L’évaluation des titres d’une société cotée : l’application d’une prime de contrôle pour évaluer un paquet de titres
L’évaluation de titres non cotés est un exercice délicat. À cette fin, l’administration a publié en novembre 2006 un guide sur l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés qui présente les principales méthodes employées pour procéder à ces évaluations1. Le Guide prévoit un ensemble de primes et décotes censées ajuster la valeur obtenue lorsque cela s’avère nécessaire.
Dans un récent arrêt (Cass. com. 3 février 2015 n°13-25.306), la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue apporter des précisions intéressantes sur l’application de la prime de contrôle. Pour rappel, la prime de contrôle vient rehausser la valeur des titres pour tenir compte du pouvoir de contrôle que confère la détention de ces titres pour un actionnaire majoritaire. Le Guide indique en effet que : «En supposant que le pouvoir de décision confère des avantages objectifs à ceux qui l’acquièrent, la valeur du titre majoritaire doit être supérieure à celle du titre minoritaire.» (P.108 du Guide).
Le cas soumis à la Cour était le suivant. Des parents ont fait don à leurs enfants de titres d’une société anonyme non cotée (la Compagnie de participations commerciales industrielles et financières Pacifico, société Pacifico), société holding détenant des titres d’une société anonyme (Etablissements Maurel & Prom) cotée en bourse. Lorsque les parents ont procédé à l’évaluation des titres dans le cadre de cette donation, ils n’ont pas appliqué de prime de contrôle. En effet, la holding détenait une participation de moins de 25% du capital de la société cotée au moment de la donation, ce qui ne semblait pas répondre à la définition de « titre majoritaire », principal critère de l’application d’une prime de contrôle.
L’administration en a estimé autrement, appliquant aux titres une prime de contrôle de 20%. La chambre commerciale de la Cour de cassation l’a soutenue dans son choix. Au premier abord, il peut sembler étrange qu’un paquet représentant moins du quart des actions de la société – bien en-deçà du seuil de 33,1/3% à partir duquel l’AMF oblige l’actionnaire à déposer un projet d’offre visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote – ait été jugé comme conférant le contrôle. La haute juridiction a justifié ce choix en observant que si la holding ne détenait en effet que 24% environ des titres de la société Maurel & Prom, le reste de l’actionnariat était particulièrement éclaté, le second actionnaire ne détenant que 6,72% du capital, et tous les autres actionnaires détenant moins de 5% chacun ; dès lors, la Cour a estimé que «la holding Pacifico dispose de fait d’un contrôle sur la société Maurel & Prom (…) ; qu’en conséquence l’attribution d’une prime de contrôle à la valeur mathématique de la société Pacifico est justifiée».
De plus, on peut relever que la Cour a validé cette prime de contrôle de 20% sans en discuter le montant. Que ce soit sur les opérations observées sur les marchés ou au travers des jurisprudences, il n’existe pas de prime de contrôle «standard» ; concrètement, la plupart des primes de contrôle s’inscrivent dans une fourchette allant de 10% à 30%, et augmentent généralement avec le pourcentage de titres acquis (un plus gros paquet de titres accordant en principe plus de contrôle, il est cohérent que la prime soit plus importante). Par ailleurs, l’application d’une prime de contrôle, quel que soit son montant, doit d’abord être subordonnée à la vérification que le marché ne l’a pas, d’une façon ou une autre déjà intégrée (effet d’annonce d’une OPE ou OPA par exemple) – question que n’a nullement abordée la Cour.
En conclusion, il faudra désormais veiller au moment de déterminer la valeur des titres – cotés ou non – à intégrer non seulement la simple majorité numérique, mais aussi la notion de contrôle de fait, au moment d’apprécier si l’application d’une prime de contrôle est pertinente ou non.
Note
1 Il est important de noter que, bien que rédigé par l’administration, le Guide ne lui est pas opposable. Toutefois, tant l’administration que les tribunaux administratifs le citent régulièrement, et les méthodes qu’il présente sont largement utilisées par les praticiens.
Auteurs
Mohamed Haj Taieb, fiscaliste économiste senior en fiscalité internationale
Serge Lambert, fiscaliste économiste en fiscalité internationale