Les travailleurs des plateformes de mobilité désigneront leurs représentants au printemps 2022 !
4 mai 2021
Après deux arrêts retentissants ayant conclu à la requalification en contrat de travail de la relation contractuelle liant un livreur de repas à la plateforme Take Eat Easy (Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079) et un chauffeur VTC à la plateforme Uber (Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316), le Gouvernement a demandé à l’ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, Jean-Yves Frouin, de formuler des propositions « en vue de sécuriser juridiquement les relations contractuelles et les contrats collectifs conclus entre les plateformes et les travailleurs » et de renforcer le socle de droits de ces derniers.
A la suite de la remise du rapport Frouin sur la régulation des plateformes numériques de travail le 1er décembre 2020 et en application de l’article 48 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités autorisant le Gouvernement à déterminer par ordonnance les modalités de représentation des travailleurs des plateformes, l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 fixe les modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et les conditions d’exercice de cette représentation aux articles L.7343-1 à L.7345-6 du Code du travail.
En outre, un décret n° 2021-501 du 22 avril 2021 précise les indicateurs relatifs à la durée d’activité et aux revenus d’activité des travailleurs que les plateformes devront, en application de l’article L.1326-3 du Code des transports, publier sur leur site Internet à compter du 1er mars 2022. Focus sur ces principales mesures.
Création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE)
L’ordonnance du 21 avril 2021 crée l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), établissement public administratif, qui a pour mission de réguler les relations sociales entre les plateformes de mise en relation par voie électronique et les travailleurs qui leur sont liés par un contrat commercial en diffusant des informations et en favorisant la concertation. Son action s’exerce sur l’ensemble des plateformes et n’est pas limitée aux seules plateformes de mobilité, même si la détermination des organisations représentatives de travailleurs indépendants ne concerne, pour l’instant, que celles-ci.
Missions de l’ARPE
Sous la tutelle du ministre chargé du travail et du ministre chargé des transports, les missions de l’ARPE s’exercent en cinq axes principaux :
-
- fixer la liste des organisations représentatives des travailleurs après avoir organisé le scrutin servant à mesurer l’audience au niveau national tous les quatre ans ;
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- assurer le financement des formations des représentants ainsi que l’indemnisation de leurs jours de formation et heures de délégation ;
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- promouvoir, faciliter et accompagner les représentants des travailleurs de plateformes dans l’instauration du dialogue social et l’organisation des cycles électoraux ;
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- autoriser la rupture des relations commerciales entre les plateformes et les travailleurs disposant d’un mandat de représentation ;
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- collecter des statistiques auprès des plateformes sur leur activité et celle de leurs travailleurs afin de les mettre à disposition des organisations représentatives.
L’ARPE peut demander communication de tout document nécessaire à l’exercice de ses missions, notamment pour l’examen des demandes d’autorisation de rupture des contrats commerciaux des représentants des travailleurs, ainsi que l’audition de toute personne susceptible de contribuer à son information.
Composition et fonctionnement de l’ARPE
L’ARPE est administrée par un conseil d’administration composé de représentants de l’Etat, un député et un sénateur, des représentants des organisations de travailleurs représentatives au niveau des secteurs et des représentants des plateformes ainsi que des personnalités compétentes en matière d’économie numérique, de dialogue social ou de droit commercial. Son président et son directeur général sont nommés par décret.
Le financement des missions de l’ARPE est assuré par une taxe acquittée par les plateformes dont le taux et l’assiette sont fixés par la loi de finances.
Un décret à paraître fixera les modalités d’organisation et de fonctionnement de l’ARPE ainsi que les modalités de fonctionnement de son conseil d’administration dans l’attente de la désignation des représentants des organisations de travailleurs représentatives.
Représentation des travailleurs des plateformes et dialogue social
L’ordonnance organise la représentation des travailleurs des plateformes de mise en relation numérique dans les secteurs d’activités de conduite d’un véhicule avec chauffeur (VTC) et de livraison de marchandises utilisant un véhicule à deux ou trois roues.
Organisations représentatives des travailleurs des plateformes
Les organisations représentant les travailleurs des plateformes peuvent être des syndicats professionnels et leurs unions ainsi que les associations constituées régulièrement conformément à la loi du 1er juillet 1901 dont l’objet social couvre ces activités et dont les critères de représentativité sont presque identiques à ceux qui sont applicables aux organisations syndicales de salariés :
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- respect des valeurs républicaines ;
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- indépendance ;
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- transparence financière ;
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- ancienneté minimale d’un an (au lieu de deux pour les organisations de salariés) dans le champ professionnel des travailleurs concernés appréciée à la date de dépôt des statuts donnant vocation à l’organisation de représenter ces travailleurs ;
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- audience minimale de 8 % des suffrages exprimés ;
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- influence déterminée principalement d’après l’activité et l’expérience de l’organisation ;
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- effectifs d’adhérents et cotisations.
A l’instar de ce qui est prévu pour la mesure d’audience des organisations syndicales de salariés dans les très petites entreprises (TPE), la mesure de l’audience sera effectuée sur la base d’un scrutin sur sigle réalisé tous les quatre ans par l’ARPE au niveau national.
Sont électeurs les travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation qui justifient d’une ancienneté de trois mois, appréciée au premier jour du 4e mois précédant la date du scrutin. Sont uniquement pris en compte les mois au cours desquels les travailleurs ont effectué au moins cinq prestations au cours des six mois précédents.
En pratique, le scrutin se fera à tour unique au moyen d’un vote électronique et chaque travailleur disposera d’une voix. La liste des organisations représentatives est ensuite arrêtée au nom de l’Etat par l’ARPE.
Le premier scrutin visant à déterminer la liste des organisations représentatives des travailleurs devra être organisé par l’ARPE avant le 31 décembre 2022, et la liste des organisations représentatives sera arrêtée avant le 30 juin 2023. Pour ce premier scrutin, le seuil d’audience requis sera abaissé à 5 %.
Le deuxième scrutin visant à déterminer l’audience devra être réalisé dans les deux années suivant la date du premier scrutin. Pour ces deux premiers scrutins, l’ancienneté minimale de l’organisation dans le champ considéré sera également abaissée à six mois, et leur influence sera appréciée exclusivement au regard de leur activité.
Un décret en Conseil d’Etat à venir déterminera les modalités de candidature des organisations syndicales ainsi que les modalités d’organisation et de déroulement du scrutin, d’information préalable des travailleurs et des plateformes et de confidentialité du vote.
Représentants des travailleurs
Les organisations représentatives désignent des représentants dont le nom est communiqué aux plateformes auxquelles ils sont liés par contrat. Ces représentants bénéficient également de jours de formation et d’heures de délégation. Le nombre de représentants à désigner, ainsi que le nombre maximal de jours de formation et d’heures de délégation seront fixés par décret en Conseil d’Etat.
A l’instar de la protection accordée aux représentants des salariés, il est institué une protection au profit des travailleurs des plateformes contre le risque de rupture du contrat commercial.
Ainsi, la procédure de rupture du contrat commercial des représentants des travailleurs indépendants doit faire l’objet d’une autorisation préalable de l’ARPE qui s’assure que la rupture du contrat est sans rapport avec les fonctions représentatives.
Cette autorisation est également requise pour les travailleurs dont l’imminence de la désignation est connue de la plateforme ainsi que durant les six mois suivant la fin du mandat. Un décret fixera les conditions dans lesquelles la demande d’autorisation devra être adressée à l’ARPE.
En cas de faute grave, la plateforme peut suspendre provisoirement les relations commerciales avec le représentant des travailleurs jusqu’à la décision de l’ARPE. En cas de refus d’autorisation, le contrat reprend son plein effet.
Lorsque la rupture est prononcée en méconnaissance des règles relatives à la procédure d’autorisation ou en cas d’annulation de l’autorisation par le juge administratif, le représentant a droit à des dommages-intérêts visant à indemniser la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre la rupture du contrat et la fin de la période de protection.
En outre, le non-respect de la procédure d’autorisation de rupture du contrat commercial du représentant est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Enfin, en cas de baisse d’activité qu’il estime en rapport avec son mandat de représentation, le représentant peut saisir le Tribunal judiciaire pour faire cesser cette situation et demander réparation de son préjudice.
A cette fin, il présente des éléments de fait de nature à justifier la baisse d’activité moyenne sur les trois derniers mois au regard de l’activité exercée les 12 mois précédents ou, en cas de durée moindre, sur l’ensemble des mois précédents. Il incombe alors à la plateforme de prouver que cette baisse est justifiée par des motifs étrangers au mandat.
On le voit, il existe une forte similitude entre le régime de protection des représentants des travailleurs des plateformes et celui des représentants des salariés, laquelle pourrait être de nature, contrairement aux objectifs poursuivis, à renforcer le risque d’assimilation du statut de travailleur indépendant et de celui de salarié.
Par ailleurs et curieusement, le texte de l’ordonnance ne précise pas les missions des représentants des travailleurs des plateformes. Ce silence peut sans doute s’expliquer par le fait que ces missions ont vocation à s’exercer dans le cadre d’un dialogue social de plateforme, chapitre effectivement créé par l’ordonnance, mais sans qu’aucune disposition n’y figure. Un prochain texte devrait venir préciser les modalités de ce dialogue social.
Publication annuelle d’indicateurs par les plateformes de mobilité
La loi d’orientation des mobilités n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 a institué l’obligation pour les plateformes de mise en relation ayant pour activité la livraison de marchandises ou la conduite de véhicule avec chauffeur de « publier sur leur site internet, de manière loyale, claire et transparente, des indicateurs relatifs à la durée d’activité et au revenu d’activité au titre des activités des travailleurs en lien avec la plateforme, au cours de l’année civile précédente » (C. transports, art. L.1326-3).
Un décret en Conseil d’Etat n° 2021-501 du 22 avril 2021 précise la liste des indicateurs dont la publication est requise et définit les modalités de leur publication.
Le décret définit les notions de « durée d’une prestation » et de « revenu d’activité« , ainsi que celle de « temps d’attente avant de recevoir une proposition de prestation« , utiles pour calculer les indicateurs. Une distinction est réalisée, pour les indicateurs relatifs à la durée d’activité et au revenu d’activité, selon les jours (semaine et week-end) et les plages horaires (entre 6 heures et 22 heures et entre 22 heures et 6 heures) où la prestation est réalisée.
Les indicateurs sont calculés à partir des données de l’année civile précédant l’année de publication des indicateurs. Les modalités selon lesquelles sont présentés ces indicateurs seront fixées par arrêté.
Les plateformes doivent conserver les documents attestant des modalités de calcul des indicateurs publiés pendant une durée de trois ans suivant l’année civile au titre de laquelle les indicateurs ont été établis.
A l’instar de l’index égalité entre les femmes et les hommes, les indicateurs doivent être publiés le 1er mars de chaque année. Pour la première publication, qui devra intervenir au 1er mars 2022, les indicateurs seront calculés à partir des données de la période courant du 1er septembre au 31 décembre 2021.
Sont punis d’une amende de première classe (38 euros), le fait pour une plateforme de :
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- ne pas avoir communiqué au travailleur lors de la proposition d’une ou plusieurs prestations les informations relatives à la distance couverte par cette prestation et le prix minimal garanti dont ils bénéficient, déduction faite des frais de commission ;
-
- proposer une ou plusieurs prestations à un travailleur sans avoir satisfait à l’obligation de publication des indicateurs sur son site Internet.
Cette amende est due pour chaque travailleur auquel il est proposé une ou plusieurs prestations.
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