légal qui fait foi aux yeux des juges est le CTE.
- Rupture du CTE en cours de validité
Dans la mesure où la jurisprudence marocaine considère que les CTE sont des CDD, ce sont les règles de rupture du CDD qui lui sont applicables (article 33 du Code du travail).
Ainsi, toute rupture anticipée du CTE par l’une des parties, non motivée par la faute grave de l’autre partie ou par un cas de force majeure, donne lieu à des dommages et intérêts dont le montant équivaut au montant des salaires correspondant à la période allant de la date de la rupture jusqu’au terme fixé par le contrat. En revanche, aucune indemnité de préavis ne serait due dans la mesure où le respect d’un délai de préavis ne concerne que les CDI (article 43 du Code du travail).
Enfin, en ce qui concerne l’indemnité de licenciement, celle-ci n’est pas due dans la mesure où les juridictions marocaines considèrent que le salarié étranger est lié par un contrat de travail à durée déterminée, alors qu’en vertu de l’article 52 du Code du travail, cette indemnité n’est due qu’au profit des salariés liés par un CDI.
En conclusion, il apparait que les salariés étrangers travaillant au Maroc ne sont pas exactement régis par les règles du Code du travail s’appliquant aux salariés marocains. Cette différence doit également être appréciée sous le prisme des conventions internationales en matière de sécurité sociale, d’établissement et d’emploi en vigueur avec le Maroc, ces conventions peuvent parfois contenir des dérogations ou des facilités.
Notes
1 Article 516 du Code du travail
2 Le législateur a changé la dénomination de la Cour Suprême en Cour de cassation par le biais de la Loi n°58-11 en date du 25 octobre 2011. BO n° 5989
3 Cass. soc., 23 sept. 2009 , dossier n° 1256/5/1/2008 : Bull. de la C. sup. n°7, éd. 2011, p. 28 et s.
4 Principe énoncé par l’article 18 du Code du travail
Auteurs
Marc Veuillot,, avocat, responsable CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc
Ibrahim Douhmad, juriste, CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc
Les règles régissant l’emploi des salariés étrangers au Maroc – Avis d’experts paru dans L’Usine Nouvelle Marco du 15 septembre 2015
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