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Lettre de convocation à entretien préalable : faut-il y mentionner les motifs du projet de licenciement ?

Lettre de convocation à entretien préalable : faut-il y mentionner les motifs du projet de licenciement ?

La question de la motivation de la lettre de convocation à entretien préalable revient avec fracas sur le devant de la scène juridique. En effet, dans un arrêt du 7 mai 2014, la cour d’appel de Paris a retenu que la lettre de convocation à entretien préalable à un licenciement doit indiquer les motifs de la décision envisagée, sous peine de nullité dudit licenciement. Cette solution, inédite à notre connaissance, apparaît en contradiction avec le droit positif. Est-ce le constat d’une évolution du droit en la matière ? Concrètement, l’employeur est-il désormais tenu de mentionner dans la lettre de convocation à entretien préalable les motifs qui le conduisent à envisager un licenciement ? Notre analyse.

Retour sur le rôle de l’entretien préalable

En principe, lorsqu’un employeur envisage de licencier un salarié, il doit -avant toute décision- le convoquer, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, à un entretien préalable, que le motif soit disciplinaire ou non(1).

Au cours de cet entretien préalable, un dialogue est censé s’instaurer entre l’employeur et le salarié concernant le projet de licenciement : l’employeur indique -au début de l’entretien- «les motifs de la décision envisagée» puis il recueille les «explications» du salarié (article L.1232-3 du Code du travail) – en vue de prendre une décision la plus éclairée possible.

Une solution jurisprudentielle inédite

Dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris (Pôle 6, Chambre 6) du 7 mai 2014, une salariée -et une union locale CGT qui l’assistait et intervenait aussi à titre volontaire en tant qu’organisation syndicale- ont contesté le bien-fondé d’un licenciement notamment au motif que la lettre de convocation à entretien préalable ne comportait pas les griefs envisagés de l’employeur. Au-delà, ils ont demandé des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’une «violation des droits de la défense lors de l’entretien préalable».

A l’appui de leurs prétentions, la salariée et l’union locale se sont fondées :

  • sur l’article 7 de la convention numéro 158 de l’OIT -ratifiée par la France et d’application directe- qui prévoit qu’ «un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité» ;
  • sur l’article L.1232-2 du Code du travail qui dispose que la lettre de convocation à entretien préalable doit préciser «l’objet de la convocation», les demandeurs soutenant que ceci doit s’entendre comme non seulement informer sur la sanction envisagée mais aussi sur les causes de l’entretien, c’est-à-dire les raisons de cette sanction.

De manière inédite à notre connaissance, la cour d’appel de Paris suit cet argumentaire et énonce dans un attendu général que : «[…] l’entretien préalable constituant la seule étape de la procédure pendant laquelle le salarié a, légalement, le droit de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, avec l’aide d’un défenseur, le respect des droits de la défense implique effectivement, que celle-ci puisse être préparée, dans la perspective de l’entretien préalable en connaissance de cause, c’est-à-dire en connaissant, non seulement la sanction que l’employeur envisage de prendre, mais surtout les reproches que l’employeur s’apprête à articuler à l’encontre de son salarié. S’agissant d’une garantie de fond, ce manquement dans le respect des dispositions de la Convention 158 de l’organisation internationale du travail, mais aussi d’un principe fondamental pour le respect des droits de la défense, entache également de nullité ledit licenciement» (CA Paris, Pôle 6 Chambre 6, 7 mai 2014).

Une solution jurisprudentielle contestable au regard du droit positif

A titre liminaire, il est important de relever que -de manière pour le moins surprenante compte tenu de cet attendu- la Cour d’appel n’a pas prononcé la nullité du licenciement mais l’a considéré comme sans cause réelle et sérieuse (et ce, pour d’autres motifs que celui tiré du défaut de motivation de la lettre de convocation). Cela étant, la Cour a condamné l’employeur à verser à la salariée ainsi qu’à l’union locale des «dommages et intérêts pour non-respect des droits de la défense lors de l’entretien préalable» (1 000€ chacun).

En tout état de cause, et bien qu’apparemment favorable aux salariés, l’existence même d’une obligation de motivation de la lettre de convocation à entretien préalable est contestable au regard du droit positif. De nombreux arguments juridiques militent en effet pour une absence de motivation de la lettre de convocation à entretien préalable.

1) L’absence de motivation de la lettre de convocation à entretien préalable : un choix exprès du législateur

Plusieurs amendements qui prévoyaient une telle motivation ont été rejetés lors des travaux parlementaires préparatoires de la loi du 13 juillet 1973 qui a érigé l’entretien préalable en étape essentielle de la procédure de licenciement.

Ce refus d’obliger l’employeur à mentionner les motifs dans la lettre de convocation à entretien préalable a été justifié en particulier par le souhait d’éviter «d’enserrer dans un formalisme à caractère contentieux une procédure dont la souplesse et le caractère informel conditionnent l’efficacité» (JOAN 30 mai 1973 p.1614 et s.). Plus précisément, la majorité parlementaire a considéré que l’énoncé des motifs de la décision envisagée dans la lettre de convocation à entretien préalable risquerait de «figer la situation» au détriment des intérêts du salarié : suivant ce raisonnement, il serait plus facile à un employeur de renoncer à un licenciement en l’absence de mention écrite des raisons de son projet dans la lettre de convocation à entretien préalable.

2) L’absence de motivation de la lettre de convocation à entretien préalable : un choix consacré par la jurisprudence

De manière constante, la Cour de cassation retient que si l’employeur doit impérativement indiquer l’objet de l’entretien dans la convocation à entretien préalable, il n’a -en revanche- pas à préciser les «griefs allégués contre le salarié» (Cass. Soc. 4 novembre 1992 ; Cass. Soc. 14 novembre 2000).

Selon cette interprétation, l’objet de l’entretien est expressément distingué des motifs de la mesure envisagée. Pour la Cour de cassation, l’obligation de préciser dans la lettre de convocation l’objet de l’entretien signifie uniquement que l’employeur doit informer sans équivoque le salarié qu’il envisage de prononcer à son encontre un licenciement (Cass. Soc. 4 avril 1995), cette précision étant substantielle (Cass. Soc. 19 mars 1998).

Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé en particulier que «si l’employeur est tenu d’indiquer au salarié le ou les motifs de la décision envisagée et de recueillir ses explications pour instaurer un dialogue, l’entretien préalable au licenciement n’a pas pour objet de procéder à une enquête ; la décision que l’employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder ont vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement ; dès lors le respect des droits de la défense n’impose pas que le salarié ait accès au dossier avant l’entretien préalable ; enfin, le principe du droit à un procès équitable ne s’applique pas au stade non juridictionnel de l’entretien préalable» (Cass. Soc. 27 février 2013).

Cette solution apparaît justifiée par le rôle de l’entretien préalable tel que conçu en l’état du droit : l’entretien préalable a vocation à être un dialogue entre employeur et salarié ; il ne peut s’agir d’un «procès» ou d’une «enquête». C’est ce qui explique notamment que cet entretien ne peut servir à organiser une confrontation entre les différents témoins des faits (Cass. Soc. 10 janvier 1991).

Suivant cette compréhension du rôle de l’entretien préalable, la procédure de licenciement prévue par le Code du travail offre des garanties conformes au respect des droits de la défense du salarié.

En ce sens, plusieurs arrêts ont pu relever que l’énonciation de l’objet de l’entretien dans la lettre de convocation adressée au salarié par un employeur qui veut procéder à son licenciement et la tenue de cet entretien au cours duquel le salarié qui a la faculté d’être assisté, peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfont à l’exigence de loyauté et de respect des droits du salarié (Cass. Soc. 19 décembre 2007 ; Cass. Soc. 4 février 2009 ; CA Versailles 18 juin 2014) dont ceux visés en particulier aux dispositions de l’article 7 de la Convention OIT n°158 sur le licenciement (CA Versailles 28 juin 2012 ; CA Paris Pôle 6 Chambre 1, 21 mai 2014), sans qu’il y ait lieu d’exiger en outre de l’employeur qu’il précise dans la lettre de convocation à entretien préalable les motifs du licenciement envisagé.

Dans ce cadre, l’argument tiré d’une prétendue violation de la Convention OIT du fait d’un défaut de motivation de la convocation à entretien préalable au licenciement n’apparaît pas convaincant dès lors que littéralement, au cours de la procédure de licenciement prévue par le Code du travail, le salarié a effectivement -conformément aux exigences de l’article 7 de la Convention internationale – «la possibilité de se défendre contre les allégations formulées» par l’employeur avant toute décision de sa part.

Ainsi, à notre sens, en l’état du droit positif, et sauf dispositions conventionnelles contraires(2), l’employeur n’a pas à motiver la lettre de convocation à entretien préalable à un licenciement.

Vers une obligation de motiver la convocation à entretien préalable ?

Un pourvoi en cassation a été formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 7 mai 2014. Si un revirement de jurisprudence ne peut être totalement exclu, il est, selon nous, peu probable. La jurisprudence de la Cour de cassation semble en effet bien ancrée à ce sujet.

Dans ces conditions, seule une intervention du législateur -le cas échéant sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme- serait susceptible d’imposer une obligation de motivation de la lettre de convocation à entretien préalable.

Notes

Ce principe connaît quelques exceptions (notamment en cas de projet de licenciement pour motif économique d’au moins 10 salariés dans une même période de 30 jours dans une entreprise où il existe un comité d’entreprise ou des délégués du personnel).

Des dispositions conventionnelles peuvent en effet imposer notamment à l’employeur d’informer le salarié du motif de mesure envisagée à son encontre (voire de lui permettre de consulter les éléments lui faisant grief) avant l’entretien préalable, étant précisé que le non-respect de telles garanties conventionnelles rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse (CA Paris 27 septembre 2011 ; Cass. Soc. 9 janvier 2013).

 

Auteurs

Nicolas de Sevin, avocat associé en droit social.

Benoît Masnou, avocat en droit social.

 

Article paru dans Les Echos Business le 19 septembre 2014